Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit d’accès à l’eau est un sujet majeur parce qu’il est un préalable au respect des autres droits fondamentaux.
La France a activement œuvré à la reconnaissance de ce droit. Déjà, cela a été rappelé par Mme Didier, dès 2006, notre pays avait instauré, aux termes de l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, le « droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Ce texte a institué un droit individuel à un bien essentiel et a inscrit dans notre législation une dimension sociale de l’eau, jusque-là pratiquement oubliée.
Notre pays a également œuvré pour la promotion de ce droit au niveau international et a soutenu l’adoption en juillet 2010 de la résolution de l’Assemblée des Nations unies, qui a proclamé pour la première fois dans son enceinte le droit à l’eau potable et à l’assainissement.
Il existe ainsi aujourd’hui un « droit à l’eau et à l’assainissement », défini comme un « un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». Le droit à l’eau inclut l’assainissement, sujet tout aussi crucial, mais qu’on a souvent tendance à ne pas prendre en compte dans les débats sur le droit à l’eau.
Certes, des progrès ont été enregistrés. Dans ce domaine, la communauté internationale affirme avoir atteint, bien avant l’échéance de 2015, la cible des Objectifs du Millénaire pour le développement : réduire de moitié le pourcentage de la population mondiale privée d’accès à l’eau.
Cependant, il faut noter que le critère retenu pour cet accès à l’eau concernait l’accès à une source d’eau dite « améliorée », c’est-à-dire protégée des contaminations animales. Nous sommes loin de l’objectif ambitieux du droit à l’eau, qui fait référence à une eau saine et potable, disponible à une distance de moins de 1 kilomètre et accessible en continu.
Si l’on considère donc cette notion du droit à l’eau, qui va beaucoup plus loin que le simple « accès amélioré » des Objectifs du Millénaire pour le développement, il ne serait pas mis en œuvre pour environ 3 à 4 milliards d’individus, soit la moitié de l’humanité.
Concernant l’assainissement, la situation est encore plus dramatique. Seulement 67 % des habitants de la planète auront accès en 2015 à des services d’assainissement améliorés, soit un niveau bien inférieur à l’objectif des 75 % prévus par les Objectifs du Millénaire pour le développement.
À l’heure actuelle, 2, 5 milliards de personnes manquent encore de services d’assainissement améliorés, et la question des eaux usées peine à être pleinement intégrée dans les débats internationaux.
La mise en œuvre effective du droit à l’eau est un défi majeur que devra relever la communauté internationale dans les années à venir. Or, à ce jour, l’eau ne figure pas dans les thèmes retenus pour la définition des objectifs onusiens 2015-2030. C’est une question sur laquelle une mobilisation politique forte est nécessaire.
Dans les pays développés, notamment en France, la question se pose de manière différente. Chez nous, l’accès à l’eau existe dans les faits puisque près de 99 % de la population est connectée aux réseaux d’alimentation en eau, que 81 % bénéficient de l’assainissement et que très peu de coupures d’eau sont pratiquées. La mise en œuvre du droit à l’eau passe donc surtout par la question de l’accessibilité économique de l’eau pour les ménages en situation de précarité, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise sociale et économique.
Les chiffres de l’INSEE parus le 13 septembre 2013 ont révélé que les inégalités et la pauvreté ont continué de progresser l’an dernier dans notre pays. Il n’est dès lors pas surprenant que certains ménages rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d’eau. Pourtant, la France reste dans la moitié des pays européens où l’eau est le moins chère. La facture « eau et assainissement » représente en moyenne 1, 25 % du revenu disponible moyen d’un ménage. La facture annuelle pour un ménage de quatre personnes est de l’ordre de 430 euros.
Malgré ce prix modéré, à l’heure actuelle, on évalue à 2 millions le nombre de ménages dont la facture d’eau dépasse 3 % de leurs revenus, un seuil jugé critique par les experts de l’OCDE et des autres organisations internationales.
Cette question est d’autant plus cruciale que le prix moyen de l’eau est appelé à augmenter en raison des nouveaux enjeux liés aux services d’eau : augmentation de la part de l’assainissement, besoin de renouvellement, nouveaux enjeux liés à la qualité de l’eau.
Enfin, la question des personnes non raccordées au réseau – SDF, gens du voyage – reste souvent posée. Dans ce contexte, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Jean Glavany et des membres de différents groupes vise à mettre en œuvre concrètement le droit à l’eau. Il s’agit d’une initiative louable qui mérite d’être saluée, d’autant qu’elle est porteuse de mesures pertinentes.
La première partie de cette proposition de loi concerne l’inscription dans notre droit national du droit à l’eau et à l’assainissement et l’obligation pour les communes d’installer et d’entretenir, selon leur taille, des points d’eau potable, des toilettes publiques et des douches publiques pour les personnes vulnérables non raccordées au réseau. La question du droit à l’eau pour les personnes non raccordées est primordiale et nous nous devons d’y trouver une solution rapide.
Sur la partie abordant la tarification, la proposition de loi mentionne que « le montant de la facture d’eau est calculé en fonction de tranches de consommation, […] avec la possibilité d’une première tranche de consommation gratuite ou à prix réduit » et qu’« au-delà de cette première tranche, l’eau potable est facturée de manière progressive ».
Dans ce domaine, il convient de rester circonspect, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, modifier le système tarifaire du service de l’eau pour favoriser l’accès à l’eau pour tous entraîne nécessairement un changement dans la structure des ressources et donc une transformation de l’équilibre économique du service. Il existe plusieurs risques concernant la pérennité du système et il importe de bien prendre en compte l’équilibre économique du service, qui doit également faire face à des enjeux environnementaux – enjeux liés à la qualité de l’eau – et économiques – renouvellement des réseaux.
Par ailleurs, les expériences déjà menées nous montrent que la tarification progressive, qui a pour premier objectif, d’ordre environnemental, la réduction des consommations, doit être maniée avec prudence. Elle peut avoir des effets contre-productifs sur le plan social, pour les familles nombreuses ou équipées d’un électroménager ancien, et des effets économiques négatifs, avec un risque pour l’équilibre économique du service en cas de déconnexion des gros consommateurs.
La loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dite « loi Brottes », permet aux collectivités qui le souhaitent d’expérimenter une tarification sociale fondée, non pas sur la consommation, mais sur les revenus et la composition des ménages. Elle donne un cadre juridique à la tarification sociale et doit permettre au Comité national de l’eau de tirer des conclusions et de faire des propositions concrètes d’ici à 2018. Laissons le temps à l’expérimentation plutôt que de légiférer sur un domaine encore complexe et pour lequel nous disposons de trop peu de retours d’expérience à ce jour, sans remettre en cause la liberté d’organisation des autorités locales dans ce domaine.
Rappelons également qu’il existe de nombreux dispositifs hors tarification, qui, bien que perfectibles, se sont révélés de bons outils dans le domaine de l’accès à l’eau pour tous. Je pense notamment au Fonds de solidarité pour le logement, qu’il nous faut promouvoir et étendre aux départements qui ne disposent pas encore de volet « eau ».
L’accès à l’eau doit être garanti à chaque individu. L’eau, comme l’air, est un bien essentiel, indispensable à la vie humaine. Si l’eau est bien dans la sphère marchande, économique, car il faut la traiter et l’acheminer, en revanche, elle ne doit pas faire l’objet de spéculations.
La gestion publique de l’eau est logique. La France doit viser l’exemplarité dans l’accès à l’eau comme dans la gestion de cette ressource, dont l’abondance, très inégalement répartie sur la planète, impose donc une grande éthique à tous les acteurs. §