Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, consacré dans le cadre d’une résolution des Nations unies du 28 juillet 2010, l’accès à une eau de qualité est désormais considéré par la communauté internationale comme un droit humain.
En France, ce droit est également consacré et plusieurs initiatives gouvernementales ont déjà été prises qui tendent à le garantir.
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, de décembre 2000 a reconnu comme un droit social essentiel celui à un logement décent, lequel comprend le droit à l’évacuation des eaux usées.
La loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques dispose que « toute personne physique a droit, pour son alimentation et son hygiène, à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables pour tous ».
En dépit de la consécration de ces droits, qualifiés de fondamentaux, force est de constater que leur concrétisation n’est aujourd’hui que partielle. Il est pourtant essentiel que ces droits ne demeurent pas incantatoires et qu’ils prennent consistance pour chaque usager.
La représentation nationale doit donc œuvrer à leur effectivité. Au demeurant, de nombreux mécanismes qui permettent de la garantir ont d’ores et déjà été institués ou sont en voie de l’être.
Grâce à la loi relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement, adoptée en 2011, le gestionnaire du service peut désormais opérer un prélèvement sur les recettes afin de l’attribuer à un fonds départemental de solidarité pour le logement, qui gère les aides aux familles en difficulté, notamment en cas d’impayés d’eau.
Plus récemment, en septembre dernier, le bureau de l’Assemblée nationale a enregistré le dépôt d’une proposition de loi dont notre collègue député Jean Glavany est le premier signataire. Celle-ci, ambitieuse, tend à « la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement ».
Moi-même, dans le cadre des débats entourant la l’examen de la proposition de loi de François Brottes, portant notamment sur la tarification de l’eau, j’ai déposé en 2013 une proposition de loi visant à assurer l’effectivité du droit à l’eau.
Afin d’atteindre cet objectif, j’ai proposé une méthode pragmatique créant un système de tarification sociale. Eu égard à la structure des tarifs de l’eau et de l’assainissement, j’ai privilégié la méthode consistant à instituer une tarification progressive du service par tranches ainsi qu’un dispositif de proportionnalité des tarifs applicables à un foyer bénéficiaire de l’aide sociale. Cette méthode permet de coupler tarification sociale et tarification progressive de l’eau, à l’image de celle qu’a mise en place le syndicat mixte pour l’alimentation en eau de la région de Dunkerque le 1er octobre 2012.
Cette tarification permet de réduire les tarifs des premiers mètres cube d’eau consommés au sein d’une première tranche de consommation de base et à augmenter les prix des volumes des tranches de consommation élevées.
Au sein des premières tranches de volume d’eau consommée, est en outre appliquée, jusqu’à un certain plafond, une proportionnalité du tarif pratiqué pour les bénéficiaires de la CMU.
Il faut cependant être conscient des limites de ces mécanismes, et c'est sur ce point que je souhaite maintenant insister.
La véritable problématique de l’accès à l’eau en France porte sur les tarifs et leur inégalité sur le territoire, en fonction des lieux, des modes de gestion et des contrats conclus entre les gestionnaires.
C’est pourquoi, au-delà de la progressivité du prix et des autres systèmes d’aide apportés aux personnes les plus fragilisées, vers lesquels nous devons aller – et nous le faisons –, la question du niveau de la tarification aux usagers de l’eau en France doit aussi être posée. En effet, on constate que, d’une région à l’autre, les disparités, plus ou moins justifiées, sont très importantes. En novembre dernier, le magazine Que choisir ? a d’ailleurs publié des tableaux comparatifs éloquents.
Maire d’une commune des Hauts-de-Seine, je me suis impliqué au sein du syndicat des eaux d’Île-de-France, le SEDIF, pour dénoncer le caractère exorbitant des tarifs facturés aux usagers.
Le SEDIF délègue depuis 1923 la gestion du service à un même prestataire privé – j’en tairai le nom, mais tout le monde l’aura reconnu ! – dans le cadre d’un contrat représentant un chiffre d’affaires annuel de 350 millions d’euros, soit le plus important d’Europe, contrat sur lequel ce prestataire a longtemps pratiqué d’importantes surfacturations. Avant la renégociation du contrat, en 2010, l’association UFC-Que Choisir avait évalué ces surfacturations à 80 millions d’euros par an. Selon les études réalisées par le SEDIF lui-même, elles s’élèveraient à environ 40 millions d’euros.
En dépit d’une importante mobilisation citoyenne en faveur d’un retour à une régie publique, le choix du recours à un délégataire privé a été reconduit en 2008, par la volonté de la majorité des membres du SEDIF, certes, mais à l’issue d’un vote qui s’est déroulé à bulletin secret. On voit par là que les élus manquent parfois un peu de courage ! §À la clé, il y avait un appel d’offres : il a été remporté par l’entreprise déjà délégataire du marché depuis près d’un siècle… Celle-ci a d’ailleurs fait un véritable aveu, car, dans le cadre du nouveau contrat négocié avec le SEDIF, elle a consenti à offrir des prestations de services similaires tout en diminuant les tarifs de la part « eau potable » de plus de 10 % !
Un peu partout en France, le mouvement de remunicipalisation des services de l’eau s’amplifie. Il constitue, à mes yeux, la seule garantie d’une véritable maîtrise des coûts et du meilleur tarif pour les usagers.
Conscientes de cette nouvelle dynamique, les multinationales de l’eau revoient largement, dans une majorité de cas, leurs prix à la baisse, dévoilant ainsi, en creux, l’ampleur des marges réalisées pendant de très nombreuses années.
L’exemple le plus éloquent nous vient des Alpes-Maritimes. En 2012, la renégociation du contrat de délégation d’Antibes Juan-les-Pins, qui n’a été obtenue qu’à l’issue d’âpres discussions, a fait passer le prix du mètre cube d’eau de 3, 47 euros à 1, 50 euro pour les cent premiers mètre cube. Cela donne une idée de la surfacturation qui existait auparavant !
Aujourd'hui, les élus tendent à privilégier le retour en gestion publique. Sinon, ils font habilement jouer la concurrence ou la menace d’un retour en régie pour obtenir une meilleure tarification. Les exemples montrent, en effet, combien l’effectivité du droit à l’accès à l’eau ne peut être garantie que par la puissance publique, la gestion privée obéissant à d’autres objectifs : ceux de la rentabilité.
Le groupe socialiste est favorable au retour en régie publique ainsi qu’à une meilleure transparence de la tarification et des prestations des délégataires privés. Il soutient les initiatives parlementaires visant à mettre en place des systèmes garantissant l’effectivité du droit à l’eau. En effet, nous voulons une plus grande justice sociale et une meilleure garantie du droit fondamental que constitue l’accès pour tous au service public de l’eau.
Sur ces objectifs, nous sommes en parfait accord avec le Gouvernement et je suis impatient d’entendre quelles initiatives celui-ci envisage de prendre pour en assurer l’effectivité. §