Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'histoire prête à la Guadeloupe un second nom que lui donnèrent les Indiens Caraïbes en hommage à sa considérable richesse naturelle : Karukéra, ce qui signifie « l’île aux belles eaux ».
Quelle ironie quand on connaît les problèmes liés à l’eau en Guadeloupe ! Certes, la ressource y est abondante. Mais sa disponibilité connaît une répartition spatiale et temporelle très inégale, qui engendre des inadéquations entre besoins, disponibilités et moyens mobilisables.
La Basse-Terre, qui représente 70 % de la ressource, est le château d’eau de la Guadeloupe. Mais c’est en Grande-Terre que les usages sont principalement localisés.
En saison sèche, l’eau est plus rare alors que la demande est plus forte. De nombreuses communes connaissent alors de longues périodes de coupures.
Les volumes disponibles pour l’irrigation sont insuffisants et des tours d’eau sont organisés presque chaque année, avec des dégâts importants pour les cultures.
À ces deux inadéquations naturelles viennent s’ajouter d’autres problèmes mettant à nu l’état actuel de la distribution de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe.
Pour les trente-deux communes que compte le département, pas moins de douze collectivités ont la compétence pour assurer ce service public, avec une importante disparité géographique des prix de l’eau. On estime aujourd’hui que 40 % de la population est raccordée au réseau collectif, contre 90 % dans l'Hexagone. Les volumes de stockage d’eau actuels ne permettent qu’une autonomie de 0, 65 jour, bien inférieure aux valeurs préconisées, comprises entre un et deux jours.
L’insuffisante interconnexion du réseau est telle que les différentes unités de distribution ne peuvent se secourir en cas de crise. Même si la qualité bactériologique des eaux distribuées est globalement satisfaisante, certaines sources présentent des pollutions diffuses d’origine agricole, majoritairement liées au chlordécone.
Les équipements datent, pour la plupart, des années soixante, voire du XIXe siècle, et ne sont plus adaptés. Ce mauvais état général se traduit par un faible rendement des réseaux d’adduction et de distribution, avec des pertes de l’ordre de 50 %.
Régulièrement, les médias se font les relais de ces abonnés sans eau d’un service public qui devrait pourtant leur en fournir…
Des familles privées d’eau plusieurs jours consécutifs doivent s'approvisionner quotidiennement à l’aide de jerricanes et se lever dans la nuit pour aller chercher l’eau nécessaire aux usages domestiques. Et il ne s’agit pas de cas isolés puisque toute une partie de la population de la Côte-sous-le-vent, du nord Basse-Terre et du nord Grande-Terre est concernée. La situation est telle que certains ont choisi d’unir leurs voix, à l’instar du collectif de défense des intérêts de la population de Port-Louis, qui n’a de cesse de multiplier les actions.
Égrener cette liste, aussi incomplète qu’elle soit, des problématiques liées à la question de l’eau permet de mettre en perspective une ultime inadéquation : celle du prix rapporté au service rendu.
Avec un prix moyen de l’ordre de 3, 61 euros par mètre cube en 2006 – ce qui recouvre la fourniture d’eau potable et l’assainissement –, le poids de la facture dans le revenu des ménages guadeloupéens, bien supérieur à celui de la France hexagonale, est aussi le plus élevé des départements d’outre-mer.
Le prix de l’eau poursuit sa progression alors même que l’usager limite sa consommation. Ainsi, le rapport annuel de l’institut d’émission des départements d’outre-mer de 2012 faisait état d’un repli de 10, 6 % de la consommation globale d’eau potable en 2011 par rapport à l’année précédente. Cette situation peut laisser perplexe...
Mon intention n’est nullement, ici, de faire le procès de la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en Guadeloupe, dont on ne peut nier qu’elle a enregistré de réels progrès. L’analyse de la situation, au travers du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, a mis en évidence huit orientations constituant le socle de la stratégie à mettre en place pour améliorer l’existant d’ici à 2015. Du reste, le conseil général et l’office de l’eau de la Guadeloupe viennent de lancer un avis d’appel public à la concurrence pour une étude de faisabilité sur la mise en place d’une structure unique de production d’eau potable. À terme, le prix de l’eau pourrait ainsi être harmonisé.
Nonobstant son caractère vital, le droit à l’eau a été codifié tardivement, en décembre 2006. En dépit de cette consécration, l’état des lieux dont j’ai présenté un résumé nous aura aussi permis de constater le caractère encore abstrait de ce que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a érigé en droit fondamental. Un droit concédé au goutte-à-goutte… §