Intervention de Maryvonne Blondin

Réunion du 5 février 2014 à 14h30
Débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés

Photo de Maryvonne BlondinMaryvonne Blondin :

Un nombre substantiel des survivantes du génocide rwandais de 1994 aurait été volontairement contaminé par ce virus.

Arme de guerre très efficace, ces violences sexuelles ont de terribles conséquences physiques et psychologiques pour les victimes elles-mêmes : stigmatisées, honteuses, celles-ci se sentent humiliées, coupables et nombre d’entre elles se suicident.

Les statistiques des Nations unies ont déjà été évoquées précédemment ; je ne m’y attarderai pas.

Si la prise de conscience de la communauté internationale coïncide, dans les années quatre-vingt-dix, avec la révélation de l’ampleur des horreurs sexuelles commises en ex-Yougoslavie, l’usage des violences sexuelles en temps de conflits armés n’est pas nouveau dans l’histoire de la guerre. Il a été rappelé que, depuis l’Antiquité, le corps des femmes est perçu comme un « butin de guerre ».

Plus près de nous, la Seconde Guerre mondiale fut également le théâtre d’atrocités commises envers les femmes. L’existence de « femmes de confort », considérées comme des esclaves sexuelles pour l’armée japonaise, est clairement établie.

Plus récemment, en ex-Yougoslavie, le viol fut pratiqué de manière systématique. De même, au Rwanda, comme l’a démontré le tribunal d’Arusha mis en place pour juger les crimes de guerre, les violences sexuelles ont été utilisées pour détruire l’identité ethnique des Tutsis. Vingt ans après les faits, le premier procès jamais organisé en France d’un ressortissant rwandais accusé, notamment, de complicité de génocide et de viol s’est ouvert lundi dernier, cela a été rappelé tout à l’heure. Sa tenue a été rendue possible par la compétence universelle.

Une question s’impose : quelle réponse a apporté et continue d’apporter le droit international à ces violences sexuelles ? Ces dernières comptent aujourd'hui indéniablement au nombre des atteintes les plus graves au droit humanitaire international et au droit international des droits de l’homme.

Comme l’indique la résolution 1670 de 2009 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre, « la reconnaissance du viol et de l’esclavage sexuel comme crime de guerre et crime contre l’humanité par le traité de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, en 1998, a été une avancée considérable, mais ce n’est qu’en 2008 – soit dix ans après – que la communauté internationale, par la résolution 1820 (2008) du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, a reconnu que le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité et un élément constitutif du crime de génocide. »

Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil de l’Europe a le devoir de s’assurer que les droits de la personne humaine sont garantis sur le territoire de ses États membres. Il a l’obligation morale de contribuer à diffuser, au-delà de ses frontières, ses valeurs fondatrices : droits de l’homme, état de droit, démocratie.

La prévention des violences sexuelles commises au cours des conflits armés relève par conséquent tant du respect des droits humains universels que du maintien de la sécurité internationale. Dès lors, la Charte des Nations Unies ayant conféré au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale, celui-ci a beaucoup œuvré ces dernières années pour aider à sensibiliser et à déclencher une action contre la violence sexuelle en période de conflit.

Les cadres normatifs existent et sont établis en vertu de trois résolutions initiales – les résolutions 1261, 1325 et 1612 –, suivies de nombreuses autres concernant toujours les violences faites aux femmes pendant les conflits armés. Encore faut-il qu’elles soient appliquées et effectives ! La dernière en date, la résolution 2106 sur la violence sexuelle en zones de conflit, a été votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 24 juin 2013.

En mettant l’accent sur la volonté de la France de déployer une diplomatie active en matière de promotion des droits des femmes, vous indiquiez, à cette occasion, madame la ministre, que « les quatre objectifs de la France en matière de violences sexuelles se déclinaient en quatre “P” : prévention, protection, poursuites et participation des femmes aux processus de paix et de reconstruction ». Vous précisiez ainsi « que la meilleure façon de protéger ces femmes était d’en faire des acteurs et non plus seulement des sujets ». Elles doivent ainsi participer activement à la vie politique, sociale et économique de leur pays, à égalité avec les hommes, et s’impliquer dans les actions visant à mettre un terme aux violences sexuelles, comme dans les processus de prévention et de règlement des conflits.

Votre intervention à New York, au cours de laquelle vous avez rappelé les ambitions de la France et l’action du Gouvernement, s’ancre parfaitement dans l’esprit et la lettre de la résolution 1325 qui nous intéresse tout particulièrement. Le Conseil de sécurité a en effet appelé les États membres à accroître la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits, ainsi qu’au maintien et à la promotion de la paix et de la sécurité. Il a demandé à toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement le droit international applicable aux droits des femmes et des filles en tant que personnes civiles et d’incorporer dans leur législation les politiques et procédures qui protègent les femmes des crimes sexistes tels que le viol et l’agression sexuelle.

Si l’action du Conseil de sécurité a participé à l’établissement du droit international, elle a aussi permis la mise en place, en 1993, de la première juridiction pénale internationale, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les différentes juridictions de cette nature créées ont toutes contribué à la répression des violences sexuelles commises pendant les conflits armés. Malheureusement, cette redoutable arme de guerre n’a rien perdu de son efficacité !

De leur côté, les États sont tenus de mener des actions contre ces violences sexuelles et doivent rechercher et traduire en justice toute personne, quelle que soit sa nationalité, soupçonnée d’avoir commis ou ordonné une violation grave des règles internationales. Cependant, il est évident que dans les situations de conflit et post-conflit, un nombre limité de criminels est poursuivi, du fait de la faiblesse des systèmes judiciaires nationaux.

Notons également que sur certains théâtres d’opérations militaires, il est absolument nécessaire que les États adaptent la formation des membres de leur armée et de leur police, ainsi que les instructions qu’ils leur donnent, afin que ces personnels appréhendent au mieux les conséquences des violences sexuelles commises, d’un point de vue juridique bien sûr, mais aussi en termes de soutien médical et psychologique aux victimes. Une coopération internationale peut à ce niveau s’avérer également indispensable entre forces armées, notamment à destination des plus déficientes.

À l’échelon régional européen, la réglementation normative relative au phénomène de violence envers les femmes est bien présente et s’est traduite notamment par l’adoption, sous l’égide du Conseil de l’Europe, de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée à Varsovie et entrée en vigueur en 2008.

De plus, le 14 mai 2009, lors de sa réunion d’Istanbul, la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe a approuvé à l’unanimité un projet de recommandation sur les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits armés. Elle a proposé que « l’Assemblée invite le Comité des ministres à charger le comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique à inclure dans la future convention du Conseil de l’Europe les formes les plus répandues et les plus sévères de la violence à l’égard des femmes, y compris les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits armés ». Ce fut chose faite dans la convention du Conseil de l’Europe rédigée à Istanbul en 2011, puisque cette recommandation figure dans son préambule.

Aujourd’hui, des milliers de victimes sont privées du droit d’obtenir justice et réparation. Dans un plaidoyer, l’envoyée spéciale du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Mme Angelina Joli, a ainsi rappelé le Conseil de sécurité à son devoir en indiquant que « le viol en tant qu’arme de guerre est une agression contre la sécurité » et que « les rescapés sont victimes d’une culture de l’impunité : c’est la réalité troublante, triste et honteuse d’aujourd’hui. » C’est la double peine, chers collègues ! C’est la raison pour laquelle les États doivent s’engager à adopter des mesures afin que cessent ces violences et que justice puisse être rendue ! C’est également ce que prévoit la résolution.

En 2004, le Conseil de sécurité enjoignait tous les États membres d’élaborer leur propre plan national d’action. La France a adopté le sien pour répondre à cette injonction et promouvoir une mise en œuvre cohérente des résolutions « Femmes, paix et sécurité », dans le cadre de son action internationale. Ce plan vise à favoriser, à l’échelon international, la protection des femmes contre toutes les formes de violences, le respect de leurs droits fondamentaux, ainsi que leur égale participation aux processus décisionnels dans le cadre de la consolidation de la paix, de la reconstruction et du développement.

Dès lors, force est de le constater, en dépit des efforts déployés par les États, les Nations unies, le Conseil de l’Europe, la société civile, les ONG, l’ampleur et la répétition des violences sexuelles pendant les conflits actuels restent considérables et intolérables. Nous ne sommes pas encore parvenus au bout du chemin, hélas !

Nous pouvons cependant légitimement placer nos espoirs en la Cour pénale internationale pour assurer une répression des violences sexuelles. Pour cela, il convient de lui donner les moyens de ses ambitions et d’assurer une meilleure diffusion de ses travaux ! §

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