Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, certains d’entre nous ont lu, voire entendu, avec effroi les témoignages bouleversants de femmes, et même d’enfants, victimes des violences sexuelles les plus barbares durant les conflits en Bosnie, en République démocratique du Congo et au Rwanda, ce dernier pays étant revenu dans l’actualité depuis hier à l’occasion du procès à Paris de l’ancien chef de milice Pascal Simbikangwa. Plus récemment, nous sont parvenus les mêmes récits, insoutenables, de jeunes Libyennes ou Syriennes violées dans un contexte de guerre civile.
Bien entendu, personne ne peut rester indifférent à ce fléau, qui n’a rien d’inexorable, à condition que le droit international en matière de protection des femmes puisse s’appliquer fermement sur le terrain. La délégation aux droits des femmes l’a rappelé dans son rapport, dont je salue la qualité : « Les violences sexuelles du fait des conflits armés ne sont ni une fatalité ni un phénomène culturel ».
Un phénomène culturel, certainement pas ! Car si l’Afrique focalise souvent l’attention, compte tenu des drames qui s’y sont récemment déroulés, on trouve, hélas, sur tous les continents et dans toute l’histoire des luttes armées, la trace de viols de guerre. Aux États-Unis, au XIXe siècle, Abraham Lincoln s’inquiétait des viols perpétrés durant la guerre de Sécession.
Aujourd’hui, en Amérique du Sud, les jeunes Colombiennes sont encore très exposées à la violence.
En Asie, les témoignages sur les exactions commises à l’encontre des femmes sous le régime de Pol Pot se sont multipliés au cours de ces dernières années.
En Europe, on sait que le viol collectif a existé pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour ma part, il me semble que la perception d’un fléau essentiellement africain tient à la multiplication contemporaine des conflits sur ce continent qui donne à la question des sévices sexuels une dimension notable. J’ajouterai que nombre de pays africains sont jeunes d’un point de vue institutionnel et donc potentiellement fragiles. Les guerres s’accompagnent souvent d’un délitement très rapide des structures locales et de l’État de droit, ce qui facilite malheureusement les exactions commises à l’égard de civils dépossédés de tout recours sécuritaire ou judicaire.
Mes chers collègues, quels que soient les pays et quelles que soient les époques, les crimes sexuels peuvent constituer une arme de guerre et même s’inscrire dans une démarche stratégique pour « nettoyer » une ethnie.
Je ne reviendrai pas en détail sur la chaîne de souffrances ainsi engendrée. Mes collègues membres de la délégation, en premier lieu sa présidente, Brigitte Gonthier-Maurin, ont fait état, avec justesse, du processus de déshumanisation qui découle du viol. Cet acte abominable entraîne des séquelles sanitaires et des problèmes psychologiques qui anéantissent la victime. Dans certaines sociétés, la stigmatisation s’ajoute à la douleur physique et morale, de surcroît lorsqu’un enfant est né du viol. La réponse médico-sociale, dans nombre de cas, peut, hélas !, se révéler vaine. Il est donc nécessaire de s’attaquer à la racine du mal et de tout mettre en œuvre pour que le viol cesse d’être une arme de guerre, pour qu’il cesse tout court.
Plusieurs d’entre vous l’ont indiqué, depuis une dizaine d’années, le droit international a été enrichi pour permettre aux États de lutter contre l’utilisation du viol dans les conflits armés. Les conventions de Genève existent, bien sûr, mais il faudra attendre la jurisprudence des tribunaux internationaux pour que le viol systématique et toute autre forme de violence sexuelle grave soient considérés comme un crime contre l’humanité.
En parallèle à la consolidation fondamentale du droit pénal international, une série de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU a fondé un arsenal juridique très complet pour la protection des femmes au cours des conflits. Plusieurs orateurs précédents ont évoqué ces textes, en particulier le premier d’entre eux, la résolution 1325. En effet, cette résolution, adoptée en 2000, est la première pierre onusienne de la lutte contre les violences faites aux femmes ; elle intègre la dimension du genre dans toutes les phases d’intervention en faveur de la paix.
Conformément à ses engagements, la France a été le deuxième pays, après l’Espagne, à adopter un plan national d’action pour la mise en œuvre de cette résolution. Son armée étant l’une des plus féminisées au monde, le facteur « genre » a pu être introduit sans difficulté dans les structures opérationnelles et le ministère de la défense a mené d’importants programmes de sensibilisation à la question des violences sexuelles au sein des forces de maintien de la paix.
Je partage bien sûr cet objectif, qui doit aussi consister, à mon sens, à inclure davantage les femmes au plus haut niveau des négociations de paix. À cet égard, il est intéressant de noter que le genre de Catherine Samba-Panza a été souligné lors de son arrivée au pouvoir en République centrafricaine, comme si, au-delà de ses compétences, son statut de femme symbolisait l’espoir.
La résolution 1325, acte fondateur, je le disais, a été suivie par d’autres textes également très importants, au nombre desquels la résolution 1820 qui a reconnu que les violences sexuelles étaient utilisées comme tactique de guerre.
Toutes ces avancées sont considérables, même si l’on peut regretter qu’elles n’aient été tardives au regard de la mobilisation plus ancienne des ONG.
Par ailleurs, ce droit n’a de sens que s’il a une incidence sur le terrain. Malheureusement, force est de constater que le bilan est mitigé. Selon Amnesty International, des soldats ou des groupes armés commettraient encore des viols, notamment au Tchad, au Mali, au Soudan ou en République démocratique du Congo. La sécurité des femmes et des enfants dans les camps de réfugiés est également une question très préoccupante.
C’est pourquoi, sachant toutefois que cela demandera naturellement du temps, la question de la violence sexuelle doit être appréhendée par le biais d’une politique multidimensionnelle. C’est d’ailleurs l’un des points de la dernière résolution onusienne, la résolution 2122, qui rappelle une évidence : il ne peut pas y avoir de sécurité ou de paix sans développement économique.
Dans cette perspective, il me semble fondamental que la France amplifie son aide au développement, car la pauvreté est un vrai handicap pour l’égalité des sexes. C’est par la mise en œuvre de politiques d’autonomisation des femmes que celles-ci seront moins vulnérables en cas de conflit ou en situation post-conflit. C’est le sens des actions de nombreuses ONG, qui, au lieu d’importer des solutions de l’extérieur, élaborent des projets adaptés aux conditions locales pour aider les femmes à passer du statut de victime à celui d’actrice de leur propre destin.
Nous devons également aider les pays défaillants à reconstruire un système judiciaire local capable de condamner les auteurs de crimes, car l’impunité est souvent le résultat d’un manque de moyens plus que d’une absence de volonté. Or, au-delà de la blessure individuelle non cicatrisée en raison de l’absence de procès, l’avenir de la collectivité tout entière peut être compromis par la non-réparation. La justice, mes chers collègues, est un élément clé de la réconciliation, cette réconciliation civile si chère à celui auquel le monde vient de rendre hommage, Nelson Mandela. §