Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 5 février 2014 à 14h30
Débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier Brigitte Gonthier-Maurin, et à travers elle l’ensemble de la délégation aux droits des femmes du Sénat, d’avoir engagé ce travail sur un sujet particulièrement difficile et trop souvent occulté.

Il s’agit de nous mettre face aux violences commises envers les filles et les femmes dans un contexte de conflit armé. Ce contexte spécifique pourrait laisser penser que, étant hors norme, il obéit à ses propres règles ou à aucune, et que nous n’y pouvons rien.

Le travail de la délégation nous a démontré l’ampleur des faits et des horreurs perpétrées contre des femmes, des enfants et, dans une moindre mesure, contre des hommes et des jeunes garçons. Les violences sexuelles, les viols, parfois nommés « viols de guerre » comptent parmi les plus graves.

Ces cruautés s’accompagnent de la transmission du sida, d’hépatites ou d’autres maladies sexuellement transmissibles, parfois de manière totalement organisée et stratégique afin de détruire l’ennemi.

Quelquefois, des viols sont commis et entraînent des grossesses imposées afin d’atteindre les ennemis par l’intermédiaire de leurs femmes. Dans d’autres cas, des stérilisations de femmes sont pratiquées. Les victimes sont des populations civiles de tous âges, des bébés, des fillettes, des jeunes filles, des femmes et de très vieilles femmes. Dans tous les cas, on porte atteinte délibérément à leur intégrité, à leur dignité. On les condamne au silence, à la réclusion sociale et à la pauvreté.

Pour ma part, je reste marquée par l’intervention de Mme la ministre Yamina Benguigui, qui a évoqué la situation terrifiante qu’elle a pu découvrir sur le terrain, notamment en République démocratique du Congo. Le constat est glaçant : le silence et l’impunité règnent en maître ; le viol de masse perpétré par des porteurs du VIH peut s’apparenter à une « nouvelle arme biologique », pour reprendre l’expression de la ministre ; la situation des enfants nés de viols, dont nombre d’entre eux sont séropositifs, ou celle des jeunes filles, qui sont parfois très jeunes, est terrifiante et insoutenable ; les conséquences sanitaires, psychologiques, économiques et sociales sont effroyables et durent bien au-delà du conflit lui-même.

Ces éléments, qui ont entraîné l’indignation et la colère de la ministre, l’ont conduit, notamment, à placer la question des droits des femmes au cœur de la relance de la francophonie. Je tiens à saluer son courage et sa ténacité dans cette entreprise.

Je retiens également des auditions d’experts et de représentants d’associations et d’ONG le rôle nouveau de l’image et de la mise en scène des violences, lié aux technologies de l’information et d’internet, vous l’avez dit, madame Gonthier-Maurin. Ces scènes de viols et de supplices sont filmées puis diffusées sur des réseaux pornographiques.

Il s’agit d’une gradation supplémentaire dans l’échelle des horreurs subies par les victimes, qui vivent ensuite sous la menace de voir ces images diffusées auprès de leurs proches, ce qui les condamne un peu plus encore dans leur reconstruction personnelle. Nous devons faire reconnaître ces agissements comme criminels.

La prostitution dans les « camps de viol », où des filles et des femmes sont sacrifiées pour satisfaire les plus bas instincts des soldats – ce fut le cas en ex-Yougoslavie, par exemple –, fait aussi partie de cette affreuse liste des atrocités commises à l’encontre des filles et des femmes.

Le tableau est horrible, oui, n’ayons pas peur d’utiliser des mots que les victimes, elles, ne peuvent plus prononcer. Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux et de nous boucher les oreilles, nous qui vivons en paix. Nous devons poursuivre ce combat universel pour les droits des femmes, car ces violences, que d’aucuns s’autorisent à commettre en temps de conflit, forment en fait un continuum tout au long de la vie des filles et des femmes, en temps de paix comme en temps de guerre.

Cette universalité des violences, des brimades, des agressions physiques et sexuelles, des privations subies par les femmes tout au long de leur vie pourrait presque laisser croire qu’il s’agit d’une fatalité réservée à cette moitié de l’humanité, du fait d’une infériorité prétendument naturelle. Nous savons bien qu’il n’en est rien, qu’il n’y a pas de fatalité, mais simplement la manifestation d’une domination des hommes sur les femmes. Dans ce combat pour l’égalité, il ne saurait y avoir de zones de non-droit, même si les zones de conflits peuvent parfois nous paraître inaccessibles. Nous ne baisserons pas les bras, bien au contraire.

Dans les négociations de fin de conflit, chaque victime de viol doit pouvoir être reconnue comme victime de guerre afin que les auteurs soient condamnés. Il faut permettre aux victimes de sortir du silence et leur donner accès à des soins post-traumatiques. Elles doivent obtenir réparation, y compris sous forme d’indemnisation financière. Ce n’est qu’à ce prix que le processus de paix peut véritablement fonctionner. Les experts auditionnés nous ont largement convaincus de la nécessité d’associer pleinement les femmes au processus de reconstruction, par la reconnaissance des crimes qu’elles ont subis, mais aussi en mobilisant leur capacité à proposer des solutions pour construire une paix durable.

Ne pas reconnaître et punir les violences commises envers les femmes, le viol notamment, en temps de guerre, revient à minimiser les crimes perpétrés et à laisser penser qu’il y a des moments où les humains peuvent laisser libre cours à leurs instincts, que la guerre a ses règles viriles et que c’est vieux comme le monde. La condamnation des auteurs vise à rappeler la règle de l’interdit du viol, en temps de paix comme en temps de guerre.

Pour reprendre la phrase de Jean-Claude Chesnais, « le viol reste le seul crime dont l’auteur se sente innocent et la victime honteuse ». §C’est le pari des politiques en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, que vous mettez en place depuis près de deux ans, madame la ministre, afin de parvenir à déconstruire les stéréotypes qui placent les femmes en situation de soumission à la domination masculine, en temps de paix comme en temps de guerre.

Je retiens aussi de notre travail de la délégation aux droits des femmes la volonté farouche de l’ensemble des acteurs auditionnés de faire cesser le cycle infernal des violences en luttant contre l’impunité des auteurs et d’agir pour la reconnaissance et la protection des victimes. De ce point de vue, nous ne partons pas de zéro. Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, un ensemble de textes a vu le jour sur la scène internationale, ce qui atteste une prise de conscience croissante de la communauté internationale.

Parmi les résolutions, je citerai la résolution 1325 prise le 31 octobre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations unies, à laquelle il a été fait référence tout au long de nos travaux et dans nos interventions aujourd’hui. Elle a fait entrer les violences sexuelles commises en temps de guerre dans le champ de compétence des institutions chargées de la paix et de la sécurité internationale. C’est une première étape pour mettre fin au silence et au déni. La France n’est pas absente de ce processus. Elle a adopté il y a quelques années un plan national d’action pour la mise en œuvre effective de ces résolutions. Cependant, il nous faudra évidemment aller plus loin, encore plus loin.

Je retiens plus particulièrement deux des recommandations contenues dans le rapport. La première concerne l’accès à la justice, qui est loin d’être garanti. L’aide technique, humaine et matérielle apportée aux pays en situation de post-conflit doit intégrer de manière systématique le renforcement du fonctionnement des institutions judiciaires, pour permettre un accueil adapté et sécurisé des victimes, des enquêtes sérieuses, la condamnation des auteurs et des mesures d’accompagnement et de réparation pour les victimes.

La seconde recommandation a trait à la question plus générale des rôles et places des femmes dans nos sociétés, en particulier en temps de conflit. J’ai pris note avec intérêt des initiatives mises en œuvre pour faire progresser la place des femmes au sein du ministère de la défense. À ce titre, je salue la création de l’observatoire de la parité entre les hommes et les femmes du ministère et le renforcement de la présence des femmes dans les armées, à tous les niveaux. Ces initiatives sont positives, car elles vont dans le sens d’une meilleure attention aux victimes, mineures et majeures, et d’un meilleur accompagnement sur le terrain.

Je terminerai mon propos par deux remarques. La première est relative à l’accompagnement des femmes violées qui ont mené leur grossesse à terme par contrainte ou par manque d’accès à l’IVG. Comment travailler sur cette question avec elles ? Comment les aider à accepter l’enfant ou le fait de s’en séparer ? Comment ensuite aider les enfants issus de ces viols et grossesses non désirées afin qu’ils ne viennent pas, à leur tour, grossir les rangs des enfants violents, à l’instar des enfants-soldats de Colombie ? Comment leur permettre de s’inscrire dans une nouvelle vie ?

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