Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 5 février 2014 à 14h30
Débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés

Najat Vallaud-Belkacem :

Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le 18 février prochain, je serai avec le président de l’Assemblée nationale pour soutenir le projet de loi du ministre de la justice libyen, Salah El Merghany, visant à protéger les femmes victimes de violences sexuelles pendant la guerre qu’a connue son pays. Ce projet est exemplaire, parce qu’il prévoit un statut et des réparations, y compris financières, pour les femmes violées.

J’ai été saisie par M. El Merghany, qui a clairement besoin de l’appui de la communauté internationale. Il sera avec nous à Paris le 18 février, en compagnie d’associations de victimes. Nous enverrons ainsi un signal clair au parlement libyen, qui tarde à inscrire le projet de loi à son ordre du jour. Cette manifestation de soutien n’est pas une ingérence dans les affaires internes d’un État souverain. C’est notre responsabilité collective, en tant que ministres et parlementaires d’un pays qui a pris une part active à la libération de la Libye, sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, de rappeler aujourd’hui à la Libye qu’elle a l’obligation de mettre en œuvre les résolutions « Femmes, paix et sécurité » de ce même Conseil de sécurité.

Vous comprendrez que je me réjouisse que la délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je salue la présidente, Brigitte Gonthier-Maurin, ait décidé d’inscrire ses travaux dans cet agenda. Je m’honore de contribuer avec vous à combattre les violences faites aux femmes du fait des conflits armés.

Vous l’avez tous dit, nous vivons dans un monde où le viol est utilisé comme une arme de destruction physique, psychologique et sociale, où « le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille ». C’est inadmissible. C’est pourquoi, il y a quatorze ans, le Conseil de sécurité a mis en place, à travers la fameuse résolution 1325 que vous avez tous évoquée, un cadre normatif et opérationnel assez robuste qui repose sur deux priorités.

En plus de son action au sein du Conseil de sécurité, la France a lancé un plan national d’action en 2010. Ce plan arrivant à échéance, nous travaillons en ce moment à sa reconduction ; les discussions interministérielles sont en cours. Madame Gonthier-Maurin, j’ai pris note de votre proposition d’associer les délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat à l’élaboration du prochain plan ; nous les associerons donc à cette élaboration. Je tiens à vous livrer dès à présent l’une de nos pistes de réflexion : nous envisageons de décliner le plan par zone géographique, afin de concentrer nos moyens là où les forces françaises sont engagées. En effet, la présence des forces françaises nous donne plus de possibilités d’agir et donc d’influencer dans le bon sens.

Je l’ai dit, notre action dans le cadre défini par le Conseil de sécurité repose sur deux priorités. La première est la lutte contre les violences sexuelles, qui ne doivent jamais tomber dans l’oubli ni rester impunies. C’est pourquoi la référence à la Cour pénale internationale n’a cessé d’être réaffirmée dans les résolutions « Femmes, paix et sécurité ». La procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, que j’ai rencontrée à plusieurs reprises, est décidée à mobiliser la Cour sur la question des violences sexuelles. La France coopère totalement avec ses services, notamment lorsqu’il s’agit de fournir des éléments de preuve dans des zones où nous sommes présents. Je ne peux que vous inviter à rencontrer Mme Bensouda ; je pense qu’elle en serait heureuse.

Quand les tribunaux nationaux font défaut, la justice pénale internationale doit jouer un rôle. Une équipe d’experts a été mise en place par la résolution 1888 du Conseil de sécurité pour lutter contre l’impunité liée aux violences sexuelles. Cette équipe est à la disposition des États. Elle a appuyé les enquêtes sur les crimes commis en septembre 2009 en Guinée, et celles des autorités de Kinshasa sur les viols de masse commis à Minova en novembre 2012. Le procès qui doit s’ouvrir à Goma pour juger les responsables de ces viols sera un test de la volonté du gouvernement congolais de mettre fin à la culture d’impunité qui règne en République démocratique du Congo. Nous devons, à notre niveau, maintenir la pression pour que cette culture de l’impunité cesse.

Il faut punir, mais également guérir, car les victimes ont besoin de soutien dans leur indicible parcours de réparation physique. Monsieur Gournac, vous avez cité le professeur Foldes. Je salue à mon tour son action décisive ; il a d'ailleurs accepté de rejoindre le comité d’orientation de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, qui lutte contre les violences en France et fait également passer des messages à l’étranger. Je note avec intérêt votre proposition d’engager un partenariat entre nos médecins et les pays concernés ; nous allons y travailler.

La guérison nécessite une réparation physique, mais également un parcours post-traumatique, un suivi psychologique, une réponse thérapeutique. J’ai eu récemment l’occasion de visiter l’Institut de victimologie, à Paris, qui accueille des victimes de crimes de guerre et leur apporte une réponse thérapeutique extrêmement bienvenue. C’est le type de démarche que nous souhaitons soutenir davantage.

Parce qu’il vaut tout de même mieux prévenir que guérir, la France a cherché à doter les opérations de maintien de la paix auxquelles elle participe d’un mandat de protection contre les violences sexuelles, là où elles sont les plus graves.

C’est ainsi que nous avons obtenu, comme vous l’avez évoqué, l’inclusion de dispositions fortes concernant la protection des femmes contre les violences sexuelles dans le mandat de la MINUSMA au Mali ; nous devons nous en féliciter. Je me rendrai d’ailleurs, à la fin de ce mois, dans ce pays, notamment dans le nord, où les femmes continuent à être victimes de violences sexuelles. J’y visiterai la Maison des femmes de Gao, dont la France appuie financièrement la réhabilitation dans le cadre d’un partenariat avec ONU Femmes.

La seconde priorité est la participation des femmes dans la consolidation de la paix, car, à l’évidence, aucun conflit ne peut être réglé, aucune transition ne peut être durable sans la prise en compte et l’intervention de la moitié de l’humanité.

L’activisme du Conseil de sécurité s’est appuyé sur le volontarisme affirmé des deux secrétaires généraux qui se sont succédé ces dernières années. J’en veux pour preuve la politique de tolérance zéro à l’égard des violences sexuelles commises par les casques bleus ou encore la nomination de femmes à des fonctions de représentantes spéciales du secrétaire général au Sud-Soudan ou pour la région des Grands Lacs.

Pour compléter ces dispositifs, deux résolutions ont été adoptées en 2013.

En juin 2013, j’ai participé à New York au vote de la résolution 2106, qui traite spécifiquement des violences sexuelles, en présence du secrétaire général Ban Ki-moon, de Mme Zainab Bangura, représentante spéciale pour les violences sexuelles dans les conflits et de Mme Angelina Jolie, envoyée spéciale du Haut-Commissariat pour les réfugiés.

Le 18 octobre 2013, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2122 centrée, elle, sur le renforcement de la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits.

Ces deux textes, j’y insiste, affirment l’importance de la participation des femmes dans les opérations de désarmement, de démobilisation et de réhabilitation, ainsi que dans les programmes de réforme des secteurs de la justice, de la sécurité conduits dans les pays en sortie de crise. Ils présentent de surcroît l’intérêt de se référer au traité sur le commerce des armes qui fait justement le lien entre prolifération des petites armes et violences sexuelles, comme Mme Bouchoux l’a rappelé. Ils soulignent par ailleurs l’importance pour les femmes de pouvoir accéder aux services de santé sexuelle et reproductive dans les cas de grossesse résultant de viols.

Les deux résolutions chargent enfin les Nations unies, d’associer les femmes à ses travaux, de les consulter dans leur prise de décision. Y compris le Conseil de sécurité. C’est inédit.

C’est ainsi que, le 17 janvier dernier, le Conseil de sécurité a mis ces principes en pratique en se réunissant en session informelle avec trois femmes syriennes, Mme Sabah Al Hallak, membre de la Ligue des femmes syriennes, Mme Rola Rekbi, membre de la Coalition des femmes syriennes, et Mme Sarah Abu Assali, représentante de la Ligue des femmes syriennes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, soyez totalement assurés que la France soutient pleinement cet objectif de promouvoir la participation des femmes dans la résolution de la crise. Nous avons, chaque fois que cela nous a été possible, organisé des réunions avec les principales concernées. J’ai ainsi présidé une réunion avec des représentantes de l’opposition syrienne et des activistes, en marge de la réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée qui se déroulait à Paris en septembre dernier.

Dans la foulée, mon ministère a soutenu plusieurs initiatives, notamment pour permettre aux femmes syriennes d’être entendues en Syrie. Ainsi, nous apportons désormais notre aide financière à deux radios : la radio Rozana, qui émet depuis Paris, et la radio Hiya, qui émet depuis Gaziantep.

Avec mon collègue Laurent Fabius, nous soutenons par ailleurs l’inclusion d’une part significative de femmes dans les délégations syriennes participant à Genève II, ainsi que le renforcement, au sein de l’équipe du Représentant spécial conjoint, de l’expertise sur les questions de genre.

Permettez-moi, en tant que ministre des droits des femmes, de souligner enfin qu’il importe que les droits des femmes soient respectés en temps de guerre comme en temps de paix. §

De ce point de vue, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes, la CEDAW, est notre socle commun. Elle doit être respectée sans réserve. À côté, d’autres textes ont également leur importance, comme la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dont le projet de loi de ratification a été soumis au Parlement et qui est le seul texte normatif à vocation universelle traitant spécifiquement des violences contre les femmes. Il est urgent que la France le ratifie.

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