Intervention de Laurent Kalinowski

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 février 2014 : 1ère réunion
« l'hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? » — Audition de M. Jean-Marc Pastor sénateur et M. Laurent Kalinowski député sur le rapport fait au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques opecst

Laurent Kalinowski, député :

Avec M. Jean-Marc Pastor, nous allons aujourd'hui vous présenter le rapport final de notre étude sur les usages énergétiques de l'hydrogène. Je voudrais d'abord revenir sur la saisine du président Raoul qui nous demandait d'étudier avec le plus grand soin les nombreuses questions posées par le développement d'une filière hydrogène allant de la production de ce gaz à son utilisation, en passant par son stockage et son transport. C'est en priorité ce que nous nous sommes attachés à réaliser au cours de notre étude, en suivant scrupuleusement la démarche d'investigation qui est celle de notre Office. Nous avons procédé à une large consultation, au travers d'auditions privées et d'une audition publique, ainsi que de plusieurs déplacements sur le terrain, en France comme à l'étranger. Au total, nous avons ainsi rencontré près de deux cents acteurs directement impliqués dans les usages énergétiques de l'hydrogène ou, plus largement, les questions énergétiques.

L'hydrogène est un gaz aux propriétés singulières. C'est de loin l'élément le plus répandu sur Terre et pourtant il est presque impossible de l'y trouver sous une forme autre que combinée avec de l'oxygène ou du carbone. Il présente une densité énergétique très élevée par unité de poids mais très faible par unité de volume. Ces caractéristiques expliquent les difficultés qu'a pu poser - et pose encore - son utilisation industrielle.

J'en viens d'abord à sa production. L'hydrogène est rarement présent à l'état naturel sous la forme pure, le dihydrogène. Des sources d'hydrogène existent néanmoins sur notre planète. IFP Énergies nouvelles s'emploie depuis quelques mois à les identifier et à évaluer la faisabilité de leur exploitation. Toutefois, l'essentiel de l'hydrogène produit aujourd'hui - environ un million de tonnes en France destinées en priorité à la chimie et à la pétrochimie - l'est à partir de gaz naturel ou d'autres hydrocarbures. Les technologies correspondantes : vaporeformage, vapocrackage etc., sont bien maîtrisées et sans cesse optimisées. En sortie d'usine, le prix moyen de l'hydrogène obtenu, de l'ordre de deux euros le kilo, est tout à fait compétitif. Pour autant, utiliser cet hydrogène comme substitut aux hydrocarbures n'aurait que peu d'intérêt, puisque sa production est émettrice de CO2. Il en va tout autrement si l'on remplace le gaz naturel par du biogaz ou le charbon par des matériaux ligneux.

Mais c'est l'électrolyse de l'eau qui est aujourd'hui le mode de production de l'hydrogène le plus prometteur pour les applications énergétiques. Il existe à ce jour trois techniques principales : les électrolyseurs alcalins, à membrane à échange de protons (en anglais PEM) et à électrolyte céramique solide. Malheureusement, chacune de ces trois technologies présente des inconvénients.

Compte tenu de ces limites, nous pensons avec M. Jean-Marc Pastor que le domaine de l'électrolyse reste un champ d'investigation scientifique et de développement industriel assez largement ouvert. L'extension des applications énergétiques de l'hydrogène devrait conduire à un accroissement de la demande en électrolyseurs de toutes tailles. Nos centres de recherche et nos industriels sont plutôt bien placés dans ce domaine. Il s'agit donc d'un axe de développement à soutenir. Aussi proposons-nous une première mesure : la détaxation de l'électricité destinée à l'électrolyse de l'eau. Elle n'est que l'inversion, dans un sens vertueux, de celle prévue aujourd'hui par le code des douanes en faveur des installations de production d'électricité à partir d'hydrocarbures.

Je vais dire à présent quelques mots du transport, du stockage et de la distribution de l'hydrogène, qui, du fait de sa très faible densité, s'avèrent plus difficiles que pour les carburants liquides. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine du stockage, sous pression à 350 ou 700 bars, ou sous forme solide, notamment dans les hydrures, la palette de solutions disponibles, même dans le cas d'applications exigeantes comme les transports automobiles, devrait permettre de répondre aux besoins, à des coûts potentiellement acceptables, après industrialisation.

Il en va tout autrement concernant le transport de l'hydrogène, qui reste et restera sans doute à l'avenir coûteux. Pour cette raison, nous estimons que les solutions permettant de produire l'hydrogène au plus près des lieux de consommation, de façon décentralisée, doivent être privilégiées.

Quant à la distribution de l'hydrogène, cette question se pose d'abord dans le secteur automobile. Est-il possible de mailler le territoire avec des stations à hydrogène, comme cela a été fait dans le passé pour l'essence et le diesel, ou pour le gaz naturel véhicule dans certains pays ? Faut-il le faire avant ou après le déploiement d'un parc de véhicules à hydrogène et à quel rythme ? Certains pays, comme le Japon, la Corée, mais aussi l'Allemagne ou les pays d'Europe du nord, prévoient d'installer, par avance, plusieurs dizaines ou centaines de stations à hydrogène. Dans ces pays, ce sont les constructeurs automobiles qui prendront en charge la plus grande part des investissements nécessaires. En France, ce n'est, bien entendu, pas envisageable. Aussi un certain nombre d'acteurs industriels français proposent-ils une solution alternative consistant à déployer de petites stations à hydrogène avec des parcs de véhicules utilitaires électriques dotés d'un système de prolongation d'autonomie à hydrogène. Au départ réservées à certains parcs, ces stations pourraient par la suite être ouvertes au public. Si cette proposition devait se concrétiser, nous pensons qu'il faudra très vite mettre en place une incitation à l'ouverture au public de ces stations.

J'en viens au dernier maillon de la chaîne de la filière hydrogène : celui de l'utilisation. La quasi-totalité des utilisations énergétiques de l'hydrogène passent par un dispositif permettant de produire directement de l'électricité : c'est la pile à combustible qui fait appel à un principe inverse à l'électrolyse.

Comme pour les électrolyseurs, il existe plusieurs catégories de piles à combustibles, dont deux principales : les piles à basse température à membrane d'échange de protons, bien adaptées aux applications de mobilité, et les piles à oxydes solides qui fonctionnent à très haute température, mieux adaptées aux applications stationnaires.

Ce sont les progrès réalisés dans ces deux catégories de piles à combustible, concernant le prix, la fiabilité et la durée de vie, qui expliquent la multiplication des applications énergétiques de l'hydrogène, même si elles se limitent pour l'instant à des marchés de niche. En 2012, 46 000 piles à combustible ont été commercialisées dans le monde, soit une croissance de 86 % en un an.

Comme l'a montré notre audition publique du 30 octobre 2013, ces marchés de niche concernent actuellement des applications telles que l'autonomie énergétique des sites isolés ou les chariots élévateurs, dans le cadre desquelles la pile à combustible et l'hydrogène parviennent progressivement à s'imposer face aux technologies existantes. Ces marchés devraient précéder des applications à destination du grand public, dans des domaines tels que l'aide à la mobilité, le rechargement des téléphones et ordinateurs, l'automobile ou la micro-cogénération, c'est à dire la production d'électricité et de chaleur à l'intérieur des bâtiments.

En ce qui concerne l'automobile, étant donné les choix des grands constructeurs nationaux, ce sont des acteurs de plus petite taille qui essayent d'identifier des applications de mobilité pour lesquelles le véhicule à hydrogène pourrait devenir concurrentiel face aux autres solutions disponibles sur le marché. L'un de ces marchés est celui des véhicules utilitaires qui représentent 15 % des véhicules légers mais roulent et polluent plus que les voitures de tourisme. C'est pourquoi nous préconisons de favoriser le développement de telles solutions en étendant le bénéfice du bonus écologique aux véhicules utilitaires dont le seuil d'émission de CO2 est inférieur à 20 g/km. Afin de ne pas alourdir la fiscalité des entreprises, ce bonus serait uniquement gagé par un aménagement du malus écologique sur les véhicules de tourisme.

À côté de ces applications qui font appel à la pile à combustible s'en développe une autre qui concerne la réutilisation directe de l'hydrogène dans le réseau gazier : c'est ce que nos voisins allemands ou anglo-saxons nomment le « Power to gas ». L'intérêt de cette technologie est de permettre des échanges dans les deux directions entre réseau électrique et gazier. Jusqu'à présent, seule la production d'électricité à partir du gaz était possible. L'électrolyse combinée à l'injection d'hydrogène permet d'orienter vers le réseau de gaz naturel les surplus de production électrique, notamment à partir d'énergies renouvelables intermittentes. D'après une étude présentée par GRTGaz, à l'horizon 2030, ce sont 25 térawatt-heures de production annuelle excédentaire qui pourraient ainsi être convertis pour réduire nos importations de gaz, à un coût final équivalent à celui de ce dernier.

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