Je vais à présent vous présenter la seconde partie de notre étude, en commençant par un rappel rapide du rôle que l'hydrogène pourrait jouer dans l'intégration des énergies renouvelables intermittentes.
Comme l'ont démontré certains rapports de notre Office, le développement à grande échelle des énergies intermittentes que sont l'éolien et le solaire requiert des solutions de stockage massif de l'énergie, afin de valoriser les investissements. Les pays voisins ont développé les énergies intermittentes de façon conséquente et se trouvent aujourd'hui en situation de rupture : l'Allemagne doit parfois vendre de l'électricité à un prix négatif.
Associer moyens de stockage de l'énergie et énergies renouvelables intermittentes permet de réduire de façon très sensible l'impact de ces dernières sur le réseau électrique. Le réseau peut en effet absorber un volume d'électricité limité. En cas de pointe, il faut lisser la production et donc stocker ou arrêter la production d'électricité d'origine renouvelable.
Par rapport à d'autres solutions, l'intérêt de l'hydrogène est double. D'une part, il n'impose aucune contrainte en termes de localisation géographique ou de dimensionnement. D'autre part, l'hydrogène n'est pas seulement un moyen de stocker l'électricité pour la restituer un peu plus tard. Sa principale utilité est de permettre un usage direct de l'énergie stockée pour des applications diversifiées : comme combustible pour véhicules ou pour la cogénération, pour être injecté directement dans le réseau gazier dans des pourcentages de 5 % à 20 %, pour enrichir des biocarburants, pour créer des carburants de synthèse ou encore comme composant pour la chimie. A ce propos, en 1950, le réseau de gaz était, dans certaines grandes villes, alimenté à 50 % par de l'hydrogène pur ; on vise aujourd'hui un pourcentage beaucoup plus faible parce que les équipements ménagers ne sont pas adaptés. Nos voisins européens ont montré la voie pour la transformation d'hydrogène en gaz par méthanation, ce qui améliore l'indépendance énergétique et réduit la facture énergétique : au-delà des enjeux techniques, n'oublions pas les enjeux politiques et économiques ! La biomasse peut aussi constituer une source importante de matière première pour fabriquer de l'hydrogène.
Je vais maintenant vous présenter nos recommandations qui visent à créer les conditions du développement d'une filière hydrogène nationale.
D'abord, je tiens à souligner que le potentiel scientifique et industriel de notre pays dans ce domaine nous semble incontestable. La France dispose d'entreprises parmi les plus compétentes du monde, mais elles se développent hors de nos frontières.
Nous avons identifiés deux freins majeurs à l'innovation pour cette filière. Le premier frein concerne l'absence de position claire du Gouvernement sur le rôle qu'elle pourrait jouer dans l'avenir énergétique du pays alors qu'il met l'accent sur la voiture électrique, dont l'autonomie est limitée. Le second frein est le poids de la réglementation, qui décourage l'innovation. Par exemple, les réponses de l'administration pour le positionnement d'une unité d'hydrogène peuvent varier d'un endroit à un autre.
Nous avons donc défini cinq grandes orientations pour la structuration de la filière hydrogène.
Première orientation : mettre en place un triptyque organisationnel, comme au Japon ou en Allemagne :
- le Gouvernement doit affirmer, au plus haut niveau, l'importance du vecteur énergétique hydrogène et celle du développement d'une filière industrielle nationale ;
- il doit aussi fédérer les acteurs de la filière hydrogène autour d'un projet cohérent de développement à moyen terme. On peut faire, en cinq ans et grâce aux savoir-faire dont disposent déjà les industriels, ce que d'autres ont fait en dix ans ;
- un comité national d'orientation de la filière hydrogène, placé sous l'égide du ministère du Redressement productif, doit assurer la coordination et le suivi.
La deuxième orientation vise à lever les freins à l'innovation d'ordre réglementaire. D'autres pays ont harmonisé les règles dans les gaz énergétiques, sans prévoir de spécificité pour l'hydrogène, alors que nous avons des réglementations séparées pour chaque type de gaz.
Nous proposons la création d'un groupe de travail pluraliste pour l'instruction des demandes d'autorisation, ainsi que l'instauration d'un délai maximum de trois mois pour la réponse initiale sur la faisabilité d'une nouvelle demande d'installation dans le domaine de l'hydrogène énergie et de douze mois maximum pour l'instruction complète de ce type de dossier. Aujourd'hui, cela prend plusieurs années.
La troisième orientation concerne des mesures plus ciblées, principalement fiscales, destinées à faciliter l'émergence de cette nouvelle filière. Outre les mesures déjà évoquées par M. Laurent Kalinowski, il faudrait exonérer l'hydrogène d'origine renouvelable de toute taxation, pendant une période d'au moins cinq ans. Cette mesure serait gagée par une taxation des hydrocarbures utilisés pour produire de l'hydrogène, notamment à des fins de raffinage des produits pétroliers.
La quatrième orientation concerne le rôle des territoires dans la nouvelle gouvernance énergétique. La gouvernance centralisée a produit des effets positifs, qu'il faut préserver, mais l'hydrogène, qui récupère le potentiel énergétique non exploité, doit être produit sur place, en raison des coûts de transport élevés. Nous plaidons donc pour un lien direct entre l'unité de production et l'utilisation locale, ce qui implique une nouvelle gouvernance de l'énergie. Des opérateurs privés doivent se placer aux côtés des collectivités.
Enfin, il faut établir un partenariat européen de l'hydrogène et travailler ensemble pour harmoniser les règlements et les règles d'utilisation des réseaux.