Tout d'abord, merci beaucoup Madame la présidente, de votre invitation sur un sujet important. Tout d'abord, je situerai d'un mot le travail de l'Observatoire de la laïcité. La création de cet organisme avait été prévu au début 2007 par un décret du Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, co-signé par le ministre de l'Intérieur. Pour une raison que j'ignore, il n'a pas été mis en place et c'est tout récemment, début avril, que le Président de la République nous a installés. Je précise que nous sommes indépendants du Gouvernement. L'Observatoire est un organisme récent, qui comprend vingt-deux membres : quatre parlementaires, deux sénateurs et deux députés, deux de la majorité, deux de l'opposition, des membres de droit qui sont les secrétaires généraux des principaux ministères directement concernés par la laïcité, et des personnalités qualifiées appartenant à des domaines très variés, qui peuvent être des sociologues, des philosophes, des spécialistes des religions. Comme son nom l'indique, notre première mission est d'observer, c'est-à-dire de faire un état des lieux sur la laïcité en France, de savoir si c'est une valeur partagée, les difficultés qu'elle connaît, les attaques qu'elle peut subir. Nous avons assez vite fait un premier bilan, dans un souci de démocratie et de transparence, en juin. Nous avons utilisé des remontées du terrain et les réponses des organismes que nous avons interrogés. Nous avons sollicité le ministère de l'Éducation nationale sur l'application de la loi de 2004 proscrivant pour les élèves - pour les enseignants cela va de soi - les signes religieux ostensibles à l'école publique. Nous avons demandé au ministère de la Santé et des Affaires sociales de nous informer des problèmes rencontrés dans les hôpitaux, par exemple le refus d'examen d'une patiente féminine par un médecin masculin. Nous avons également étudié comment cela se passait dans les entreprises, à travers des associations et des grandes entreprises. Une de nos membres est également vice-présidente du Medef en charge de la diversité. Nous avons aussi interrogé l'hospitalisation privée, les ministères de l'Intérieur et de la Justice, à la fois sur les questions de laïcité et sur l'application de la loi de 2010 proscrivant le fait d'avoir le visage masqué dans les lieux publics.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous avons eu une vraie surprise. Nous savons très bien qu'il y a des difficultés localement, avec des tensions, des atteintes à la laïcité. Cependant, les bilans qui nous ont été communiqués dans tous ces domaines montrent qu'il y a moins de problèmes aujourd'hui qu'hier, qu'il y a un ou deux ans, et que beaucoup de ces problèmes se règlent par un rappel à la loi ou par une discussion. Bien entendu, nous n'ignorons pas les problèmes de terrain, mais le diagnostic a été plutôt rassurant.
D'une manière générale, beaucoup d'interrogations portent sur les repères : ce que dit le droit, ce qui est permis ou interdit. Les difficultés de terrain se règlent en général par des discussions, de la pédagogie, de l'éducation. Des repères sont fournis aux élus locaux - c'est le sujet qui nous rassemble aujourd'hui -, mais aussi aux cadres associatifs, aux patrons, syndicats, managers, cadres hospitaliers. En effets, les gens sont souvent perdus devant des demandes qui sont pour eux inédites.
Nous avons donc publié deux guides : « Laïcité et collectivités territoriales », qui traite en partie de la question qui est la vôtre et que nous avons publié l'année dernière pour ne pas être trop proche des municipales, même si cela ne concerne pas que les communes. Le deuxième guide concerne la « Gestion du fait religieux en entreprise ». Nous avons en préparation un troisième guide sur le « Secteur associatif en milieu scolaire ». Nous avons bien sûr travaillé avec d'autres instances dont les actions étaient proches des nôtres, le Défenseur des droits, bien entendu, la Commission consultative des droits de l'homme, et le Conseil économique, social et environnemental qui a rendu un avis sur le fait religieux en entreprise.
J'en viens à l'objet même de cette audition. Je souhaiterais rappeler les données juridiques de base, l'état du droit et celui des pratiques, pour ce que nous en connaissons. Je rappelle que l'article 1er de la loi de décembre 1905 dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Et qu'avec l'article 2, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
S'agissant de la construction de lieux de culte, le législateur a apporté deux tempéraments à ces principes. Tout d'abord, les baux emphytéotiques administratifs, prévus à l'article L. 2252-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), permettent de contracter un bail d'immeuble appartenant à une commune en vue de l'affectation d'un édifice du culte ouvert au public à une association cultuelle. Il s'agit d'un mécanisme utilisé depuis 80 ans, d'abord pour les édifices chrétiens, et actuellement pour des dizaines de mosquées.
Ensuite, la deuxième possibilité ouverte par les textes législatifs - l'article L. 2252-4 et L. 3251-5 du CGCT - en matière de financement des lieux de culte consiste, pour une commune ou un département, à garantir un emprunt contracté par une association cultuelle en vue de la construction d'un édifice du culte. Cette solution est utilisée dans plusieurs exemples, dont récemment pour la mosquée de Reims.
Ainsi, concernant la construction de lieux de culte, le droit propose les baux emphytéotiques administratifs, les garanties d'emprunt, et des exonérations de charges directes ou indirectes, principalement la taxe foncière sur les propriétés bâties et les droits de mutation à titre onéreux.
À propos de la question du fonctionnement et de la gestion du patrimoine cultuel, l'article 5 de la loi du 2 janvier 1907 dispose qu'« À défaut d'associations cultuelles, les édifices affectés à l'exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ». Les édifices cultuels appartenant à la collectivité publique relèvent évidemment du domaine public des collectivités propriétaires mais, malgré cette qualité, la commune ne dispose pas du droit de réglementer l'accès au bâtiment, ni même d'en disposer librement. Elle doit recueillir l'accord de l'affectataire du bâtiment avant de décider de l'organisation d'une manifestation dans cet édifice
Mais la question qui suscite le plus d'interrogations est celle-ci : quelles sont les dépenses que les collectivités territoriales peuvent faire pour l'entretien du patrimoine cultuel ? Elles peuvent participer financièrement aux dépenses nécessaires à l'entretien et à la conservation des édifices dont la propriété leur a été attribuée en 1905, selon l'article 13 de cette même loi de 1905. La commune, en tant que propriétaire, peut voir sa responsabilité engagée en raison des dommages provenant du défaut d'entretien des églises.
La loi de 1905 a prévu des exceptions à la règle de non-subvention affirmée à l'article 2. Les collectivités territoriales financent les dépenses « nécessaires à l'entretien et à la conservation », et je dis bien « nécessaires à l'entretien et à la conservation » de l'édifice. Il y a cependant interrogations, débats, jurisprudence en ce qui concerne l'embellissement, l'agrandissement et l'achat de meubles.
Une troisième question, qui n'est pas tout à fait dans vos préoccupations mais s'y rattache, concerne les salles communales utilisées comme lieux de culte. En effet, en vertu de l'article L. 2144-3 du CGCT, des locaux communaux peuvent être utilisés par des associations, syndicats, parti politiques qui en font la demande. Une commune peut donc mettre à disposition des locaux communaux à une association cultuelle pour qu'elle y organise des cérémonies religieuses, à condition que cela ne soit pas gratuit, en fonction de l'article 2 de la loi de 1905 déjà mentionné.
À notre connaissance, il y a peu de garanties d'emprunt pour la construction de lieux de culte. Cela peut être dû au fait que les associations cultuelles considèrent que l'emprunt est contraire à la loi islamique. En revanche, de nombreux baux emphytéotiques ont été recensés, qui permettent d'obtenir des terrains dans des villes où les prix du foncier sont très élevés. Enfin, les communes ont pu être amenées à financer des parties culturelles et non pas cultuelles des édifices religieux : bibliothèques, jardins, par exemple.
En ce qui concerne les retours d'expérience concernant le principe de laïcité dans les collectivités territoriales, nous avons transmis une demande à toutes les préfectures concernant la laïcité, et non pas seulement les lieux de culte. Les préfets ont soulevé peu de problèmes. Il y a quelques cas liés à la sécurisation des lieux de culte, à leur dégradation, à leur utilisation, des problèmes de proxénétisme dans les prisons, des arrachages d'arbres de la laïcité, comme on l'a vu récemment. Nous avons également pris l'attache de l'Association des maires de France, et de l'Association des grandes villes de France. Elles n'ont pas fait mention de réels problèmes, même si elles ont évoqué - comme je le disais au début- le manque de repères, l'incompréhension, voire les polémiques sur le sujet. S'agissant des problèmes particuliers relatifs à la construction et au financement des lieux de culte dans nos territoires, ils sont assez rares.
Il reste, bien entendu, pour les collectivités territoriales, la difficulté d'assurer les réparations et l'entretien des lieux de culte. Dans certaines communes, un manque de compréhension peut s'exprimer à l'occasion des travaux de construction de futurs lieux de culte, avec des pétitions, des recours en justice contre le permis de construire. On trouve plus fréquemment des dégradations, des inscriptions à caractère antireligieux, quelle que soit la religion, raciste, antisémite ou antimusulman sur les lieux de culte.
Votre rapporteur se demande s'il faut modifier le financement des édifices cultuels dans notre pays. En vérité, d'un point de vue des conceptions de la laïcité, deux positions extrêmes et divergentes coexistent. Premier positionnement : avec ses aménagements, ses accommodements, la loi de 1905 porte en elle une contradiction avec le principe fixé dans son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ne faudrait-il pas, alors, modifier la loi et considérer que les fidèles doivent financer leurs propres lieux de culte ? La position inverse consiste à dire qu'il est difficile de gérer ces exceptions - baux emphytéotiques, garanties d'emprunt, financement des parties culturelles des lieux cultuels - et qu'il faudrait élargir les possibilités de financement.
Notre sentiment est qu'il n'existe pas en la matière de position idéale s'imposant à l'évidence. La loi de 1905 est déjà le résultat d'une longue histoire et d'un long combat ; elle est une loi de compromis, avec Aristide Briand et Jean Jaurès, contre des positions clairement antireligieuses, en tous cas anticléricales, tandis que, du côté de l'Église, certaines forces ne voulaient aucun compromis, d'autres recherchant au contraire une certaine sécurité. Il nous semble que, dans ce domaine comme dans d'autres, nous avons atteint un équilibre qui fonctionne correctement. Y aurait-il plus ou moins d'avantages à fermer les possibilités de financement ou à les ouvrir ?
Les collectivités territoriales, en tant que collectivités publiques, sont tenus à la neutralité par rapport aux religions. Elles sont des gardiennes de la laïcité. Elles sont aussi des acteurs de la laïcité : beaucoup d'entre elles ont créé des organismes, des observatoires, des rencontres avec les forces philosophiques et religieuses pour examiner les moyens du vivre ensemble.
Ce rôle des collectivités territoriales, à la fois gardiennes de la laïcité et chargées de faire vivre cette laïcité sur le territoire, nous paraît bien compris par elles. Notre rôle à nous s'enrichit des échanges que nous avons avec ces observatoires locaux, ces collectivités territoriales qui ont des pratiques intéressantes ou rencontrent des difficultés. Notre Observatoire a des moyens limités - ne nous en plaignons pas quand l'heure est aux économies -, notre travail est d'avoir ce dialogue, d'apporter un soutien en fournissant des éléments d'appréciation intellectuelle, de jurisprudence et de droit aux collectivités.
Voilà, Madame la présidente, ce que je souhaitais évoquer et je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.