La proposition de loi déposée par le groupe écologiste se compose de dix articles. Le premier ouvre la possibilité pour une personne malade de disposer d'une assistance médicalisée pour une fin de vie digne. L'article 2 concerne les personnes majeures capables, en phase avancée ou terminale, même sans diagnostic de décès à brève échéance, dès lors qu'elles se trouvent dans une situation grave ou à tendance invalidante et incurable et leur inflige une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu'elles ne peuvent supporter. Aux termes de l'article 3, la mort médicalement assistée sera considérée comme une mort naturelle. L'article 4 prévoit une procédure de contrôle de la situation et de la volonté de la personne par deux médecins. Le médecin assistera lui-même la personne dont la volonté est établie. L'article 5 instaure l'obligation de respecter les directives anticipées d'une personne. Les articles 6 et 7 adaptent la procédure au cas où la personne, incapable de s'exprimer, a désigné une personne de confiance. L'article 8 énonce une clause de conscience pour les médecins. L'article 9 réaffirme le droit d'accès aux soins palliatifs. L'article 10 est un gage.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité d'un débat déjà dense. A la suite d'une question orale avec débat déposée par Jean-Pierre Godefroy, la commission des affaires sociales a, en avril 2009, constitué en son sein un groupe de travail associant des sénateurs de tous les groupes afin de déterminer si la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie devait ou non être complétée. Après une vingtaine d'auditions de personnalités compétences issues de toutes les familles de pensée, ce groupe a rendu un rapport en juin 2010. En janvier 2011, la commission a examiné trois propositions de loi émanant des groupes CRC, socialiste et UMP relatives à l'aide active à mourir. Le texte commun qu'elle a élaboré ayant été rejeté en séance publique, il a été repris sous forme de propositions de loi par plusieurs de nos collègues. Le Président du Sénat les a soumises au Conseil d'Etat dont l'assemblée générale a rendu un avis en février 2013.
Loin de se substituer au travail approfondi mené par nos collègues, l'actuelle proposition de loi prolonge le débat parlementaire dans l'attente du projet annoncé par le Président de la République lors sa conférence de presse le 14 janvier dernier.
Depuis la loi Leonetti, chaque occasion de débattre a fait progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et opposants à l'euthanasie. La création de l'Observatoire national de la fin de vie en 2010 a posé les prémices d'une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France. Le troisième rapport annuel de l'Observatoire dressait ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires.
Conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a depuis juillet 2012 engagé un débat public sur la fin de vie. A sa demande, une commission présidée par le professeur Didier Sicard a été constituée. Elle a remis le 18 décembre 2012 son rapport, Penser solidairement la fin de vie. Saisi d'une demande d'avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a considéré en juin 2013 que la réflexion devait se poursuivre sous la forme d'un débat public avec des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité ». Le CCNE, qui a organisé une conférence des citoyens, remettra un rapport préalable au dépôt d'un projet de loi, sans doute en mars. La conférence des citoyens a pour sa part rendu un avis citoyen le 14 décembre dernier.
Tous les rapports et avis d'instances publiques collégiales ou de citoyens dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd'hui en France ; tous considèrent que la sédation profonde ou terminale doit être possible à la demande des malades en fin de vie ; tous estiment qu'une procédure d'assistance au suicide, à l'image de celle qui existe dans l'Oregon, peut présenter un intérêt. Il n'y a en revanche aucun consensus sur l'euthanasie définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.
Si, comme le souligne Jean-Claude Ameisen, les mots masquent parfois la réalité ou les intentions, le constat dressé sur les conditions de fin de vie en France est sévère. Didier Sicard parle d'un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette bonne mort qu'est étymologiquement l'euthanasie. Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? Selon l'Observatoire national de la fin de vie, ils souhaitent mourir chez eux, entourés et apaisés. Or l'on meurt pourtant en Ehpad ou à l'hôpital, dans 80 % des cas sans prise en charge palliative et dans de trop nombreux cas, seul, sur un brancard, dans un service d'urgence.
Les personnes auditionnées voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d'un refus collectif de penser la mort, de l'admettre comme intrinsèquement liée à la vie. Le plus souvent, la mort est vécue comme un échec médical : l'on meurt parce que l'on n'a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement ! Cette vision technique se combine avec un certain utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives parce qu'âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.
Le dernier rapport de l'Observatoire national de la fin de vie est sévère. La mort des personnes âgées, dit-il, survient en plusieurs temps : d'abord l'exclusion de « la vraie vie, celle des gens qui bougent, qui vont vite, qui travaillent et produisent, qui sont rentables », ensuite le regroupement et l'exclusion « par isolement en dehors du regard de tous dans des établissements », enfin la mort à l'hôpital - un constat. Cette situation est une spécificité française. En Allemagne, la mort à domicile est la règle. Il n'y a bien sûr aucun pays modèle. Reste que nous devons nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit à ne pas respecter la volonté des personnes.
Le premier enjeu est d'aider le plus possible les personnes en fin de vie à rester à domicile, accompagnées par des aidants. Le système suédois se révèle moins coûteux que la prise en charge en établissement ; il distingue les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux qui fournissent autant que possible un réconfort émotionnel.
Le second enjeu tient à la prise en charge de la douleur. Malgré l'impressionnante qualité du travail des équipes de soins palliatifs, les progrès restent insuffisants. Seules 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins. De plus, l'intervention des équipes de soins palliatifs n'est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie alors même qu'il est impossible de prévoir avec certitude la date du décès.
Une telle approche renforce l'idée que la médecine palliative est une médecine de la mort alors qu'il s'agit d'une médecine de l'accompagnement, du soulagement de la douleur et de l'écoute, utile dès le début de la prise en charge des maladies engageant le pronostic vital. Le terme même me paraît être source d'erreur, comme s'il s'agissait d'une médecine de l'échec de la guérison. Les médecins ne consacrent qu'une heure par an de leur formation aux soins palliatifs. La dimension palliative n'est pas intégrée à l'ensemble des prises en charge. Si l'accès aux soins palliatifs était généralisé, les images de souffrances associées aux derniers moments de certains malades cesseraient de marquer de manière indélébile les familles. Toute expérience d'une mort douloureuse renforce le désir d'une mort douce et rapide.
La proposition de loi du groupe écologiste, pas plus que celles qui l'ont précédée, ne propose l'assistance médicalisée pour mourir comme une alternative aux soins palliatifs. Au contraire, elle réaffirme le droit d'accès à ces soins, qui devrait être effectif depuis la loi du 9 juin 1999.
Un certain nombre de choix sociaux concernant la fin de vie doivent être réévalués parallèlement à l'ouverture de la possibilité d'une aide médicalisée pour mourir, voire avant. Le séjour en Ehpad coûte jusqu'à 2 000 euros par mois à la charge de la personne ou de sa famille. S'il existe une assistance médicalisée pour mourir, l'euthanasie ne risque-t-elle pas d'être choisie en raison du coût de ce séjour ? Cela serait à l'évidence inacceptable.
A l'inverse, avant de mettre en place l'assistance médicalisée à la mort faut-il attendre que les soins palliatifs aient atteint un développement complet et que notre politique de prise en charge du vieillissement ait été refondue ? Lors de son audition, Jean-Claude Ameisen a indiqué que cette question peut avoir un autre aspect sachant que certains droits ne seront jamais pleinement effectifs. Ceci doit-il empêcher toute évolution du droit ?
Que faut-il faire face à une demande d'euthanasie ? Certains, comme les membres de l'association Alliance Vita considèrent qu'il s'agit toujours d'un appel à l'aide à prendre comme tel. On ne peut abandonner les personnes à leur désir de mort puisque lorsqu'on ranime ceux qui font une tentative de suicide, 90 % d'entre eux ne feront pas de nouvelle tentative. Doit-on en conclure qu'une personne saine d'esprit ne peut vouloir mourir ? L'Académie de médecine distingue les arrêts de vie des personnes en bonne santé, que sont les suicides, et la fin de vie des personnes malades, lesquelles ne sont plus capables de se prononcer raisonnablement. Des soignants affirment au contraire que les patients en fin de vie sous dialyse sont en pleine possession de leurs facultés mentales. Il ne peut y avoir qu'une analyse au cas par cas.
La proposition de loi prévoit que la capacité d'une personne à exprimer sa volonté soit évaluée par deux médecins indépendants. Si sa lucidité est reconnue, et que son choix ne résulte pas d'un défaut de prise en charge, au nom de quel droit cette demande ne serait-elle pas satisfaite ? Certains craignent que la possibilité d'une mort assistée n'en fasse une mort socialement souhaitable, imposée à terme aux plus faibles. Cependant, ni en Belgique ni aux Pays-Bas, les cas d'euthanasie n'augmentent d'année en année.
Donner les moyens de se suicider suppose que la personne peut toujours changer d'avis : il ne s'agit pas d'un suicide assisté comme en Suisse, où la décision revêt un caractère définitif. Cette possibilité existe aux Etats-Unis dans l'Oregon et dans l'Etat de Washington. Une personne en fin de vie peut y obtenir un poison sur prescription médicale. Si elle n'en a pas fait usage dans les six mois, elle devra obtenir une nouvelle prescription. Seule la moitié des personnes remplissant les critères demande le poison, et moins de la moitié de celles qui l'obtiennent en fait usage. Cette solution apparaît au professeur Sicard comme une piste à explorer. A supposer que ces modalités soient transposables en France, elles concerneraient seulement les personnes physiquement capables de prendre elles-mêmes la substance. Qu'en est-il des autres ?
Je n'imagine pas que la loi puisse répondre à tous les cas de figure. Cependant il apparaît légitime de pouvoir laisser des directives anticipées sur la manière dont on souhaite terminer sa vie si l'on n'est plus capable de s'exprimer le moment venu. Bien sûr, ces directives doivent être régulièrement actualisées et conservées. Il serait envisageable de les inscrire dans le dossier médical personnalisé suite à un entretien avec le médecin traitant ou sur la carte Vitale. Il est important que ces directives soient respectées. Pour l'heure, elles sont considérées comme des souhaits. Les médecins de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs désirent pouvoir y déroger sous réserve d'une justification écrite. La conférence des citoyens réclame pour sa part l'opposabilité, c'est-à-dire l'application stricte.
Reste le cas de ceux qui n'ayant pas laissé de directives anticipées, se trouveront dans l'incapacité de s'exprimer sur la manière dont ils entendent terminer leur vie. Pour eux, la loi Leonetti interdit l'obstination déraisonnable (l'acharnement thérapeutique), dont il appartient à l'équipe médicale de déterminer où elle commence. De ce point de vue, les médecins de soins palliatifs m'ont alerté sur le jugement rendu le 11 janvier dernier par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à propos de l'arrêt des traitements de Vincent Lambert. Substituant l'appréciation du juge à celle de l'équipe médicale, il retient une conception particulièrement restrictive et qualifie de raisonnable tout traitement maintenant une interaction avec le monde extérieur. Selon les médecins de soins palliatifs, la confirmation de ce jugement par le Conseil d'Etat, qui doit se prononcer jeudi, anéantirait tous les progrès réalisés par la médecine palliative depuis quinze ans.
L'ensemble des personnes auditionnées m'ont indiqué que, huit après son vote, la loi Leonetti reste peu connue des soignants. Pour Didier Sicard, le texte, issu d'une initiative parlementaire, n'a pas bénéficié du plein appui des administrations.
Le malade en fin de vie capable de s'exprimer peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Parfois, cela entraînera sa mort à brève échéance. Dans d'autre cas, comme celui des patients en coma végétatif, c'est la fin de la nutrition et, surtout, de l'hydratation qui entraînera le décès. Peut-on faire mourir quelqu'un de soif ? Il y aurait là quelque chose de difficilement acceptable. Certains pensent que l'on ne peut jamais interrompre l'hydratation ou l'alimentation, qui ne seraient pas des traitements, mais des soins. Pour la médecine palliative, la soif est un symptôme qui peut être pris en charge et l'on peut être privé d'hydratation sans subir les symptômes de la soif - la sensation de soif disparaît en phase de sédation profonde.
L'augmentation progressive des traitements antidouleurs jusqu'au point de donner la mort est possible dans le cadre de la loi Leonetti, mais non la sédation profonde ou terminale à la demande du patient. Sur ce point, l'ensemble des rapports remis souhaite ou admet une évolution de la loi.
Dès lors que l'on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit le résultat immédiat d'un acte volontaire ? La violence de l'acte pour les familles et les personnels chargés de l'injection létale est souvent mise en avant. Donner la mort serait perdre un repère fondateur de la mission de soignants. La position des professionnels varie toutefois considérablement d'un pays à l'autre. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité une loi sur l'aide médicale à mourir. L'essentiel est d'admettre une clause de conscience pour l'ensemble des professionnels, comme pour l'avortement. Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence, les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l'assistance qu'elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.
Reste le cas des personnes qui, sans être en fin de vie, se trouvent réduites à une situation physique qu'elles jugent intolérable. La proposition de loi leur ouvre la possibilité de bénéficier d'une assistance médicalisée pour mourir. Selon moi en effet, seul le malade est capable de juger de la dignité de sa vie.
Complexe, la situation de fin de vie soulève de nombreuses questions. Le débat est aujourd'hui engagé dans la société et le législateur doit y répondre. La majorité des personnes auditionnées se sont prononcées en faveur d'une évolution de la loi. Parce que la proposition de loi aborde le sujet avec lucidité et franchise tout en prévoyant un cadre strict, je vous demande de la soutenir.