Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 5 février 2014 : 1ère réunion
Avenir pour l'agriculture alimentation et forêt -examen du rapport pour avis

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, rapporteure pour avis :

Mon avis porte sur le titre IV du projet de loi n° 279 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale, d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt dont notre commission s'est saisie. Je vous présenterai les mesures touchant à l'enseignement technique agricole avant d'aborder la question essentielle de l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France (IAVFF). Le déplacement à l'école nationale vétérinaire d'Alfort, auquel vous avez été très nombreux à participer, vous laisse présager de mes observations sur ce point.

Pour lutter contre les inégalités de destin persistantes entre les jeunes urbains et les jeunes ruraux, il faut agir simultanément sur l'orientation, sur l'aide sociale, sur les reprises d'études et sur le développement de l'accès aux formations de techniciens supérieurs agricoles (BTSA) et d'ingénieurs.

Ce texte entend renforcer les capacités de promotion sociale de l'enseignement agricole. J'approuve la création d'une voie d'accès spécifique aux formations d'ingénieurs de l'enseignement supérieur agricole grâce à l'instauration de classes préparatoires professionnelles.

L'accès aux concours d'entrée dans les écoles agronomiques nécessite aujourd'hui soit le passage par une classe préparatoire aux grandes écoles, soit l'obtention préalable d'un BTSA ou d'une licence professionnelle. Dans les deux cas, les bacheliers professionnels agricoles ne sont pas mis en capacité d'y prétendre.

L'instauration de classes préparatoires pour ce public est bienvenue, mais elles ne concerneront chaque année quelques dizaines d'élèves seulement ; surtout, deux difficultés persistent : comment assurer la poursuite d'études du baccalauréat professionnel vers le BTSA ? Comment assurer, après leur admission, la réussite en formation d'ingénieur des bacheliers professionnels et des BTSA ? Il ne faut pas oublier l'aspect pédagogique derrière le problème de « tuyauterie ».

Pour renforcer le dispositif, je vous proposerai deux amendements en cohérence avec l'article 33 de la loi du 22 juillet relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, qui tendait lui aussi à favoriser les poursuites d'études des élèves les plus défavorisés.

L'enseignement agricole est un levier essentiel pour transformer le système de production français et assurer la diffusion de l'agroécologie. Plus que la course à la performance économique, c'est le souci de la performance sociale et écologique qui doit être mis au coeur du projet pédagogique et éducatif de l'enseignement agricole.

L'article 26 du projet de loi rappelle ainsi la participation de l'enseignement agricole à la politique de développement durable. Il ajoute la promotion de la diversité des systèmes de production agricole, de l'agroécologie et de l'agriculture biologique aux missions des établissements.

Je me félicite également de l'élaboration d'un projet stratégique national pour l'enseignement agricole, auquel devront se conformer les projets d'établissements. De même, la mise en cohérence des projets d'établissements avec les orientations des politiques publiques pour l'agriculture est-elle bienvenue. Ces nouveaux éléments sont de nature à conforter et à compléter le cadre de référence national.

Les ateliers techniques et les exploitations dépendant des établissements d'enseignement agricole constituent des instruments essentiels pour l'expérimentation et la diffusion de nouveaux modes de production. C'est pourquoi il convient de les soutenir.

De ce point de vue, l'article 26 du projet de loi contient une avancée importante avec l'accès des établissements à l'indemnisation pour calamités agricoles. Le droit en vigueur l'interdisait pour toutes les personnes publiques.

Cependant, le principe de rentabilité économique qui s'impose aux exploitations des établissements agricoles n'est pas remis en cause. Or, il est illusoire de demander à ces exploitations simultanément de fonctionner dans les conditions réelles du marché, d'assurer la formation des élèves et d'innover pour diffuser l'agroécologie.

Les lycées professionnels de l'éducation nationale ne connaissent pas cette contrainte. Un lycée hôtelier n'a pas à financer son restaurant d'application sur les repas qu'il vend. Un atelier de menuiserie dans un lycée professionnel n'a pas à financer ses achats de bois par la vente de meubles fabriqués par ses élèves. La même logique devrait s'imposer dans l'enseignement agricole.

Je vous présenterai donc un amendement qui relâche la contrainte d'équilibre économique pour mettre en avant la vocation essentiellement pédagogique des ateliers technologiques et des exploitations agricoles.

Pour que les élèves apprennent à produire autrement, il faut aussi porter une attention toute particulière à la formation de leurs enseignants. Le projet de loi est décevant sur ce point. Il donne l'impression de vouloir simplement prolonger l'action des opérateurs actuels que sont l'École nationale de formation agronomique (ENFA) et AgroSupDijon.

Je vous proposerai un amendement pour faire de l'appui à l'enseignement technique agricole une mission essentielle du nouvel IAVFF et pour proposer des partenariats avec les ÉSPÉ.

D'autres mesures concernant les personnels suscitent mon inquiétude. Je pense surtout à l'ouverture du recrutement de contractuels à temps complet dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) et dans les centres de formation des apprentis (CFA) de l'enseignement agricole public. Je vous en proposerai la suppression car je considère qu'il faut plutôt titulariser les agents contractuels, conformément au droit commun de la fonction publique.

J'en viens à l'innovation essentielle du titre IV du projet de loi, la création de l'IAVFF pour rassembler toutes les écoles de l'enseignement supérieur agricole - sans leur faire perdre cependant leur personnalité juridique, ni leur autonomie financière.

En 2009 a été créé par décret le Consortium national pour l'agriculture, l'alimentation, la santé animale et l'environnement, mieux connu sous le nom d'Agreenium. Constitué sous forme d'un établissement public de coopération scientifique (EPCS), Agreenium regroupe sur la base du volontariat des organismes comme le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'école nationale vétérinaire de Toulouse, historiquement très liée à l'INRA, et des écoles agronomiques.

La loi du 22 juillet 2013 précitée a supprimé le statut d'EPCS dans un souci de rationalisation. Un délai de cinq ans est laissé à Agreenium pour changer de statut. Plutôt que de le transformer, par exemple en établissement public administratif, le Gouvernement a choisi de constituer une nouvelle structure, l'IAVFF, auquel seront transférés dès sa création les droits, les biens et les titres d'Agreenium.

Je m'interroge sur ce choix alors qu'aucune évaluation indépendante rigoureuse d'Agreenium n'existe. Il est difficile en l'état d'estimer le surcroît d'efficacité que l'on peut espérer de la constitution de l'IAVFF. Autrement dit, les bénéfices de la création de l'IAVFF sont incertains, tandis que les risques et les coûts de sa création sont réels.

La vraie rupture de l'IAVFF avec Agreenium est de rejeter le principe d'intégration volontaire au profit d'un rassemblement obligatoire de tout l'enseignement supérieur agricole. Cette contrainte nouvelle risque de se traduire concrètement par une crispation des acteurs et un blocage de la coopération espérée. C'est d'autant plus probable que l'institut n'assurera pas de tutelle sur les écoles et les organismes de recherche. Le risque est bien celui de la paralysie et de l'enlisement.

Les bénéfices sont d'autant plus incertains que le plus grand flou règne sur la définition du statut de l'IAVFF, sur la délimitation de son périmètre et sur son mode de gouvernance. Le projet de loi ne mentionne même pas qu'il s'agit d'un établissement public ! Il maintient sans raison une distinction entre les écoles agronomiques et vétérinaires incorporées sans délai et sans liberté de choix, d'une part, et les organismes de recherche qui pourront adhérer ultérieurement et volontairement, d'autre part. Il demeure peu précis sur la structuration de l'institut et sur les équilibres à respecter dans la composition de son conseil d'administration.

Au fond, qu'est-ce que l'IAVFF ? Au cours des auditions que j'ai menées, j'ai entendu toute une série d'interprétations : l'IAVFF serait à la fois un Parlement de l'enseignement supérieur agricole, un canal de transmission de la politique ministérielle, une agence de projets, soit comme maître d'ouvrage, soit comme financeur, un opérateur de formation, une marque internationale...

Il me semble particulièrement difficile de nous prononcer sur la création d'un objet aux contours aussi indéfinis.

Il manque également une vision claire de l'articulation avec la nouvelle structuration du paysage universitaire. Comment la politique de l'IAVFF sera-t-elle articulée avec les politiques de site menées dans les communautés d'universités et d'établissements auxquelles appartiennent les écoles agronomiques et vétérinaires ? Il ne suffit pas de constater que, d'un point de vue logique et juridique, il n'existe pas de contradiction entre les textes de loi ; il faut également s'assurer de la cohérence de leurs orientations et des effets de leur application concrète. Le poids des politiques de sites contraindra nécessairement l'action de l'institut, il faut l'anticiper.

Le projet Saclay ne déterminera-t-il pas les conditions de participation d'AgroParisTech à l'IAVFF ? Comment l'IAVFF prendra-t-il en compte l'inscription de l'école nationale vétérinaire d'Alfort (ENVA) dans une communauté d'universités avec l'Université Paris-Est Créteil, l'Université Paris-Est Marne-La-Vallée, l'école des Ponts, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), l'établissement français du sang, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) entre autres ? Les mêmes questions se poseront pour tous les membres de l'IAVFF.

Il existe bel et bien un risque d'orthogonalité avec la loi Fioraso, un risque d'enfermement ou de repli sur le champ agricole. Ce serait dommageable pour tous les acteurs, mais en particulier pour les écoles vétérinaires. Elles ont vocation à tisser des partenariats avec les facultés de médecine et des organismes de recherche extérieurs au ministère de l'agriculture comme l'INSERM et l'Institut Pasteur.

En matière de financement, je m'inquiète du recours de l'IAVFF à des fonds privés dans des domaines sensibles qui touchent à l'alimentation et à la santé publique, mais également d'une ponction sur les ressources des écoles - elles s'en inquiètent également - surtout quand leur situation budgétaire est déjà très difficile, comme à MontpellierSupAgro ou à Alfort.

Considérant les incertitudes et les risques qui grèvent la création de l'IAVFF, je vous avoue pencher pour se dispenser d'un tel institut. Je vous proposerai donc, à titre personnel, un amendement de suppression. Cependant, la commission m'ayant chargée de construire une position commune qui pourrait être portée devant nos collègues de la commission des affaires économiques saisie au fond du projet de loi, je vous présenterai des amendements de repli, pour préciser le texte.

Mon avis résulte d'un travail de plusieurs mois. En vingt-deux auditions et déplacements, j'ai rencontré toutes les parties concernées. Ce texte est complexe, il demande d'authentiques arbitrages. J'ai travaillé à bâtir une position qui puisse être partagée par la commission et mes amendements reflètent cette volonté de critique constructive.

Sous réserve de l'adoption de mes amendements, je vous proposerai de rendre un avis favorable à l'adoption des dispositions du projet de loi dont notre commission s'est saisie.

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