Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos se situe, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi de finances, dans la perspective du futur projet de loi sur la réforme de la fonction publique.
En effet, l'examen du budget de la fonction publique, et notamment de son budget de fonctionnement, conduit chaque année à s'interroger sur l'efficacité économique du système administratif français. Faute de parvenir à le réformer radicalement de l'intérieur, c'est de la contrainte extérieure librement consentie, puisque venue du droit de l'Union européenne, que viendra peut-être le salut, notamment dans le domaine des relations entre l'Etat, les collectivités publiques, et leurs agents.
Ces dernières années, la fonction publique française a évolué sous l'influence du droit communautaire, mais cette évolution s'est faite à reculons. Or les préconisations du droit européen ne sont pas motivées par le seul principe de liberté de circulation et de non-discrimination en fonction de la nationalité. Elles visent à diffuser au sein de l'administration une culture managériale qui lui fait souvent défaut, mais aussi, on l'oublie trop souvent, à améliorer le droit du travail.
Le domaine du droit du travail est au coeur de ces différentes exigences et pose la question de la transposition du droit communautaire dans le droit français de la fonction publique. En ce domaine, la frilosité du législateur n'a d'égale que celle du juge administratif, Conseil d'Etat en tête, puisque ni l'un ni l'autre ne se résolvent à transposer des directives vieilles de cinq ans, au mépris des engagements communautaires de la France.
Le droit communautaire considère que la forme normale de travail est, aux termes de la directive n° 1999/70/CE du Conseil des ministres du 28 juin 1999 - qui aurait dû être transposée avant le 10 juillet 2001 ! -, la relation de travail à durée indéterminée.
Cela concerne non pas les agents titulaires, qui bénéficient de la garantie statutaire, mais les agents contractuels. Alors que le statut général pose, dans l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983, la règle de l'interdiction des contrats à durée indéterminée, à l'exception de certaines dispositions législatives sur lesquelles je reviendrai, la directive énonce au contraire que la forme générale de la relation d'emploi entre employeurs et salariés est le contrat à durée indéterminée.
Ce principe conduit à s'interroger sur la condition des agents liés à une collectivité par un contrat de droit public d'une durée maximale de trois ans qui, même régulièrement renouvelé, ne peut conduire à un contrat à durée indéterminée, puisque la jurisprudence du Conseil d'Etat - arrêt « Bayeux » du 27 octobre 1999 - l'interdit formellement.
La directive européenne incite donc à préciser les conditions du renouvellement du contrat, à fixer le nombre des renouvellements possibles ou la durée maximale de tous les contrats cumulés, à réglementer les cas et les conditions de renouvellement. Elle vise également à « prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs » et pose la condition que ces contrats ne soient utilisés que pour répondre à « des besoins de secteurs spécifiques » ou à « certaines catégories de travailleurs ».
Le droit français de la fonction publique ne répond en rien à ces engagements européens, puisque les « secteurs spécifiques » autorisés à maintenir des CDD n'ont jamais été définis.
Le législateur a pourtant introduit récemment des dérogations au principe de l'interdiction des CDI, avec la loi du 3 janvier 2001 sur la résorption de l'emploi précaire. Encore cette possibilité est-elle limitée aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale...
La Cour de cassation a suivi en transposant une directive du 12 mars 2001 pour la reprise, par une personne publique, d'un service public auparavant géré par une personne privée.
La Cour de justice des Communautés européennes, enfin, sur la base de la même directive, l'a confirmé pour la municipalisation d'activités associatives.
Le droit de la fonction publique doit donc être revu, comme le rapport du professeur Lemoyne de Forges le soulignait déjà en 2003, en distinguant les cas dans lesquels la nature et la spécificité des besoins des services justifient le recours à des contrats à durée déterminée, par exception à une nouvelle règle, celle du contrat à durée indéterminée.
Monsieur le ministre, il faudra rapidement mettre fin à la jurisprudence et à la législation restrictive actuelles, et encadrer sur le plan législatif les renouvellements de contrats à durée déterminée.
Mais l'introduction des contrats à durée indéterminée ne signifie pas simplement l'alignement sur le droit communautaire, car la cohabitation du statut et des CDD était fonctionnelle jusqu'à présent dans le système français. Dans un système administratif fondé sur l'emploi à vie, elle a permis au système de disposer d'une souplesse relative de gestion.
La cohabitation entre le statut et le CDI, la concurrence entre un régime statutaire où le contrat d'affectation sur emploi et les accords de performance deviendront la règle et un régime de CDI protégé contre les licenciements abusifs par le droit communautaire rendront la frontière toujours moins étanche, à l'heure de la mobilité généralisée et du travail à temps partiel, notamment pour les nouvelles générations de salariés du secteur public.
Cette tendance est d'autant plus vraisemblable que la pratique des recrutements, notamment dans les collectivités territoriales, est surtout régie par la loi de la pénurie et non par des critères tels que les emplois spécifiques ou régaliens : sont contractuels les agents dont on ne parvient pas à assurer le recrutement dans le cadre des emplois statutaires, quitte à faciliter ensuite leur intégration dans la fonction publique en assurant leur formation. Mais chacun sait que les contrats négociés sont ensuite consolidés lorsqu'ils deviennent des emplois statutaires.
S'il n'est pas souhaitable de contractualiser toute la fonction publique, à l'exemple de l'Italie, de la Finlande ou de la Suède, il n'est pas envisageable d'aborder sérieusement la modernisation de l'administration et la diminution du poids excessif de la masse salariale sur les budgets de fonctionnement sans appliquer sans crainte le droit communautaire. Celui-ci, comme dans de nombreux autres domaines, est d'abord le levier qui accélérera la modernisation de l'Etat et des autres collectivités publiques, sans remettre en cause la protection de leurs agents, mais en la garantissant autrement.
N'est-il pas temps, monsieur le ministre, de s'engager résolument dans l'application de mesures européennes que la France est censée appliquer depuis quatre ans et qui permettront à l'Etat d'améliorer durablement sa gestion ?