Intervention de Alain Bauer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 février 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de M. Alain Bauer professeur de criminologie

Alain Bauer, professeur de criminologie :

Je ne commenterai pas nos points d'accord. Introduire l'habeas corpus sans oser le dire serait la pire des choses. Le Parlement doit assumer sa décision. Le Sénat a toujours défendu la liberté, j'en veux pour illustration son intervention en faveur de la liberté des ondes avant 1981 ; le moment est venu pour lui d'interdire toute détention arbitraire. Je regrette que le projet de loi soit un petit texte de rapiéçage bâti autour d'une vengeance sur un point précis. La justice pénale, les parlementaires, le Gouvernement, la ministre de la justice valaient mieux que cela.

Le temps d'un débat sur l'échevinage est venu : les décisions de justice seront mieux acceptées par nos concitoyens s'ils ont participé à leur élaboration. On accepte que les citoyens jugent les mineurs et les crimes les plus graves, il n'y a pas de raison de les exclure pour les autres infractions. S'ils sont assez compétents pour élire des parlementaires, ils peuvent participer au processus pénal dans des conditions où le professionnalisme du juge garantit le bon fonctionnement du système.

Cessons de glorifier l'aveu, adoptons la logique de la preuve, en vigueur aux États-Unis et dans d'autres pays d'Europe, où l'aveu vient éventuellement parfaire l'enquête. Aux États-Unis, la procédure de « plaider coupable » permet de ne passer que 10 % des affaires en moyenne devant les tribunaux - les cas les plus compliqués et les plus lourds. Les autres cas donnent lieu à négociation avec le procureur, avant validation par le juge.

Sur la contrainte pénale, nous pourrions nous inspirer de l'Allemagne qui a supprimé de son code pénal la peine de prison pour la quasi-totalité des délits. Seules 20 % des infractions, contre 60 % chez nous, donnent lieu à un emprisonnement. La « prison pour tous », contournée dans la plupart des cas, doit être écartée. Et il faut expliquer pourquoi ! Nous sommes sortis du bagne et des galères en vigueur il y a 300 ans, nous avons aboli la peine de mort, nous pouvons supprimer la prison, en la conservant pour les cas les plus graves, sans automaticité des aménagements.

Il est très difficile de se prononcer sur le dispositif des peines planchers car les magistrats ont réinterprété la logique de la loi. Depuis son vote, le quantum de peine a augmenté, le nombre de décisions lié au minimum a augmenté, y compris pour certains délits dont on n'imaginait pas qu'ils seraient les premiers concernés, les escroqueries par exemple, ou des infractions graves pour lesquelles les peines étaient auparavant étonnamment faibles. Je donnerai mon avis sur les peines planchers le jour où nous en aurons une évaluation honnête. Je ne suis pas un tenant de cette mesure comme un mécanisme naturel. Les conditions d'aggravation des peines en cas de récidive existaient avant la loi et n'étaient pas totalement inutilisées. Les peines qui ont été alourdies depuis n'ont pas toujours été celles qu'on pensait.

Un mot de la contraventionnalisation de l'usage des stupéfiants. Je ne suis pas favorable à la libre circulation des produits stupéfiants dans ce pays, notamment pour des raisons morales extérieures au champ de mon expertise technique. Mais il faut que le système soit efficace. On ne peut pas arrêter des dizaines de gens pour aboutir à des injonctions thérapeutiques ou à des décisions judiciaires incohérentes. Pour les mêmes faits, à la Roche-sur-Yon on est condamné à de la prison ferme, à Bobigny on reçoit presque des excuses pour l'interpellation subie ! Le pays est toujours un, il n'a pas été démembré, il y a donc des choix courageux à faire sur la répression de l'usage des drogues pour des raisons de santé publique. Cela a été fait sous la IIIème République lorsqu'on a traité des effets secondaires de stupéfiants dont la consommation avait énormément augmenté après la première guerre mondiale. La question a été abordée par les sénateurs de la République d'un point de vue social, médical et seulement ensuite, pénal. Le principal dealer du pays était la Régie française de l'opium, organisme d'État : le ministre du budget s'opposait à la prohibition pour maintenir les recettes fiscales. Je ne sais si la situation fiscale actuelle nécessite une telle évolution mais d'un point de vue pénal et médical, on devrait s'interroger sur les moyens de répression de la consommation des stupéfiants. La loi de 1970 est dans un état de déchéance absolue : elle n'autorise pas la consommation personnelle mais toutes ses circulaires d'application disent le contraire !

Un grand ménage est nécessaire ; le texte n'y procède pas. Le Gouvernement peut encore choisir de faire voter un grand texte pénal - le Parlement peut aussi le faire - ou décider de le retirer. La rédaction actuelle aura des effets négatifs, amplifiés par la crispation actuelle de la société française. Nous irons vers une régression pénale. Je suis plutôt un répressif, et voilà que je prône l'amélioration de la sanction. C'est que je ne suis pas dans une logique angélique mais pragmatique. Le texte doit être complété : l'habeas corpus, les jurys, la contrainte pénale doivent y trouver leur place. Les enjeux majeurs sont à portée de main. Je crains que cela ne se termine pas comme je le souhaite - la politique est ainsi faite - mais il est possible de réussir une vraie réforme pénale à condition de dépasser les imprécations, les lamentations et les claquements de pupitres.

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