La création du Contrôleur général est effectivement un atout formidable, mais son travail relève non pas de l'évaluation, mais de la dénonciation de pratiques illégales ou condamnées par le Comité européen de prévention de la torture. La France est condamnée plus souvent qu'à son tour, soit dit en passant, et ce n'est pas à son honneur. L'évaluation se fait à partir de règles scientifiques stables. Elle est hors du champ de l'évènement, du spectaculaire. J'habite à côté de Littleton, aux États-Unis, où eut lieu le massacre de Columbine : les Européens ont imaginé alors que l'ensemble du système scolaire américain était à feu et à sang ; c'est en fait l'année où il y a eu le moins de violences ou de meurtres dans les établissements ! Plus l'évaluation est faite scientifiquement par des organismes indépendants, plus on peut séparer la réalité du fait divers. C'est un problème majeur : ce n'est pas que la réalité soit travestie par le fait divers, c'est que le fait divers est seul. Nous, gens du métier, ne pouvons fonder notre réflexion que sur un sentiment - né de nos observations - et sur des études partielles financées de bric et de broc, avec souvent la mauvaise volonté remarquable des institutions que nous sommes censés servir. Aucune évaluation n'a été faite de l'efficacité des peines plancher. Une petite étude confidentielle, d'une rare honnêteté, est passée totalement inaperçue. On croit que rien n'a été fait sur le sujet, mais Pierre-Victor Tournier a recensé toute une liste d'études sur la récidive que personne n'a lues ou comprises. Nous avons des outils dispersés, tels que l'enquête de victimation, qui nous apprend bien des choses sur la violence intrafamiliale par exemple, mais nous ne disposons toujours pas d'outil complet sur la réponse pénale.
L'introduction de la contrainte pénale vise à remettre la prison à sa place, avec moins de peines avec sursis, moins de peines non exécutées ; des dispositifs qui sont aujourd'hui complémentaires ou alternatifs sont quant à eux développés à part entière. J'ai conseillé la police de New York pendant la grande crise de la criminalité. Aujourd'hui la criminalité s'est effondrée, il y a si peu d'homicides que le seul point de comparaison se situe dans les années soixante. Beaucoup de gens ont été mis en prison par application de la loi anti-récidive, des peines plancher et de la règle du « three strikes and you're out », qui a éliminé le noyau dur de la population délinquante. Tous les récidivistes ont été emprisonnés, y compris les fraudeurs dans le métro. Le taux d'emprisonnement est monté en flèche, augmentant la discrimination, car les Hispaniques et Afro-américains étaient majoritaires en détention, mais il y avait aussi des Italo-américains. Le système criminel new-yorkais s'est entièrement recomposé. Depuis quatre ans, les prisons se vident et la criminalité ne reprend pas : il s'agit donc bien d'un processus différent de la simple élimination sociale par la prison. L'essentiel de l'accompagnement a été communautaire. Les mineurs ne vont pas tout de suite en prison, mais la peine communautaire, indépendante, est immédiate : ce ne sont pas 60 %, mais 80 % ou 85 % qui ne recommencent pas, ce qui élimine l'organisation des gangs. À Los Angeles, c'est la même chose.