Intervention de Christine Lazerges

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 février 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de Mme Christine Lazerges présidente M. Pierre Lyon-caen avocat général honoraire à la cour de cassation et M. Hervé Henrion conseiller juridique commission nationale consultative des droits de l'homme

Christine Lazerges, présidente de la CNCDH :

La CNCDH prépare un avis sur le projet de loi qui sera adopté en assemblée plénière, le 27 mars. Nous vous le ferons parvenir le 28 mars, mais nous vous transmettrons dès aujourd'hui une note sur cet avis en préparation.

Notre commission s'est toujours insurgée contre la procédure accélérée. Elle se félicite que tel n'ait pas été le cas pour un projet de loi de cette importance. Elle se félicite également du travail que la Conférence de consensus, mise en place par Mme la Garde des sceaux, a effectué en amont : des experts ont été entendus, nous avons nous-mêmes été auditionnés et nous avons rendu un avis en février 2013 sur la prévention de la récidive, avis que nous vous transmettrons. La CNCDH est très attachée à ce que le projet de loi respecte aussi strictement que possible les conclusions de la Conférence de consensus. Nous avons été déçus de constater que ce n'était pas le cas. Parfois même, le texte trahit ces conclusions sur des points majeurs - le terme est revenu plusieurs fois au cours de nos auditions. Le projet de loi est audacieux et rompt avec la politique criminelle de la décennie précédente, mais en l'état, il reste inabouti : nous attendons du Sénat des améliorations sensibles.

L'audace du texte est d'affirmer haut et fort le principe de l'individualisation de la peine. Jusqu'alors, ce principe n'apparaissait qu'en filigrane dans le code pénal. Le texte reste néanmoins insuffisant, car il cantonne ce principe au prononcé de la peine sans l'élargir à la phase d'exécution. Nous souhaitons qu'un amendement comble cette lacune.

Nous nous félicitons de la suppression des peines plancher, de l'absence d'automaticité de la révocation des peines d'emprisonnement assorties d'un sursis : une année d'emprisonnement voire plus pour des fautes parfois peu importantes, c'est une atteinte au principe de proportionnalité des peines. Une autre satisfaction nous vient de la consécration de la césure du procès pénal. La note écrite détaille ce point qui est une avancée vers une philosophie pénale humaniste. L'affirmation claire et nette du droit à la réinsertion est également une bonne chose. La conversion individuelle du délinquant ne signifie pas sa réinsertion, qui ne peut se faire sans une mobilisation de la société civile. La contrainte pénale dans la communauté ne pourra pas fonctionner sans la participation de toute la société civile, la communauté incluant l'État, les collectivités territoriales et les associations. Enfin, il est capital de rappeler la subsidiarité du prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme. Notre commission a fait une recommandation, il y a un an, en faveur de la suppression des courtes peines d'emprisonnement, pourvoyeuses de récidive. La suppression des peines de moins de six mois suffirait à régler le problème de la surpopulation pénale. Ce serait le début de la sagesse. La peine de prison doit être la plus subsidiaire possible, même si elle reste la peine de référence par excellence.

À notre grand regret, le manque de lisibilité de la contrainte pénale rend ce projet de loi inabouti. La Conférence de consensus proposait une troisième peine de référence qu'elle appelait la probation et qui supposait un toilettage du code pénal. En l'état du texte, ce toilettage ne sera pas nécessaire, car la contrainte pénale est une peine ambiguë et lourde, qui peut être sans proportion avec la faute commise. Cinq ans d'accompagnement avec des contrôles lourds pour une faute dont la peine était précédemment de six mois avec sursis : cela manque de mesure et bafoue le principe de proportionnalité.

Michel Foucault recommandait de ne pas faire du corps social un « milieu ouvert de super-contrôle » en y diffusant les fonctions carcérales. L'ambiguïté de la contrainte pénale tient à ce qu'elle est un faux jumeau du sursis avec mise à l'épreuve, car elle propose les mêmes obligations à l'exception du travail d'intérêt général et de l'injonction thérapeutique. Je ne partage pas le point de vue de M. Tournier qui prévoit à terme la suppression du sursis. Il n'est pas judicieux d'aller vers une société de contrôle à tout va. La contrainte pénale doit devenir une peine autonome de référence. Telle que le texte la propose, elle est une alternative à la prison complexe à mettre en place. Notre ambition est que l'Assemblée nationale et le Sénat fassent de la contrainte pénale une peine à part entière qui s'appliquerait dans des cas d'infraction précis. Nous en avons listé quelques-uns dans la note, délits routiers, usage de stupéfiants, atteintes peu graves aux personnes, droit de la famille... Dépoussiérons le texte ! Qui enverrait en prison un père qui a commis une infraction de non représentation d'enfant ?

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