Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a présenté, le 22 janvier dernier, en Conseil des ministres, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, dont l'objet principal consiste en la transposition législative de l'accord sur la formation professionnelle, conclu le 14 décembre 2013 entre les partenaires sociaux. Le calendrier d'examen de ce texte, qui fait l'objet de la procédure accélérée en vue d'une adoption définitive avant fin février, est donc particulièrement resserré. L'Assemblée nationale a adopté le texte vendredi dernier dans la nuit et nos collègues de la commission des affaires sociales examinent demain matin le rapport au fond de Claude Jeannerot.
Le champ des compétences concernées apparaît tout aussi large que celui de la précédente réforme de la formation professionnelle intervenue en 2009 et pour laquelle la constitution d'une commission spéciale avait été décidée par le Sénat, les commissions concernées à l'époque étant notamment celles des affaires sociales, des finances et de la culture. Aussi, avant de vous présenter plus en détail les dispositions que j'ai estimées utile d'examiner dans le cadre de la saisine pour avis de notre commission, je vous propose un rapide survol du projet de loi.
Le titre premier porte sur les réformes relatives à la formation professionnelle et à l'emploi et traduit, au niveau législatif, à la fois les dispositions de l'accord national interprofessionnel du 14 décembre et celles qui sont issues de la concertation Etat-régions-partenaires sociaux sur le compte personnel de formation. La question s'est posée de savoir si une saisine pour avis se justifiait pour les articles 4 et 5 qui réforment le régime de contributions obligatoires auquel sont soumis les employeurs, les conditions de versement aux organismes de collecte, et les modalités de gestion et d'utilisation des fonds collectés. Certes, les montants sont considérables mais le périmètre de la réforme, dont l'objet est de simplifier le régime de contribution des employeurs en mettant en place une contribution unique à un seul organisme et le compte personnel de formation (CPF), concerne les financements par les entreprises de la formation professionnelle, à l'exclusion des dépenses des collectivités publiques, des ménages et de la formation dans la fonction publique.
Le chapitre 2, relatif à l'emploi, procède à la réforme de l'apprentissage. Deux articles nous intéressent plus particulièrement, notamment parce qu'ils appliquent plusieurs des recommandations que j'ai émises en mars 2013 pour une réforme de la collecte et de la répartition de la taxe d'apprentissage : l'article 6 modifie les conditions de conclusion des conventions d'objectifs et de moyens (COM) conclues entre l'Etat et les régions (celles-ci ne seront plus obligatoires après le 31 décembre 2014) et l'article 9 procède à une refonte du dispositif de collecte de la taxe d'apprentissage en réduisant le nombre d'organismes de collecte de la taxe d'apprentissage (OCTA) de 147 à 46.
Le chapitre 3 traite de la décentralisation aux régions des compétences de l'Etat en matière de formation professionnelle de publics spécifiques privés d'emploi. L'article 11 confie aux régions l'organisation et le financement du service public régional de la formation professionnelle et procède au transfert de l'Etat vers les régions de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle. La question du financement des transferts de compétences opérés par l'Etat vers les régions est traitée par l'article 15.
Le titre II, relatif à la démocratie sociale, organise les conditions de reconnaissance de la représentativité patronale (article 16) et syndicale (article 17). Dans ce cadre, l'article 18 doit tout particulièrement retenir l'attention car il réforme le financement des organisations syndicales et patronales en créant un fonds paritaire dont les ressources émaneraient des employeurs, des organismes paritaires et de l'Etat.
Enfin, le titre III, relatif à l'inspection du travail, relève de la compétence au fond de la commission des affaires sociales.
Après ce passage en revue des articles du projet de loi, j'ai considéré que cinq articles pouvaient justifier la saisine pour avis de la commission des finances : l'article 9, qui procède à une refonte du dispositif de collecte de la taxe d'apprentissage ; les articles 9 bis et 9 ter, adoptés par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement pour remédier à la censure du Conseil constitutionnel sur plusieurs dispositions de l'article 60, portant réforme de la taxe d'apprentissage, de la loi de finances rectificative pour 2013 ; l'article 15, qui prévoit la compensation par l'Etat des transferts de compétences aux régions prévus aux articles 6 et 11 en matière d'apprentissage et de formation professionnelle ; enfin, l'article 18, qui réforme le financement des organisations syndicales et patronales en créant un fonds paritaire dont les ressources émaneront des employeurs, des organismes paritaires et de l'Etat.
Je vous propose de passer à l'examen des articles et des amendements que je vous présenterai en même temps.
L'article 9 vise plusieurs objectifs :
- l'harmonisation, au niveau national, de la méthodologie de calcul utilisée par l'ensemble des régions pour déterminer le coût de formation fixé dans la convention de création des CFA ;
- la rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (OCTA) au niveau national et régional ;
- la clarification des missions des OCTA et de leurs règles de gestion au moyen d'une convention d'objectifs et de moyens ;
- l'instauration d'une nouvelle procédure d'affectation des fonds dits libres, non affectés par les entreprises, mettant en oeuvre les OCTA en concertation avec la région.
Mon amendement n° 1 a pour objet de clarifier les conditions de répartition des fonds du solde du quota non affectés par les entreprises, en renforçant le rôle de la gouvernance régionale dans le cadre d'une concertation organisée par la région avec l'ensemble des acteurs de l'apprentissage au sein du comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles.
Je propose qu'à l'issue d'une concertation sur la proposition des organismes de collecte, la région décide de la répartition des fonds dits « libres » qui ne sont pas affectés par les entreprises. Cet amendement reprend la recommandation que j'ai formulée l'an dernier tendant à confier aux régions la gouvernance des fonds non affectés par les entreprises. Cette position en faveur de la gouvernance régionale ne remet nullement en cause la capacité des entreprises à continuer à affecter librement une partie du produit de la taxe d'apprentissage. Je sais que le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement mais je préfère défendre cette position « maximaliste » quitte à adopter en séance une solution de repli permettant aux OCTA de continuer à procéder à leurs propres versements, par décision motivée, si les versements en question ne sont pas conformes aux recommandations émises par la région.
Mon amendement n° 2 vise à étendre aux organismes de collecte de la taxe d'apprentissage l'application des dispositions, introduites à l'initiative du Sénat dans le cadre de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, prévoyant la conclusion d'une convention triennale d'objectifs et de moyens entre les organismes de collecte paritaires agréés et l'Etat, ainsi que la publication triennale d'un bilan d'évaluation.
Les articles 9 bis et 9 ter visent à rectifier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013 qui a censuré, faute d'être suffisamment précis, plusieurs alinéas de l'article 60, portant réforme de la taxe d'apprentissage, de la loi de finances rectificative pour 2013 relatifs aux règles d'affectation du produit de la taxe d'apprentissage.
Ces deux articles prévoient de rétablir les dispositions censurées, en veillant à préciser, dans la loi, le taux de la fraction du quota de la taxe d'apprentissage réservée au développement de l'apprentissage (21 %) et celui du hors quota au titre des dépenses réellement exposées, en vue de favoriser les formations technologiques et professionnelles initiales (23 %).
À l'article 9 ter, mon amendement n° 3 vise à assurer une coordination rédactionnelle avec les dispositions d'entrée en vigueur communes avec l'article 9 bis.
L'article 15, quant à lui, prévoit la compensation par l'Etat des transferts de compétences aux régions prévus en matière de formation professionnelle et d'apprentissage.
Concrètement, le cabinet du ministre m'a répondu que l'évaluation des montants de compensation nécessitait un travail d'expertise complémentaire, associant l'ensemble des ministères concernés (travail, éducation nationale - pour les CFA nationaux -, budget, décentralisation, etc...), auquel il sera procédé dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2015. Toutefois, les ordres de grandeurs estimatifs suivants m'ont été donnés :
- la régionalisation des CFA nationaux (plus de 1,5 million d'euros), reportée à plus tard par l'Assemblée nationale ;
- les formations visant à garantir l'acquisition du socle de connaissances et de compétences pour les personnes à la recherche d'un emploi (environ 50 millions d'euros) ;
- la formation des personnes sous main de justice et des Français hors de France (plus de 10 millions d'euros) ;
- l'accompagnement vers la validation des acquis de l'expérience (VAE) et sa promotion (environ 5 millions d'euros) ;
- enfin, la prise en charge de la rémunération des stagiaires handicapés et autres publics spécifiques (plus de 100 millions d'euros).
Soit un total estimatif de 166,5 millions d'euros dans une fourchette estimative allant de 150 à 200 millions d'euros.
À la question de savoir comment ces transferts de compétences seront financés, il m'a été répondu que la nature de la recette de compensation sera précisée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, soit par dotation, soit par affectation d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation de produits énergétiques (TICPE).
Mon amendement n° 4 à l'article 15 est rédactionnel.
Enfin, je terminerai l'examen de ce projet de loi par l'un de ses articles emblématiques, à savoir l'article 18, relatif à la réforme et la modernisation du financement du paritarisme. Il s'agit de sortir de la logique d'opacité consistant à mobiliser des fonds issus de la gestion paritaire d'organismes et de mettre en place un système transparent de financement du coût du dialogue social centralisé dans un nouveau fonds paritaire. Il s'agit d'instaurer un financement mutualisé à coût constant avant et après la réforme et neutre pour les entreprises, la fourchette de prélèvement s'inscrivant entre 75 millions d'euros au titre du taux minimal de la contribution des entreprises (0,014 % de la masse salariale nationale) et 110 millions d'euros au titre du taux maximal fixé par la loi (0,02 % de la masse salariale).
Peut s'y ajouter une contribution supplétive des organismes paritaires pour un montant compris entre 0 euros et 35 millions d'euros.
Enfin, la contribution de l'Etat au titre du programme 111 de la mission « Travail et emploi » se décompose entre les sommes aujourd'hui acquittées au titre de la formation économique, sociale et syndicale (23 millions d'euros) et une contribution, au titre de la participation des partenaires sociaux à la construction des politiques publiques, que l'on peut estimer à 5 millions d'euros. Au total, la subvention de l'Etat pourrait donc s'élever à 28 millions d'euros mais nous y reviendrons lors de l'examen de la prochaine loi de finances.
Au total, le budget global du fonds paritaire pourrait s'établir au minimum à 140 millions d'euros. Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des articles 9, 9 bis, 9 ter, 15 et 18, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous ai présentés.