Ce projet de loi est riche, dense, et cohérent. Ses dispositions sont techniques car la réforme est profonde.
On aurait pu craindre que les négociations entre partenaires sociaux ne mènent qu'à une réforme partielle de la formation professionnelle, peu aboutie et peu pertinente, comme cela s'est produit, malheureusement, à de nombreuses reprises dans le passé. La formation professionnelle est inadaptée aux enjeux de l'économie française et des entreprises qui ont besoin d'utiliser leur seule véritable richesse, celle des compétences des hommes et des femmes qu'elles emploient. Cette réforme propose aussi une réponse au formidable défi de la promotion individuelle et personnelle, afin de réparer ce fameux ascenseur social dont tout le monde constate les dysfonctionnements.
Pendant des années, après 1971, date de sa mise en place, le système de la formation professionnelle a rendu possible une promotion sociale de grande ampleur et une montée collective en compétences décisive pour toute la société française. Mais la progression s'est tarie ; et bien souvent ne plus progresser signifie régresser. Il fallait réformer.
Je craignais que les partenaires sociaux ne choisissent le plus petit dénominateur commun. Ce ne fut heureusement pas le cas. Ils ont préféré changer de paradigme, grâce à un concept nouveau, le compte personnel de formation (CPF), né avec l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l'emploi et que le projet de loi transforme en réalité tangible.
Beaucoup d'entre nous, sur tous les bancs, souhaitaient un compte personnel attaché à la personne et non plus au statut, portable quelle que soit la situation administrative et d'emploi, quels que soient le cursus professionnel et les accidents éventuels de parcours professionnel, à commencer par le chômage. Il s'agit d'une révolution, aussi profonde que tranquille. Le projet de loi ne traite pas seulement de formation professionnelle : il comporte des avancées significatives en matière de démocratie sociale et de réforme l'inspection du travail.
Il ne s'agit pas pour autant d'un texte fourre-tout, mais d'un ensemble cohérent. En effet, la formation professionnelle inclut l'alternance. Pour réformer globalement, nous devions l'améliorer. Il fallait aussi traiter une question épineuse, qui a donné lieu à de nombreux rapports, parfois secrets, celle du lien, historique, entre le financement de la formation professionnelle et le financement du paritarisme. Beaucoup d'entre nous, quelle que soit notre couleur politique, ont trouvé ce lien étrange, parfois préjudiciable. Le projet de loi, fruit d'un dialogue avec les partenaires sociaux, règle cette question, revenue sur le devant de l'actualité depuis une décision de justice récente. Les deux financements sont chacun confortés, mais rendus indépendants l'un de l'autre. La réforme de la formation professionnelle aurait été incomplète si elle n'avait pas traité cette question.
Le paritarisme et le dialogue social supposent des règles de représentativité claires et incontestables. Dès lors que la loi ouvre de nouveaux espaces de négociation au sein des entreprises, il est nécessaire de disposer de représentants à la légitimité incontestée. Quel est le critère le plus objectif de cette légitimité ? La représentativité. La réforme a été réalisée du côté syndical, grâce à Gérard Larcher, dont je salue l'action. Mais la question de la représentativité patronale restait pendante. Nous comblons ce manque.
Ce texte renforce la décentralisation et le pouvoir des régions. Que n'aurait-on pas dit si une réforme de la formation professionnelle ne traitait ni du pouvoir des régions ni de sa gouvernance au niveau territorial ? C'est au plus près du tissu économique et des besoins des territoires qu'un pilotage a du sens et est efficace.
Quelle aurait été la portée de cette grande réforme si nous ne nous étions pas interrogés sur les moyens de mon ministère pour la faire respecter ? Il fallait renforcer les pouvoirs de mon administration avec une inspection du travail forte et organisée pour répondre aux défis d'aujourd'hui.
Le projet de loi est le fruit du dialogue social : l'accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 sur la formation professionnelle, de larges consultations sur l'apprentissage, sur le compte personnel de formation, sur la représentativité patronale et sur la réforme du ministère, au cours de laquelle plus de 3 000 agents se sont exprimés. Le projet de loi en tire une vision consolidée, globale et cohérente. Comme la loi de sécurisation de l'emploi, il s'agit d'un texte fondateur, voire refondateur. Telle est ma conviction : la réforme est possible, en France, par le dialogue, avec des gagnants des deux côtés, en dépassant les conflits d'intérêts grâce à la négociation et au compromis, chacun en sortant la tête haute, fier d'avoir contribué à la transformation du système. Il est impossible d'agir avec brutalité et de manière unilatérale. On ne peut réformer qu'avec les acteurs, lorsque ceux-ci mettent leur expertise au profit du changement.
Ce texte, dans le droit fil de la loi de sécurisation de l'emploi, met en oeuvre l'innovation majeure que constitue le compte personnel de formation. Il réoriente les fonds vers ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d'emploi, les salariés les moins qualifiés, les jeunes en alternance et les salariés des petites entreprises. Il fait également le pari de la responsabilisation des acteurs, avec la suppression du fameux taux de 0,9 % de la masse salariale consacré légalement au plan de formation de l'entreprise. Ainsi, la formation d'adaptation au poste de travail relèvera de chaque entreprise, indépendamment de toute obligation de financement. L'obligation de financer se portera sur d'autres actions de formation professionnelle, d'intérêt général. Nous croyons en la responsabilité des acteurs et nous leur en donnons les moyens.
Avec ce texte, les dépenses de formation ne sont plus considérées comme une obligation légale, mais comme un investissement au sein de l'entreprise, et même indépendamment du statut de la personne. Les chômeurs sont d'anciens salariés mais aussi de futurs salariés. Les entreprises ont intérêt à contribuer à la formation des chômeurs : combien de postes restent vacants, faute de personnel qualifié ?
Ce projet fait le pari du dialogue social, conformément au choix de ce Gouvernement. Au niveau collectif, ce dialogue se nouera avec les institutions représentatives du personnel, dans le cadre de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise sur le plan de formation et l'abondement du CPF, ainsi qu'avec les organisations syndicales, dans le cadre de la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Le volet « démocratie sociale » du projet de loi parachève des années de réflexions sur la représentativité, en tranchant la question laissée pendante de la représentativité patronale, mais aussi en traitant, enfin, la question du financement des partenaires sociaux. Le dialogue social apparaissait trop souvent comme une « boîte noire ». Il sera désormais exemplaire et concernera toutes les organisations syndicales et patronales.
Ce texte apporte ensuite des modifications profondes à la formation professionnelle. L'ANI du 14 décembre dernier, puis le projet de loi, marquent l'aboutissement de dix années de négociations. Une véritable refondation était nécessaire, 40 ans après la grande loi de 1971.
Le compte personnel de formation permettra à chacun de connaître ses droits et de les conserver, quels que soient les changements professionnels. On passe d'un droit déterminé en fonction du statut à un droit attaché à la personne. Aujourd'hui, un jeune au chômage dispose de quelques droits à la formation en s'adressant à la mission locale ; les salariés acquièrent des droits au sein de l'entreprise, mais les perdent en la quittant, à l'exception des dispositions du droit individuel à la formation (DIF) qui fonctionne mal ; quant aux chômeurs, ils ont le moins de droits à la formation. Désormais, une continuité prévaudra, avec un socle minimum et des abondements supplémentaires pour ceux qui en ont le plus besoin.
Le projet comporte plusieurs dispositions sur l'emploi et l'apprentissage. Dans le prolongement de la grande conférence sociale, il s'agit de créer les conditions pour développer l'apprentissage et tenir l'objectif de 500 000 jeunes en apprentissage à la fin du quinquennat en 2017. C'est pourquoi le texte transfère la collecte de la taxe d'apprentissage aux organismes collecteurs paritaires agréés (Opca) et garantit son orientation vers le financement de l'apprentissage, tout en précisant les modalités de sa répartition, comme le Conseil constitutionnel l'a demandé. Il sécurise les parcours professionnels des apprentis, avec, en particulier, la création du contrat d'apprentissage à durée indéterminée qui répond notamment aux attentes des TPE qui souhaitent fidéliser les apprentis qu'elles forment.
Le projet assouplit également le contrat de génération. J'entends beaucoup d'erreurs à ce sujet : il ne s'agit pas d'obliger les entreprises à signer des contrats de génération sous peine d'amende, ce qui serait absurde, mais d'ouvrir plus facilement aux entreprises de 50 à 300 salariés l'accès aux contrats de génération. Ce texte réforme aussi le financement de l'insertion par l'activité économique.
Ces avancées n'auront de portée que si elles sont concrètement appliquées. Ces droits nouveaux ne seront effectifs que s'ils sont respectés. C'est pourquoi le projet de loi comporte un titre III, très commenté, sur la réforme de l'inspection du travail. Le débat au Sénat offrira l'occasion de lever les craintes. L'inspection du travail est une institution centenaire qui fait face à un monde du travail dont les conditions économiques et sociales changent en profondeur. En effet, le véritable décisionnaire économique est souvent une multinationale lointaine, invisible, insaisissable. Or c'est lui qu'il faut atteindre. Nous devons compléter, mais non supprimer, la réponse de terrain par une réponse plus spécialisée. Pourquoi ne pas s'inspirer des pôles de magistrats constitués contre la grande délinquance financière, pour lutter contre le travail illégal ou les abus de détachement des travailleurs européens ? Ces problèmes ne peuvent être traités entreprise par entreprise, il faut une approche globale, tout en maintenant une réponse généraliste et de proximité.