Intervention de Alain Fauconnier

Commission des affaires économiques — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié mon810 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain FauconnierAlain Fauconnier, rapporteur :

Le Parlement européen, qui a recommandé le 16 janvier dernier de ne pas autoriser sa mise en culture, ne dispose pas d'un pouvoir de codécision en la matière. Quant aux États membres, ils n'ont pas réuni la majorité qualifiée nécessaire pour s'opposer à cette autorisation. Celle-ci semble inévitable, alors même que, depuis 2008, les États membres demandent une révision et un renforcement des méthodes d'évaluation des risques environnementaux des plantes génétiquement modifiées.

Cette variété nécessite en effet des études précises concernant notamment sa tolérance à l'herbicide glufosinate. La Commission européenne elle-même n'a fait avancer que très lentement ce dossier, déposé il y a treize ans. Une décision de la Cour de justice de l'Union européenne de novembre 2013 l'a obligée à relancer la procédure, mais rien ne l'obligeait à proposer immédiatement l'autorisation de cette variété.

Sans avoir vocation à remplacer le scientifique, le législateur peut constater qu'un grand nombre de questions ne font pas l'objet d'un consensus parmi les experts et mettre en perspective les aspects techniques : une mise en culture généralisée des maïs génétiquement modifiés pose des questions d'ordre économique, social et environnemental. C'est pourquoi la France a institué un Haut conseil des biotechnologies, qui évalue l'impact de ces technologies sur l'environnement et la santé publique mais étudie également leurs conséquences économiques, sociales et éthiques.

L'impact sanitaire des OGM demeure controversé, faute de tests prouvant, sur le long terme, la sécurité sanitaire de ces produits pour l'alimentation. Peu d'expérimentations ont été réalisées par des instances scientifiques indépendantes ; celles-ci rencontrent des difficultés pour accéder aux données ou manquent tout simplement de moyens.

Les effets des OGM sur l'environnement sont complexes à déterminer. Nous manquons de recul pour apprécier l'évolution des écosystèmes dans la durée. Les scientifiques débattent de leurs conséquences sur la biodiversité ou de leur contribution à la limitation de la quantité de pesticides diffusés dans la nature. En effet, la diffusion de pesticides ne diminue pas automatiquement avec les maïs génétiquement modifiés : soit ils tolèrent un herbicide, facilitant ainsi son épandage, soit ils produisent eux-mêmes un produit insecticide dont les effets doivent être évalués plus précisément. Il s'y ajoute des phénomènes complexes de développement de résistance aux herbicides, tandis que les insectes visés peuvent être remplacés par d'autres tout aussi nuisibles aux cultures.

Or, dans un bilan avantages-inconvénients, il ne suffit pas d'examiner les inconvénients : encore faut-il démontrer que les avantages attendus méritent d'agir. Les techniques de manipulation génétique promettent la mise au point de plantes à très haut rendement et haute valeur nutritive, résistantes à la sécheresse ou à l'eau salée, aptes à contribuer à la réduction de la faim dans le monde. Peut-être les chercheurs parviendront-ils à mettre au point de telles plantes à un coût raisonnable. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui des maïs génétiquement modifiés, qui facilitent surtout une forme d'agriculture intensive fondée sur l'épandage à grande échelle d'un herbicide. Voulons-nous privilégier ce modèle ?

Les OGM semblent difficilement compatibles avec des exploitations de taille moyenne, car ils nécessitent la mise en place de distances minimales par rapport aux autres cultures pour éviter la contamination, mais aussi de zones refuges pour retarder l'apparition de résistances chez les insectes. Certains remettent d'ailleurs en cause les avantages économiques pour les agriculteurs, compte tenu du coût élevé des semences et des contraintes de leur mise en culture.

Ces semences font l'objet de brevets qui, en empêchant les agriculteurs de réensemencer leurs champs avec leur récolte, les rend dépendants des multinationales - je vous renvoie aux travaux de notre commission sur les obtentions végétales. En effet, le brevet rend impossible l'utilisation d'une invention brevetée ou de ses fruits sans l'accord, moyennant paiement, de son propriétaire, au risque de placer l'utilisateur dans une situation de dépendance totale. Une autorisation de la mise en culture des maïs génétiquement modifiés aurait des effets considérables et difficiles à prévoir sur l'organisation d'une filière qui concerne plus de 100 000 exploitations et occupe même la moitié de la surface agricole utile dans certains départements.

Enfin, la traçabilité des cultures OGM concerne la coexistence entre les cultures OGM et les cultures non OGM, dont l'agriculture biologique qui s'est dotée de normes particulièrement strictes. En particulier, les abeilles butinant dans un périmètre très étendu, il est impossible de garantir l'absence de pollen issu de plantes génétiquement modifiées dans le miel. La filière apicole française rencontre des difficultés, avec une production en baisse de 30 % depuis dix ans, et une diminution des cheptels. Aussi le développement des OGM renforce-t-il les craintes des apiculteurs.

Si le pollen était considéré comme un ingrédient du miel, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, l'étiquetage du pollen d'origine OGM serait nécessaire dès lors qu'il atteint 0,9 % ; la Commission européenne et le Parlement européen proposent de le considérer comme un constituant naturel, ce qui réduit les obligations d'étiquetage.

Ainsi l'exploitation des maïs génétiquement modifiés présente-t-elle des risques mal évalués sur le plan sanitaire et environnemental, sans comporter d'avantages économiques prouvés suffisants. Aucune urgence ne justifie de s'affranchir de tests plus approfondis. C'est pourquoi je vous propose d'inscrire dans la loi l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifiés.

Le respect de cette interdiction sera confié aux agents chargés de l'inspection et du contrôle des végétaux. Ils disposeront des pouvoirs attribués par le code rural et de la pêche maritime : accès aux locaux et parcelles aux heures ouvrables, communication de documents professionnels, prélèvement de produits et d'échantillons. En cas de non-respect de l'interdiction, le préfet pourra ordonner la destruction totale ou partielle des cultures.

Ce texte ne mettra pas fin aux débats, il incitera à poursuivre les discussions aux niveaux national et européen afin de définir de nouvelles méthodes d'évaluation des OGM. Le dispositif de la proposition de loi étant particulièrement simple et clair, je vous propose de l'adopter sans autre modification qu'une correction rédactionnelle sur l'intitulé.

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