Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail collectif qui a commencé il y a des années au Sénat – bien avant notre propre élection –, sous la houlette de sénatrices et de sénateurs de différentes sensibilités, auxquels je souhaite ici rendre hommage. Ce texte aurait pu être la loi Blandin ou la loi Desessard ; il se trouve que le premier signataire porte aujourd'hui un autre nom, et c’est assumé.
Onze des douze sénatrices et sénateurs écologistes ont cosigné ce texte relatif au choix libre et éclairé d’une assistance – médicalisée pour le moment – pour une fin de vie digne. Le mot « médicalisé » pourrait d’ailleurs ne pas figurer dans ce texte, car il s’agit, selon nous, d’une loi de liberté publique qui dépasse, et de loin, la sphère médicale.
Il ne s’agit en rien de ce que certains de nos détracteurs, qui n’ont pas lu cette proposition de loi, veulent parfois laisser dire. Il ne s’agit en aucun cas d’insécuriser nos aînés qui vivent dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou chez eux ; il s’agit seulement, dans des conditions particulières, de permettre à chacune et à chacun de choisir librement sa fin de vie, quand des circonstances bien spécifiques sont remplies.
Le XXe siècle, en France en tout cas, a été celui de l’accès aux droits égaux entre hommes et femmes. Cela a suscité, notamment ici, de longs et difficiles débats. Nous pensons qu’il en sera de même de ce sujet. Un jour, la raison l’emportera.
Concernant le choix de la fin de vie, les sondages de ces vingt dernières années sont concordants. Les personnes interrogées, pour une immense majorité – 92 % – d’entre elles acceptent l’idée que chacun puisse, en cas de maladie très grave et irréversible, avoir la possibilité de choisir une fin de vie digne.
Ce combat, car il s’agit bien d’un combat, a été porté par des illustres et des inconnus ; certains ont mis en application leurs idées, d’autres sont morts sans que cette question se soit posée à eux.
C’est parce que nous croyons au rôle du législateur que nous avons élaboré ce texte et que nous l’avons présenté avec des membres d’autres familles politiques le 5 février dernier, lors d’une conférence de presse.
À l’Assemblée nationale, par la voie de la députée Véronique Massonneau, que je salue, les écologistes, en juin 2013, ont déposé une autre proposition de loi, différente de la nôtre, visant à inscrire le suicide assisté et l’euthanasie dans la loi. Cette possibilité existe dans d’autres pays, très voisins du nôtre.
Notre proposition de loi encadre très strictement l’assistance pour mourir. En inscrivant ce texte à l’ordre du jour du Sénat lors de son espace réservé de ce jour, le groupe écologiste du Sénat souhaite qu’ait lieu un véritable débat, serein, sur ce sujet.
Aujourd’hui, il faut bien regretter les difficultés et les retards que connaît l’organisation de la prise en charge de la fin de vie dans notre pays. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », a permis d’indéniables avancées, mais elle ne suffit pas à répondre à de nombreuses situations. Tout le monde est d’accord sur ce point.
Il arrive parfois que les proches des patients qui sont aujourd’hui laissés seuls face à la fin de vie se déchirent et s’engagent dans de terribles querelles. Les familles ont besoin de réponses.
La proposition de loi vise à remettre le patient ou le citoyen au cœur du dispositif et à lui donner le droit de choisir librement sa fin de vie, dans la dignité, et à assurer un accès universel aux soins palliatifs, sans opposer, comme certains voudraient le faire, ces deux logiques différentes.
La procédure proposée s’assure du caractère libre et éclairé de la demande et prévoit le respect des directives anticipées, qui sont encore aujourd’hui trop souvent considérées comme de simples souhaits, dans le cas où la personne serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
C’est en dix articles que nous tentons de répondre à la situation si complexe de la fin de vie.
L’article 1er inscrit le droit au respect de la liberté individuelle du patient dans le code de la santé publique. Le bénéfice d’une assistance médicalisée pour une fin de vie digne est possible.
L’article 2 reconnaît le droit d’obtenir une assistance médicalisée pour mourir à toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, dès lors qu’elle se trouve dans une situation grave ou à tendance très invalidante et incurable, qui lui inflige une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable qu’elle ne peut supporter.
Aux termes de l’article 3, la mort médicalement assistée sera considérée comme une mort naturelle, afin de lever toute ambiguïté juridique concernant, notamment, les contrats auxquels la personne est partie.
L’article 4 détermine la procédure de mise en œuvre d’une assistance médicalisée pour mourir pour les personnes capables d’exprimer leur volonté. Il prévoit une procédure de contrôle de la situation médicale et de la volonté de la personne par deux médecins, qui doivent vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et constant de la demande et lui faire part des possibilités thérapeutiques et des solutions de substitution en matière d’accompagnement de fin de vie.
Le médecin assistera lui-même la personne dont la volonté est établie après l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la confirmation de la demande. L’intéressé peut demander à abréger ce délai si le médecin estime que c’est de nature à préserver la dignité de la personne. Surtout, le patient peut bien sûr à tout moment renoncer à la procédure mise en œuvre, s’il le souhaite.
L’article 5 instaure l’obligation de respecter les directives anticipées d’une personne. Celles-ci indiquent les circonstances dans lesquelles ladite personne désire bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir et désignent la ou les personnes de confiance chargées de sa représentation.
Les directives anticipées, ainsi que le nom de la ou des personnes de confiance, sont enregistrées sur la carte Vitale des assurés sociaux. L’article prévoit également la création d’un fichier national des directives anticipées, géré par un organisme indépendant des autorités médicales.
Les articles 6 et 7 adaptent la procédure au cas où la personne, incapable de s’exprimer, a pu établir des directives anticipées et a désigné une personne de confiance. Un système de contrôle sera évidemment mis en place pour vérifier la validité de ces directives.
L’article 8 reconnaît aux professionnels de santé une clause de conscience s’ils ne souhaitent pas participer à une procédure d’assistance pour mourir. Le médecin qui refuse d’apporter son concours doit, dans un délai de deux jours, s’assurer de l’accord d’un autre praticien et lui avoir transmis le dossier.
L’article 9 réaffirme le droit d’accès universel aux soins palliatifs et à un accompagnement de toute personne en fin de vie qui le demande.
L’article 10 gage les éventuelles conséquences financières.
Mes chers collègues, la personne humaine est au cœur du dispositif proposé dans ce texte. Le respect également. Cette proposition de loi entend encadrer la fin de vie et protéger le patient, car elle place le citoyen au cœur de toutes les décisions.
Ces dernières années, notamment grâce aux malades du SIDA, grâce à ceux qui luttent parfois de très nombreuses années contre le cancer ou d’autres maladies graves, grâce à un certain nombre des patients, un autre regard a enfin été porté sur l’accès aux soins et sur l’attitude face à la fin de vie. Cette proposition de loi n’impose rien à personne ; elle permet à ceux et à celles qui l’ont décidé, tant qu’elles le peuvent, d’avoir une fin de vie digne et choisie.
Je remercie toutes celles et tous ceux, notamment l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, Jean-Luc Romero et notre collègue Guy Fischer, qui portent ce combat depuis des années.
Aujourd’hui, nous voudrions, avec d’autres collègues, ouvrir une discussion qui pourra être poursuivie dans un autre format. Nous voulons un débat digne, sans instrumentalisation, avec l’idée que, quand on n’a plus que l’amour en partage au soir du grand voyage, on puisse choisir paisiblement.