Intervention de Jean Desessard

Réunion du 13 février 2014 à 15h00
Assistance médicalisée pour une fin de vie digne — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Jean DesessardJean Desessard, rapporteur :

Nous vous le confirmons, cher collègue, et nous allons même analyser les raisons pour lesquelles elle n’est pas appliquée – précisément parce qu’il lui manque un petit quelque chose, qui se trouve dans cette proposition de loi.

Je disais donc que, depuis l’adoption de la loi Leonetti, chaque occasion de débattre a permis de faire progresser la réflexion collective au-delà des points de vue également respectables des partisans et des opposants de l’euthanasie. La création de l’Observatoire national de la fin de vie, en 2010, a posé les prémices d’une étude scientifique et objective de la situation dans laquelle on meurt en France, ce qui permet d’espérer dépasser les analyses partielles ou partisanes.

Le troisième rapport annuel de cet observatoire, remis en janvier dernier à la ministre de la santé, dresse ainsi un portrait de la fin de vie des personnes âgées dans notre pays au travers de sept parcours ordinaires, ce qui est original.

Surtout, conformément à ses engagements de campagne, le Président de la République a, depuis juillet 2012, engagé un débat public sur la fin de vie. À sa demande, une commission présidée par le professeur Didier Sicard a été constituée, afin d’étudier la fin de vie en France. Cette commission a remis le 18 décembre 2012 son rapport intitulé Penser solidairement la fin de vie.

Le Comité consultatif national d’éthique a par ailleurs été saisi d’une demande d’avis sur la question suivante : « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir. » Cet avis a été rendu le 13 juin dernier. Le CCNE formule plusieurs remarques, mais il considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n’est pas close et qu’elle doit se poursuivre sous la forme d’un débat public.

Le CCNE précise également que, le Président de la République ayant mentionné dans sa saisine la présentation prochaine d’un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis pour représenter la société dans sa diversité. »

Conformément à la mission qui lui a été confiée par le législateur dans le cadre de la loi sur la bioéthique, le CCNE a donc organisé une conférence des citoyens et remettra un rapport, sans doute en mars prochain, préalable au dépôt d’un projet de loi. La conférence des citoyens sur la fin de vie a pour sa part remis un « avis citoyen » le 14 décembre dernier.

Nous disposons donc de plusieurs rapports et avis d’instances publiques collégiales ou de citoyens choisis pour représenter la diversité de la société française et amenés à débattre.

De ces différentes prises de position, il se dégage des points de consensus particulièrement intéressants. Tous les intervenants – j’y insiste particulièrement – dénoncent les conditions dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France, et tous considèrent que la sédation dite « profonde » ou « terminale » doit être possible à la demande des malades en fin de vie. Beaucoup s’interrogent sur l’intérêt d’une procédure d’assistance au suicide, comme elle existe dans l’État de l’Oregon. Il n’y a cependant aucun consensus sur l’euthanasie, définie comme le fait de donner une mort immédiate par un acte délibéré.

S’agissant tout d’abord des conditions de fin de vie dans notre pays, le constat dressé est sévère, au point que le professeur Sicard parle d’un « mal mourir » en France, dans lequel il voit une cause de la demande de cette « bonne mort » qu’est étymologiquement l’euthanasie.

Comment nos concitoyens veulent-ils que se déroule leur fin de vie ? L’Observatoire de la fin de vie a mené des études sur cette question. La réponse majoritaire est que l’on souhaite mourir chez soi, entouré et apaisé. Cela peut paraître une évidence. Toutefois, en France, on meurt en EHPAD, c'est-à-dire dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou à l’hôpital, sans prise en charge palliative, dans 80 % des cas, quand ce n’est pas, trop souvent, seul, sur un brancard, dans un service d’urgence.

Toutes les personnes que j’ai auditionnées réfléchissent depuis plusieurs années aux enjeux liés à la fin de vie. Toutes voient dans la situation réelle de la fin de vie en France la conséquence d’un refus collectif de penser la mort et de l’admettre comme intrinsèquement liée à la vie.

Trop souvent, la mort est vécue comme un échec médical ou comme l’effet d’un manque de chance. Dans cet esprit, si l’on meurt, c’est que l’on n’a pas eu accès assez tôt au traitement le plus avancé. Comme si la médecine avait le pouvoir de nous faire vivre éternellement ! Cette vision technique de l’existence se combine avec une certaine forme d’utilitarisme, qui conduit à isoler les personnes non productives, parce qu’elles sont âgées, dépendantes ou malades en fin de vie.

Cette situation de développement d’institutions médico-sociales et médicales, où sont placées, parfois à l’encontre de leurs souhaits, les personnes en fin de vie est une spécificité française. En Allemagne – un pays qui nous sert d’exemple dans d’autres domaines… – la mort à domicile est la règle. Bien sûr, en la matière, il n’existe aucun pays modèle. Toutefois, il faut nécessairement nous interroger sur la manière dont notre système de prise en charge aboutit, malgré des investissements importants et le dévouement des personnels, à ne pas respecter la volonté des personnes de vivre leur fin de vie chez elles.

Le premier enjeu, madame la ministre, est donc est de permettre le plus possible aux personnes en fin de vie de rester à domicile, accompagnées par des aidants. Un tel système a été mis en place en Suède et se révèle moins coûteux que la prise en charge en établissement. Il est à noter que la Suède a également établi une distinction entre les aidants professionnels, qui pourvoient aux besoins de la personne dépendante au quotidien, et les aidants familiaux, qui fournissent autant que possible un réconfort émotionnel.

Le second enjeu est la prise en charge de la douleur, notamment dans le cadre des soins palliatifs. Incontestablement, et nous ne pouvons que nous en réjouir, de très importants progrès ont été accomplis dans ce domaine. La qualité du travail des équipes de soins palliatifs est très impressionnante, nul ne peut le contester. Toutefois, les progrès restent insuffisants, car il semblerait que seules 20 % des personnes en fin de vie accèdent à ces soins, malgré les plans successifs et l’action volontariste des différents gouvernements.

De plus, contre la volonté des équipes palliatives, leur intervention n’est obligatoire que dans les trois dernières semaines de vie. Le calcul est pour le moins aléatoire, puisque, la médecine n’étant pas une science exacte, on ne peut savoir exactement quand surviendra le décès. Néanmoins, cette approche renforce l’idée que la médecine palliative est une médecine de la mort. En fait, c’est une médecine de l’accompagnement, du soulagement de la douleur et de l’écoute, …

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