Dans cet esprit, je souhaite évoquer tout d’abord le cas des États-Unis. Évidemment, dans la société américaine, l’armée joue un rôle très différent de celui qu’occupe l’armée française dans la société française.
Les inégalités sociales, le coût des études, le système de protection sociale, la place des jeunes dans la société et face à l’emploi : tout est si différent outre-Atlantique qu’il n’y a pas lieu d’établir des comparaisons qui ne pourraient être que vaines. Cependant, nous pourrions utilement nous inspirer de certaines pratiques, en les adaptant, évidemment, au contexte français. Je pense au système de bourses et de partenariat avec des universités mis en place par l’armée américaine pour attirer des recrues. Ces bourses permettent à des jeunes d’accéder à des études avant, pendant ou après leur service sous les drapeaux, alors que, dans ce pays, l’accès à ces formations est souvent réservé à une élite financière.
Fort heureusement, le système universitaire est très différent en France, mais cela ne signifie pas que nous ne devions pas songer à adapter chez nous ce qui se fait de bien chez nos partenaires.
La reconversion militaire se prépare évidemment au moment du départ, généralement dans les douze à dix-huit mois qui précèdent l’interruption de service. Mais elle gagnerait peut-être à être pensée plus en amont, plus tôt dans la carrière, voire dès l’entrée dans l’armée.
Le meilleur passeport pour l’emploi, assurément, c’est une formation de qualité, enrichissante, professionnalisante. L’armée procure cette formation aux militaires.
Depuis toujours, la formation militaire est reconnue, et aujourd’hui encore, notamment pour ce qui concerne les métiers techniques et d’ingénierie. Elle constitue un atout pour ceux qui cherchent ensuite à entamer une autre carrière dans le secteur privé. Mais l’armée recrute et forme pour que les militaires remplissent les missions qui lui sont dévolues, et non celles que leur confiera leur prochain employeur.
Compte tenu du très jeune âge des nombreux militaires qui souhaitent se reconvertir, il semble intéressant de réfléchir à des partenariats resserrés et durables entre la défense et des structures d’enseignement supérieur. Je sais que certains existent déjà, notamment pour les officiers. Je regrette d’ailleurs que le rapport de la commission n’apporte pas d’éléments sur ce point.
J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous apporter des précisions sur ce qui existe et nous dire ce qui pourrait être fait pour avancer dans cette voie.
Je souhaite à présent évoquer le second pilier de notre défense et le cadre naturel dans lequel elle doit se développer : je pense bien sûr à l’Union européenne.
Plus précisément, je vise l’initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers, inspirée du programme Erasmus. Je connais ce projet puisque j’ai été amené à présenter à l’Union de l’Europe occidentale un rapport sur ce sujet au mois de juin 2009.
Les ministres de la défense des pays membres de l’Union européenne ont discuté, au mois d’octobre 2008 à Deauville, de cette initiative, qui a été adoptée officiellement au mois de novembre suivant par le Conseil de l’Union européenne. À l’époque, Hervé Morin, alors ministre de la défense, a été l’un des acteurs principaux.
Il s’agit de permettre aux jeunes officiers européens, dès leurs premières années d’études, d’acquérir une compréhension supranationale des questions de sécurité et de défense, et de développer une attitude commune à cet égard.
Le projet « Erasmus militaire » a germé durant la préparation de la présidence française de l’Union européenne ; il est donc à porter au crédit du Président de la République. Il vise avant tout à constituer une culture de sécurité commune. L’idée n’est pas nouvelle : depuis longtemps, les pays d’Europe ont établi des relations en matière d’instruction et des programmes d’échanges bilatéraux variés. L’exemple le plus significatif est sans doute la coopération franco-allemande de sécurité et de défense, créée dans le cadre du traité de l’Élysée, signé cinquante ans plus tôt.
Aujourd’hui, dans tous les domaines, le fait de disposer d’une expérience à l’étranger est un atout. En faisant valoir une expérience d’études, de stage ou de travail effectués à l’étranger, les jeunes démontrent qu’ils savent s’adapter, évoluer dans un univers différent du leur. Ces expériences, auxquelles les recruteurs sont réellement sensibles, leur procurent ouverture d’esprit et audace. Elles enrichissent l’économie française.
Il semble par conséquent d’autant plus intéressant de relancer la dynamique autour du projet « Erasmus militaire ».
Dans une étude réalisée par le secrétariat général du Conseil de l’Union européenne au mois de septembre 2008, on pouvait lire ceci : « La formation initiale des officiers commence après le recrutement. Elle comprend trois sous-catégories : la formation “académique” et la formation militaire de base, toutes deux assurées par les académies militaires, et la formation professionnelle, dispensée dans d’autres écoles ou instituts de formation militaires. »
C’est dans le domaine académique que la charte Erasmus doit permettre des échanges entre États membres.
Aujourd’hui, moins des deux tiers des États membres reconnaissent la formation initiale reçue dans d’autres États membres. La proportion de jeunes officiers concernés par les différents programmes d’échanges existants, bilatéraux ou multilatéraux, y compris le programme Erasmus, demeure très limitée.
J’espère, monsieur le ministre, que, après avoir été à l’origine de ce projet, la France pourra lui donner un second souffle.
Je sais que le Royaume-Uni n’a pas manifesté d’intérêt pour l’initiative au moment où elle a été proposée. Peut-être la signature de deux traités historiques avec la France le 2 novembre dernier encouragera-t-elle ce pays à accueillir de jeunes officiers français dans ses écoles et à prendre une part plus active à ce projet.
Cet élan européen serait bénéfique non seulement à nos armées, mais aussi aux femmes et aux hommes qui la font vivre, pendant leur service et après, dans la suite de leur vie professionnelle.