La question a été posée à l’occasion de la médiatisation de différents cas dramatiques. Nous avons tous en mémoire le combat de Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur évolutive qui lui a causé de terribles souffrances et l’a défigurée. Nous avons tous salué sa très grande dignité face aux douleurs, tant physiques que morales, qu’elle a dû affronter avant sa disparition.
Chantal Sébire demandait l’euthanasie, une possibilité qui n’est effectivement pas prévue par la loi Leonetti. Mais était-ce la seule solution qui lui était offerte ? Eh bien non ! Comme son avocat l’avait expliqué, Chantal Sébire refusait la solution proposée par la loi, c’est-à-dire le coma artificiel et la mort qui peut s’ensuivre au bout de quelques jours. Nous ne pouvons donc pas prétendre que la loi n’avait pas prévu la situation dans laquelle s’est retrouvée Chantal Sébire.
Je demeure très humble devant ces problématiques si complexes et je me garderai bien de tout jugement. Mais nous devons malgré tout avoir le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder le débat sur la fin de vie et sur les soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes qui nous sont trop souvent présentés dans les débats médiatiques.
Le droit actuel affirme solennellement que tout malade a le droit d’être accompagné en fin de vie et d’être aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, à apaiser ses souffrances morales et à sauvegarder sa dignité.
La loi n’omet pas de préciser que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile et qu’ils ont aussi pour objectif de soutenir l’entourage du malade.
Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir et celle de se voir voler sa mort par l’administration excessive de sédatifs ; le refus de l’acharnement thérapeutique et l’inquiétude de se voir jugé, par les médecins, inéligible à certains traitements ; la crainte de sa propre déchéance, qu’elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l’on pensera lire dans le regard de l’autre.
Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu’il s’agit d’une éventualité abstraite et à venir ou d’une réalité vécue et subie.
Face à ces interrogations et à ces craintes, certains militent pour le droit à l’euthanasie, au suicide assisté ou encore à l’aide active à mourir. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l’occasion de faire valoir leurs arguments.
Comme je l’ai rappelé, la loi actuelle permet, par une approche globale, d’appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d’une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.
En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l’interdit de tuer, interdit dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Comme nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse à voir franchie.
Le professeur Didier Sicard, dans le rapport dont j’ai déjà parlé, met en garde le législateur contre la tentation de légiférer pour autoriser l’euthanasie, concluant : « L’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait des missions de la médecine, faisant basculer celle-ci du devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement à une action si contestée d’un point de vue universel. La commission ne voit pas comment une disposition législative claire en faveur de l’euthanasie, prise au nom de l’individualisme, pourrait éviter ce basculement. »
En revanche, la commission Sicard fait une recommandation particulière sur la pratique de la sédation, interprétant de façon contestable la loi de 2005. En effet, elle propose l’administration d’une sédation à but terminal : « Lorsque la personne en situation de fin de vie, ou en fonction de ses directives anticipées figurant dans le dossier médical, demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute alimentation et hydratation, il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre, sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort. »
Jean Leonetti, dans son rapport d’avril 2013 fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, met en garde contre l’extension de l’interprétation de la « sédation terminale » et rappelle : « La sédation en phase terminale prévue par l’article L. 1110-5 du code de la santé publique vise à soulager le malade, en aucun cas à le faire mourir. Si l’on devait accepter cette double intentionnalité, soulager et accélérer la mort, le risque de confusion et de dérive existerait lors de la mise en place de toute sédation profonde en phase terminale. »
Je suis par ailleurs convaincu que la médecine n’est pas faite pour tuer. Tous les professionnels de santé ont été formés pour faire l’inverse ! Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l’on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Certes, j’exagère un peu !