Intervention de Roland Courteau

Réunion du 13 février 2014 à 15h00
Assistance médicalisée pour une fin de vie digne — Discussion générale suite

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

« Je vous demande le droit de mourir », écrivait Vincent Humbert au Président de la République. C’était en 2002. Mais cette demande pourrait encore être faite aujourd’hui.

En effet, la loi Leonetti est insuffisante.

Comme le rappelait Véronique Neiertz, ancienne ministre, « au vingtième siècle, l’être humain a gagné le droit de donner la vie à un enfant ou de ne pas la donner. » Elle ajoutait : « Une nouvelle frontière des droits de la personne reste à conquérir pour le XXIe siècle : le droit de quitter la vie en toute dignité, le droit d’être humain et de pouvoir le rester jusqu’au bout. »

C’est en quelque sorte un dernier hommage que chacun peut rendre à la condition humaine : choisir le moment et les conditions de sa mort, plutôt que les subir.

J’ai déposé en 2012 une proposition de loi allant dans ce sens et j’apprécie aujourd’hui de pouvoir m’exprimer sur ce sujet. Je le sais sensible et parfois clivant, relevant de la morale et de l’éthique de chacun. Mais je sais aussi qu’il est important que nous ayons ce débat, pour contribuer à faire avancer notre société.

Je remercie donc les auteurs de cette proposition de loi.

L’homme sait que la mort lui appartient. Nul ne devrait pouvoir lui interdire de décider des conditions de sa fin de vie C’est son ultime liberté.

En fait, de la même manière que nous nous battons pour que chaque personne vive libre, dans la seule limite du respect de la liberté des autres, il faudrait, comme l’indiquait le philosophe André Comte-Sponville, ajouter un droit aux droits de l’homme : le droit de s’en aller.

Je ne nie pas que d’importants progrès aient été réalisés, avec le développement des soins palliatifs et l’arrêt de l’acharnement thérapeutique, autorisé par la loi de 2005. Cependant, il demeure beaucoup de personnes dont la souffrance physique et psychique est si grande qu’elle ne peut être apaisée.

Surtout, il est des cas comme le handicap extrême, la dépendance totale, celui de la personne paralysée des quatre membres et qui veut mourir parce qu’elle n’accepte pas la déchéance ou cette lente et terrible dégradation de son corps. Elle veut mourir parce qu’elle refuse d’imposer cette déchéance aux autres, à ses proches et à la société. Tous les hommes et toutes les femmes n’acceptent pas forcément de déchoir. Elle veut mourir, parce que, lucide, elle n’accepte pas cette détérioration intégrale, ce calvaire avilissant qu’elle subit et que la loi lui impose, tel un châtiment.

Pour ces cas-là, chers collègues, les soins antidouleur ne constituent pas une réponse. Pour ces cas-là, la loi demeure insuffisante. Et dans ces cas-là, l’homme, qui est maître de sa vie, doit avoir le droit d’y mettre un terme. Il doit avoir le droit qu’on puisse l’y aider, s’il ne peut, seul, y parvenir.

Oui, ce combat, que nous sommes de plus en plus nombreux à engager, se fonde sur les valeurs essentielles que sont la liberté et la dignité.

La société doit donc permettre à la volonté de chacun de s’exprimer. Il s’agit d’un choix qui est certainement, selon l’expression de Viviane Forrester, le choix « le plus intime d’une vie : sa mort »

C’est la raison pour laquelle, le 8 juin 2012, j’avais moi-même déposé une proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs. Cette proposition, je l’avais déposée en conscience, parce que, aujourd’hui encore, on meurt « mal » en France et que les moyens mis en place par la loi sont, je le répète, loin de régler toutes les situations.

En 2010, un sondage révélait que 94 % des personnes interrogées étaient favorables à la possibilité de recourir à une aide active à mourir. Par ailleurs, une étude menée par l’OCDE montrait que sur trente-trois pays, la France se situait au douzième rang des pays dans lesquels on meurt « le mieux », derrière les Pays-Bas et la Belgique. J’ai donc, moi aussi, pensé à légiférer pour permettre, tout en l’encadrant strictement, le recours à l’aide médicale à mourir dans la dignité.

L’enjeu d’un texte sur la fin de vie et l’aide médicale est de donner une liberté, un nouveau droit. La demande qui sera faite devra bien évidemment être libre, éclairée, réfléchie et réitérée, selon une procédure qui encadre cette aide et dans des délais précis.

Je prône, pour ma part, plusieurs mesures qui devraient figurer dans une loi appelée à constituer, selon moi, une avancée sociétale majeure. Je n’énumérerai pas les différentes dispositions prévues dans le texte de ma proposition de loi, me contentant de vous renvoyer au texte de celle-ci.

Je tenais à exprimer ici mon adhésion à la philosophie générale du texte qui nous est présenté aujourd’hui. Sachez, Corinne Bouchoux, que nous nous rejoignons sur la plupart des dispositions proposées, y compris sur l’importance de la mise en place d’un registre national automatisé.

Mes chers collègues, nous avons été quelques-uns à déposer des textes sur ce sujet. Ceux de MM. Godefroy, Fouché, Gorce, Mézard, de même que le mien, avaient été soumis au Conseil d’État pour avis. Ce dernier avait rendu un avis plutôt positif, malgré quelques réserves nous incitant à les reprendre sur certains points et même à les fusionner dans un texte qui soit le plus exhaustif possible.

C’est ce sur quoi nous pourrions travailler, en incluant la proposition de loi de Mme Bouchoux. Nous avons le devoir d’agir. Nous devons cela aux personnes qui attendent cette loi.

Mais ce débat ne saurait pas avoir lieu dans la précipitation, et je serais enclin à soutenir un texte concerté, transpartisan, sur lequel nous aurions travaillé conjointement au sein, bien sûr, de la commission des affaires sociales, un texte qui pourrait aussi enrichir ou compléter le projet de loi du Gouvernement.

Pour conclure, je reprendrai les propos de mon collègue Jean-Pierre Godefroy, qui affirmait voilà quelques années : « Nous bâtissons un droit, celui de la fin de vie, qui, parce qu’il touche à l’essentiel, ne cessera d’évoluer. » Il ajoutait : « Le chemin sera encore long, mais c’est avec confiance et détermination que nous l’empruntons. » Je crois que l’on ne saurait mieux dire. §

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