Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 13 février 2014 à 15h00
Suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, étant très consciente du fait que le temps imparti à l’examen de la présente proposition de loi est contraint, je serai brève, afin de ne pas mettre en péril l’aboutissement de ce débat.

Les exposés de Mme Lipietz et de Mme la rapporteur ayant été exhaustifs, je ne m’attarderai ni sur le droit existant ni sur les mesures contenues dans ce texte.

Cela étant, je connais la sensibilité de cette assemblée aux questions pénitentiaires, ayant personnellement participé à de nombreux débats. Peu après mon arrivée à la Chancellerie, j’ai eu le privilège de recevoir le rapport de Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf et celui toujours de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne. J’ai participé, dans cette enceinte même, à un débat consacré à l’application de la loi pénitentiaire de novembre 2009 et, voilà quelques semaines, à la discussion d’une proposition de loi présentée par Catherine Tasca relative aux prérogatives du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Eu égard à cette sensibilité particulière et à votre contribution, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’amélioration des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, il me paraît utile et légitime de vous donner quelques éléments d’information.

Tout d’abord, la présente proposition de loi nous ramène à des valeurs fondamentales, à savoir la dignité et le respect dus à tout individu, y compris aux personnes qui sont privées de liberté, et de rien d’autre, par décision de justice.

Cela nous conduit à nous demander comment apporter des réponses à la fois législatives et pratiques à nos concitoyens en situation de fragilité.

La Haute Assemblée a fortement contribué à l’amélioration des dispositions concernant la prise en charge des malades dans les établissements pénitentiaires ; je pense notamment au rapport de la commission d’enquête Hyest-Cabanel, qui, par sa préconisation n° 5, a contribué à l’élaboration de la loi dite « Kouchner » du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Je tiens à le souligner, ce texte ne vise que les personnes condamnées, c'est-à-dire uniquement les détenus.

À cet égard, il s’agit de savoir non seulement si le dispositif est performant à l’égard de ces personnes condamnées et couvertes par la loi, mais aussi si nous pouvons continuer à nous accommoder du fait que les prévenus, des personnes qui sont détenues mais pas encore condamnées puisque le jugement n’a pas encore eu lieu, puissent rendre leur dernier souffle en prison, dans une cellule, loin de proches qui leur montrent de l’affection. Pour le dire autrement, sommes-nous encore des hommes si nous acceptons une telle situation ?

La présente proposition de loi va nous aider à répondre à cette question de façon efficace ; elle est donc bienvenue.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, une action intense et volontariste a été conduite, car j’ai été alertée, y compris par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, sur certaines conditions de détention.

De ce point de vue, ces dernières années, le nombre de personnes en situation de fragilité se trouvant dans les établissements pénitentiaires a augmenté de façon significative, que leur fragilité soit liée à la maladie, à l’âge, au handicap, aux addictions. Ainsi, les établissements pénitentiaires accueillent plus de 25 % de personnes souffrant de deux addictions au moins.

En partenariat avec celui des affaires sociales et de la santé, mon ministère a donc apporté un certain nombre de réponses aux problèmes rencontrés en tant que de besoin.

Cette action, nous la menons avec humilité, parce que nous savons qu’il reste encore beaucoup à faire. D’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes publié cette semaine rappelle la situation, tout en saluant un certain nombre de mesures que nous avons prises.

Cette action, nous la conduisons aussi avec détermination.

Qu’avons-nous fait pour les personnes frappées de handicap ?

Nous sommes intervenus dans le domaine immobilier en augmentant le nombre des cellules réservées à ces personnes. Ainsi, le taux de cellules adaptées, plus grandes et mieux aménagées, a été porté de 1 % à 3 %.

Nous avons également fait des efforts en matière d’accompagnement humain. À cette fin, nous avons travaillé, pour l’essentiel, avec des fédérations sportives. Nous nous sommes par ailleurs intéressés à l’accès aux services de droit commun, notamment aux diverses allocations et prestations auxquelles peuvent prétendre ces personnes frappées de handicap. Nous avons signé des conventions avec une quarantaine d’associations et d’entreprises spécialisées dans les soins infirmiers et l’intervention à domicile.

En matière de soins psychiatriques, nous avons pris un certain nombre de décisions qui donnent déjà des résultats. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, trois unités hospitalières spécialement aménagées, ou UHSA, existaient à Lyon, Nancy et Toulouse. Souhaitant recentrer les services médico-psychologiques régionaux sur les soins ambulatoires, j’ai voulu développer ces unités.

L’année dernière, quatre UHSA ont été ouvertes, à Villejuif, en Île-de-France, à Lille, à Rennes et à Orléans. En 2015, leur nombre sera porté à neuf. Ce sera la première vague du plan triennal. À partir de 2015, d’autres verront le jour. Mais, tout en saluant le travail accompli dans ce domaine, la Cour des comptes a fait observer que le coût de ces unités méritait d’être étudié plus systématiquement dans le cadre de la modernisation de l’action publique.

Il n’empêche que le besoin existe. Nous allons donc nous donner les moyens de poursuivre dans cette voie.

Par ailleurs, nous avons engagé un travail interministériel important. Avec Marisol Touraine, nous avons mis en place deux groupes de travail, consacrés respectivement à la prévention et à la réduction des risques en milieu carcéral, et à la suspension de peine. Les rapports nous ont été remis. Ils sont actuellement à l’instruction dans nos ministères respectifs. Nous allons procéder très prochainement à des arbitrages solidaires. Parmi les préconisations que comportent ces rapports figure un dispositif équivalent à celui que prévoit la présente proposition de loi.

J’ai signé en tout début de semaine un décret qui permet, en cas d’urgence et avec l’accord du procureur de la République, de se passer de l’expertise psychiatrique prévue à l’article 712-21 du code de procédure pénale qui était un facteur de complication et de retard des décisions de suspension de peine.

Quant au Conseil national de l’exécution de la peine que j’ai mis en place, il s’emparera bien évidemment de ces sujets.

J’ajoute que le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, décidé par le comité interministériel auquel participe le ministère de la justice, permet de nommer des référents justice dans toutes les structures médicales et médico-sociales, et d’ouvrir des permanences en addictologie dans les établissements pénitentiaires.

Je le disais, l’état du droit en matière de suspension de la peine ne concerne que les personnes détenues, donc condamnées : la décision de suspension suppose que la démonstration soit faite d’une incompatibilité durable entre l’état de santé et la détention, ou alors que le pronostic vital soit engagé, ce qui nécessite deux expertises médicales concordantes, sauf, évidemment, dans les situations d’urgence ; dans ce dernier cas, le certificat médical du médecin responsable de l’unité où la personne est prise en charge suffit.

Ce dispositif ne s’applique pas, en revanche, en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction, ou aux personnes qui ont été hospitalisées pour troubles mentaux.

La proposition des auteurs du présent texte permet de combler une lacune du droit. En effet, la loi Kouchner ne concernait pas les personnes prévenues, alors même que celles-ci sont effectivement présumées innocentes. Elles subissent donc, paradoxalement, un régime plus sévère que les personnes condamnées. Pourtant, leur effectif est relativement important : 24, 8 % de la population en détention, soit un peu plus de 16 000 personnes. Surtout, elles sont placées en détention provisoire pour une durée moyenne de 4, 2 mois, contre 10, 8 mois pour les personnes condamnées.

Il s’agit d’une moyenne, j’y insiste. En effet, la détention provisoire pour les délits est de quatre mois renouvelables deux fois, soit un maximum d’un an, et, pour les crimes, d’un an renouvelable deux fois par tranche de six mois, donc un maximum de deux ans, sauf dans les cas de trafic de stupéfiants et de terrorisme.

Il y a donc dans le droit en vigueur un manque incontestable, même s’il a été comblé partiellement par la jurisprudence. La Cour de cassation a en effet jugé, en 2003 et 2009, qu’une décision de mise en liberté pouvait être prise pour motif de santé.

Il n’en reste pas moins que ce texte va stabiliser, consolider le droit en vigueur, en supprimant à la fois l’incertitude et les risques de disparité. Il est donc le bienvenu.

Le dispositif proposé est très proche de celui de la loi Kouchner, à ceci près – et cette nuance est tout à fait importante – qu’une seule expertise médicale est requise pour les prévenus. Par ailleurs, une incompatibilité simple, et non plus « durable », de l’état de santé avec le maintien en détention est suffisante pour justifier la décision de suspension, ce que légitime la durée moyenne de détention que je viens d’indiquer. Enfin, comme pour les condamnés, une double exception est prévue en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction ou si la personne est hospitalisée sans consentement. Ces nuances sont tout à fait appréciables.

En l’occurrence, il s’agit bien d’une remise en liberté, et non d’une suspension de peine, compte tenu de la durée réduite de la détention provisoire. Et puisqu’il s’agit d’une décision de remise en liberté, celle-ci peut être assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique.

Cette proposition de loi répond à notre préoccupation d’introduire davantage d’humanité dans les conditions de détention, et de faire en sorte que notre prison soit républicaine et réponde aux critères, aux exigences et aux principes de l’état de droit. Les apports de ce texte sont par conséquent tout à fait essentiels.

Le Gouvernement est donc favorable à cette proposition de loi. J’ai cru comprendre que l’ensemble des groupes y étaient aussi très sensibles, ce que le vote devrait refléter.

Dans quelques semaines, je le rappelle, nous nous retrouverons pour examiner le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. Nous améliorerons, à cette occasion, le dispositif de suspension de peine applicable aux personnes condamnées en fin de vie ou qui sont atteintes de maladies graves, lequel n’est pas opérationnel actuellement du fait de la complexité des dispositions en vigueur.

Malheureusement, pour des raisons de calendrier, qui concernent autant mon ministère que celui des affaires sociales et de la santé, des dispositions analogues à celles qui seront alors adoptées n’ont pas pu être introduites dans la présente proposition de loi. J’aurais pourtant souhaité le faire car, pour ces personnes, les jours comptent et sont précieux.

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