Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans leur rapport rendu au mois de janvier 2013 sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, nos collègues députés Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe avaient constaté que la part des prévenus parmi les personnes incarcérées – 16 945 au 1er décembre 2012 – a diminué dans une proportion importante au cours des quinze dernières années, passant de l’ordre de 40 % à 25 % environ. Ces prévenus constituent néanmoins une frange très importante de la population carcérale. Il s’agit, comme toujours en matière de conciliation des libertés et de l’ordre public, d’un casse-tête législatif.
Depuis la loi Kouchner de 2002, la suspension de peine pour raison médicale existe pour les détenus, lorsque leur pronostic vital est engagé ou lorsque leur état de santé est incompatible avec le maintien en détention. Sauf, bien entendu, s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction !
Or, anomalie du travail législatif, les prévenus ne bénéficient pas d’un dispositif analogue. Ces personnes doivent user, en effet, des dispositions générales relatives à l’appel de l’ordonnance de mise en détention provisoire : la demande de mise en liberté prévue aux articles 148 et 148-1 du code de procédure pénale et la procédure accélérée, appelée « référé-liberté », prévue aux articles 187-1 et 187-2 du même code.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler aux juridictions du fond l’obligation de vérifier si l’état de santé du prévenu est compatible avec la détention provisoire. Mais l’absence de disposition spécifique dans la loi rend l’application de cette jurisprudence peu uniforme, voire aléatoire.
La présente proposition de loi tend à remédier à cette singulière lacune de notre droit. Elle fait suite à d’autres propositions, tout à fait semblables et déposées, notamment, par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Elle a fait aussi l’objet de la recommandation n° 17 du rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat intitulé Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale.
Enfin, dans son dernier rapport annuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait également émis cette même préconisation.
Il existe ainsi un consensus autour du principe de la création d’un tel dispositif, auquel nous ne dérogeons pas non plus.
Toutefois, nous n’approuvons qu’avec une certaine retenue cette harmonisation des conditions de recours pour les détenus et les prévenus, et ce pour plusieurs motifs, dont nous allons nous expliquer.
Tout d’abord, nous ne pouvons que constater le manque de réflexion en profondeur des auteurs de ce texte. Le dispositif a donc été profondément modifié par la commission des lois, sur le conseil bien avisé du Gouvernement et de la Chancellerie.
Deux précisions ont ainsi été apportées : l’exception relative à un risque grave de renouvellement de l’infraction, qui existe pour les détenus, a été introduite ; la commission des lois a, en outre, souhaité préciser les modalités d’application du dispositif à l’égard des détenus atteints de troubles psychiatriques.
Il s’est également avéré que le décalque parfait du dispositif de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale relatif aux détenus ne pouvait valablement se faire pour les prévenus. L’objet de la présente proposition de loi a donc sensiblement changé, puisqu’il s’agit en réalité non plus d’une suspension de la détention provisoire, mais d’une mise en liberté pour raison médicale grave. C’est un premier signe de très mauvais augure pour le texte initial qui se voit de surcroît confirmé par le manque de vision globale et de bilan autour du dispositif créé en 2002.
Il nous semble ainsi que la proposition de loi initiale du groupe écologiste ne constitue qu’une retouche quasi esthétique, et donc à la marge, d’un problème bien plus vaste.
Par exemple, n’aurait-il pas fallu s’engager dans une véritable simplification de la procédure de référé-liberté prévue aux articles 187-1 et 187-2 du code de procédure pénale ? C’est ce qu’avait suggéré le Sénat, en 2000, en adoptant un amendement de notre ancien collègue Pierre Fauchon.
Notre assemblée, constatant que cette procédure était peu utilisée et qu’elle n’aboutissait que rarement à des remises en liberté, avait proposé de la remplacer par un appel à très bref délai devant la chambre d’instruction. Il s’agissait de modifier la procédure du référé-liberté en transférant l’examen de l’appel, qui doit être interjeté le jour même de la décision de placement en détention provisoire, à la seule chambre d’accusation, afin de rendre la décision collégiale.
N’aurait-il pas fallu également prendre en compte et consolider la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a précisé que « c’est nécessairement à court terme que la pathologie dont souffre [le détenu] doit engager le pronostic » ? Cette mention aurait ainsi pu être insérée, à bon escient, aux articles 720-1-1 et 147-1 du code précité.
Enfin, il paraissait astucieux et raisonnable de prendre en considération la possibilité d’aménagement des conditions de détention, lorsque l’expertise médicale n’a pas formellement conclu à une incompatibilité de l’état de santé du prévenu et a préconisé différents soins et aménagements des conditions de détention. Cette hypothèse a été réservée par certains tribunaux bien avisés.
Malgré ces quelques critiques relatives au manque d’efficacité de cette proposition de loi, nous la voterons, à défaut d’une meilleure solution à court terme pour les prévenus.