Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la presse française, vous le savez, connaît une crise inédite par son ampleur et par ses ramifications.
Les pouvoirs publics, au premier rang desquels la représentation nationale, sont pleinement alertés de cette situation. En examinant et, je l’espère, en adoptant la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, vous montrerez de nouveau l’importance capitale que la République accorde au pluralisme de la presse, à sa vitalité et à son avenir.
Le Sénat, fidèle à sa tradition novatrice, a évoqué la piste d’un alignement de la TVA de la presse numérique sur celle de la presse imprimée depuis plusieurs mois. J’avais moi-même précisé, en juillet dernier, au moment où j’annonçais la réforme des aides à la presse, que le Gouvernement était favorable à cet alignement.
Je veux saluer la réactivité avec laquelle M. le rapporteur a étudié cette proposition de loi pour la Haute Assemblée. Il a remarqué, avec justesse, que l’on aurait pu décider de cet alignement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014.
Les signaux reçus ces dernières semaines sont une puissante incitation pour agir. En effet, les résultats de la presse pour 2013 sont désormais connus, et ils sont mauvais : la diffusion des quotidiens nationaux a connu une baisse de 7 %. Elle est même de 15 % pour la vente au numéro et de 5 % pour les quotidiens régionaux.
Je veux porter au crédit de l’Assemblée nationale et du Sénat d’avoir perçu l’urgence de la situation et d’avoir décidé d’agir vite, c’est-à-dire maintenant, pour mettre fin à l’injustice que crée le statu quo fiscal.
La présente proposition de loi est simple dans son principe comme dans sa rédaction : elle établit, à partir du 1er février 2014, l’égalité de traitement de toute la presse, quel qu’en soit le support, pour son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. J’appuie pleinement cette initiative et je remercie les parlementaires de l’avoir prise.
La proposition de loi se fixe quatre objectifs essentiels : l’équité fiscale, bien sûr, le renforcement du pluralisme, l’amélioration du dynamisme économique et l’impulsion d’un nouvel élan à l’échelle européenne.
L’équité fiscale, tout d’abord. Dans le droit actuel, selon qu’un titre de presse est diffusé sur papier ou sur internet, le taux de TVA varie de 1 à 10, c’est-à-dire de 2, 1 % à 20 %. Alors que les éditeurs de presse comme les lecteurs passent indifféremment d’un support à l’autre, la fiscalité, elle, reste figée dans une distinction artificielle, qui équivaut à une discrimination. Entre un article imprimé et un article mis en ligne, elle taxe différemment le travail d’une même rédaction. Il s’agit pourtant du même travail éditorial et rédactionnel et, bien souvent, de la même information.
Le modèle économique de la presse s’appuie de plus en plus sur des abonnements mixtes, papier et numérique, au sein desquels le droit fiscal nous oblige à démêler – quel artifice ! – ce qui est imprimé de ce qui est électronique, et ce alors même que nous devons tendre vers l’harmonisation fiscale, nécessaire à l’émergence d’un nouveau modèle économique de financement de la presse, à même de la sortir de la crise.
La fiscalité actuelle recrée des frontières qui n’existent plus et met des obstacles à la stratégie de transition numérique des titres de presse. Du point de vue des lecteurs, du point de vue des pratiques et usages d’aujourd’hui, elle avantage – comble du paradoxe ! – la technologie d’hier par rapport à celle de demain.
Pourtant, l’ensemble des éditeurs de presse, des journalistes et des spécialistes du secteur – dont certains ont participé au groupe coordonné par M. Roch-Olivier Maistre, à qui j’avais confié, l’an dernier, la mission de se pencher sur l’avenir de la presse écrite – affirment que la neutralité fiscale est l’urgence et la priorité d’une politique publique moderne de soutien à la presse.
Le Gouvernement en est pleinement d’accord : je l’avais moi-même souhaité dès le mois de juillet dernier. L’État ne doit pas entraver le développement du numérique ni privilégier un mode de diffusion au détriment d’un autre : c’est la conjonction des deux supports qui fera l’avenir économique de la presse.
La présente proposition de loi prévoit donc de rétablir la neutralité entre tous les supports de presse, comme cela a déjà été fait pour tous les supports du livre, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant, en 2012, voté pour l’application d’un taux de TVA semblable pour le livre numérique et le livre physique.
Si, contrairement au livre, la presse n’est pas toujours exactement identique dans sa diffusion physique et dans sa diffusion numérique, la présente proposition de loi est extrêmement attentive à l’existence d’une catégorie juridique solide de ce qui constitue la presse en ligne, nécessaire pour appliquer le droit fiscal.
Le texte qui vous est proposé tend donc à consolider l’identification de cette catégorie par un organisme dédié, bien établi dans notre paysage institutionnel, la Commission paritaire des publications et des agences de presse, ou CPPAP. Cette même commission reconnaît ce qui constitue la presse écrite, tant numérique qu’imprimée, ce qui permet de réserver à la presse, et à elle seule, l’application du taux super-réduit de TVA. Les autres produits ou services proposés par les titres de presse en ligne ne seront pas concernés par l’abaissement du taux de TVA à 2, 1 %.
Le deuxième objectif que se fixe la proposition de loi est le pluralisme de l’information. En effet, le secteur de la presse n’est pas un secteur comme les autres. Il est certes fragile économiquement, mais il est précieux pour la démocratie. C’est parce que la presse est singulière et qu’elle représente un pilier de nos institutions républicaines que le législateur a voulu un taux super-réduit de 2, 1 %. En incluant aujourd’hui la presse en ligne dans la presse tout court, le législateur français proclame qu’elle contribue au pluralisme.
Parmi les services de presse en ligne se trouve en effet une presse qui enquête, qui recoupe, qui argumente et qui débat. Elle explore aussi de nouveaux sujets d’une façon nouvelle et éveille la curiosité de nouveaux lecteurs. Ainsi, en contribuant grandement à l’expression de la liberté d’informer, la presse en ligne est une chance pour la démocratie. En ce sens, elle renouvelle et ravive ce qui a fait la force de la presse écrite depuis bientôt quatre siècles.
Le troisième objectif visé par la présente proposition de loi est le renforcement du dynamisme économique de la presse. L’équité fiscale commandait de placer l’ensemble de la presse au même taux. La volonté de soutenir l’économie, fragile, de la presse valide le choix historique d’un taux de 2, 1 %. Bien sûr, aligner les taux aurait pu signifier, pour le législateur, placer toute la presse à un taux moyen plus important, de 5, 5 %, voire de 20 %.
Bien entendu, au vu des difficultés économiques actuelles et du rôle démocratique de la presse écrite, il était indispensable que l’alignement s’effectue par le bas, avec ce taux super-réduit à 2, 10 %.
Il ne s’agit évidemment pas d’exonérer le secteur de la presse de tout effort budgétaire. Je vous rappelle que le projet de loi de finances pour 2014 a prévu une réduction des crédits en matière d’aide à la presse. Néanmoins, le taux de TVA super-réduit permet de soutenir et d’accompagner l’ensemble de la filière de la manière la plus neutre, c'est-à-dire en préservant au mieux l’indépendance consubstantielle à la presse dans une démocratie.
L’unification du taux de TVA peut créer un choc économique positif pour le secteur. D’ailleurs, j’observe que l’alignement de la TVA sur la presse en ligne est peu coûteux. La première année, en dépense fiscale, cela représente quelques millions d’euros, sans doute pas plus de 5 millions d’euros, voire moins, en attendant la montée en puissance pleine et entière du dispositif.
Le bilan budgétaire à moyen terme sera excellent. Grâce à l’effet d’entraînement économique, le coût sera plus que compensé au bout de trois années. Il s’agit donc d’une mesure judicieuse même pour les finances publiques.
Plus largement, l’avancée qui vous est proposée concourt à l’évolution générale que le Gouvernement souhaite pour les aides à la presse dans leur ensemble, afin de renforcer l’efficacité économique de l’ensemble du système.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juillet dernier, j’ai présenté une remise à plat de ces aides. La réforme se met en place conformément au calendrier annoncé. Nous réorientons le soutien du fonds stratégique pour le développement de la presse vers l’innovation numérique et vers les projets mutualisés, ce qui évite la dispersion en une dizaine de fonds, comme c’était le cas auparavant. Là, il y aura un seul fonds.
Nous avons lancé une mission sur l’avenir de la distribution de la presse, pour donner plus de cohérence aux trois modes de diffusion de la presse que sont la vente au numéro, le portage et le postage. Évidemment, dans un contexte de réduction de la consommation papier, une telle coexistence est problématique. L’inspection rendra ses conclusions au mois de juin ; elle doit permettre de définir les conditions d’une viabilité à long terme du système.
En outre, j’ai veillé à soutenir fortement les marchands de presse en incitant vivement la profession à revaloriser leur rémunération et à améliorer leurs conditions quotidiennes de travail ; je pense évidemment en premier lieu aux kiosquiers. Je sais tout l’attachement des membres du Sénat et de l’ensemble des élus locaux à ces relais indispensables de la presse, qui font vivre la démocratie dans tous nos territoires.
En loi de finances rectificative pour 2013, nous avons ouvert la possibilité aux collectivités locales d’exonérer les marchands de presse de la contribution économique territoriale. Je tiens à vous le rappeler, parce que c’est un levier de politique économique absolument essentiel pour les collectivités locales dans leur soutien aux marchands de presse.
J’en viens à l’élan européen. Vous le savez, nous devons parvenir à réformer la fiscalité sur les biens culturels en Europe.
La France défend sans relâche cette position auprès de la Commission européenne et des autres États membres. Une mission a même été confiée à Jacques Toubon et renouvelée. La Commission européenne a écouté les positions françaises. J’espère qu’elle a entendu nos arguments en faveur de la neutralité fiscale entre les biens culturels, quel que soit leur support. On ne peut parler aujourd'hui de transition numérique dans l’économie de la culture sans plaider ardemment pour cette neutralité.
Le Parlement européen s’est lui-même prononcé en ce sens. Notre partenaire allemand est également mobilisé sur le sujet. Dans le cadre de la nouvelle grande coalition, l’Allemagne a désormais rallié la position française sur la neutralité technologique en matière fiscale. Mon homologue allemande a d’ailleurs exprimé un soutien clair et fort à la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui.
Après-demain, lors du sommet franco-allemand, nous aurons de nouveau l’occasion d’exprimer notre convergence de vue sur la légitimité de la neutralité technologique en matière de presse et de biens culturels en ligne. De nombreux autres États européens se sont clairement exprimés en faveur d’une réforme d’ensemble. L’ensemble des professionnels européens du secteur la réclament.
La crise de la presse, comme celles de l’édition musicale et du livre, touche toute l’Europe. Elle est profonde et peut constituer un danger radical pour notre continent si nous n’y remédions pas. Le pluralisme, la liberté de la presse, la création culturelle sont plus que des secteurs économiques pour notre continent : ils en sont véritablement l’âme. L’Europe doit agir, et elle peut le faire si nous avons, ensemble, la volonté de faire évoluer les conservatismes. Les procédures de l’Union européenne sont nécessaires et tout à fait légitimes, mais elles ne doivent pas être synonymes d’inaction.
Tous les Européens de conviction, dans chacun de nos pays, doivent prendre leurs responsabilités. À Paris, à Berlin, à Bruxelles, à Strasbourg, nous devons continuer de démontrer ce qu’est l’Europe, pourquoi nous l’aimons et à quoi elle sert : une Europe de la culture, de la liberté d’information, de la démocratie ! Et quelle plus belle preuve d’Europe qu’un encouragement européen commun à la création culturelle, à l’invention numérique ou au pluralisme de la presse ?
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ma part, je suis convaincue qu’une décision européenne favorable sur la fiscalité culturelle est possible. Je ne ménagerai aucun effort pour y parvenir.