Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la presse est considérée, à tort ou à raison, comme le quatrième pouvoir. En tout cas, elle constitue indéniablement en France un contre-pouvoir.
Il suffit pour s’en convaincre d’observer que la complaisance envers les pouvoirs en place, quels qu’ils soient, est bien loin d’être la règle, tant s’en faut. Une certaine forme de liberté d’expression est garantie par l’existence d’éditions diverses et pluralistes, aux sensibilités différentes, qu’il convient par conséquent de préserver.
Les pouvoirs despotiques ont en effet toujours combattu le pluralisme en muselant la presse et en n’autorisant qu’une seule presse d’État. C’est pourquoi les plus grandes révolutions démocratiques ont toujours cherché à protéger cette forme de liberté d’expression.
En 1789, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a ainsi proclamé que la libre communication des pensées et des opinions était l’un des droits les plus précieux de l’Homme.
En 1791, le premier amendement de la Constitution américaine de 1787 a disposé que le Congrès ne ferait aucune loi portant atteinte à la liberté d’expression.
En 1881, la loi sur la liberté de la presse en France a supprimé tout régime préventif, abandonné le délit d’opinion et aboli la censure.
Cependant, la presse se trouve aujourd’hui en France à un véritable tournant de son histoire. Avec le développement du numérique, l’information n’est plus devenue le seul apanage des grands titres de presse nationaux et régionaux. Tout citoyen peut désormais devenir un relais ou une source d’information au travers de la toile et des réseaux sociaux.
Cette évolution constitue un progrès démocratique indéniable, mais elle présente également une forme de danger, la rumeur fabriquée, voire manipulatrice, pouvant être relayée comme une réelle information.
Pour combattre ce danger, il est indispensable que les organes de presse reconnus et structurés occupent le terrain du numérique, afin qu’il existe des sites d’information référents, pluralistes, de qualité et sous-tendus par une véritable responsabilité éditoriale.
L’accès instantané, facile et souvent gratuit – peut-être trop souvent gratuit – à une information dématérialisée extrêmement réactive a ainsi accéléré l’effondrement de la presse papier, notamment des quotidiens, dont le coût, il faut le rappeler, résulte pour près de 60 % des frais d’impression et de distribution. Aujourd’hui, plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, seuls les quotidiens La Croix et Les Échos parviennent encore à progresser quelque peu, mais pour combien de temps encore ?
Les grands quotidiens, s’ils veulent naître, vivre ou survivre, doivent donc faire leur révolution et accomplir pleinement ce virage du numérique. Le lancement récent du quotidien L’Opinion est en ce sens symbolique, puisqu’il a été double : papier et numérique simultanément. Toutefois, il demeure plusieurs obstacles à ce virage technologique.
Le premier est d’ordre psychologique : se résoudre à la transformation du support des quotidiens et de la perte de terrain du papier est parfois difficile pour des journalistes qui ont connu les grandes heures de la presse papier et dont le mode de travail même est organisé pour cette dernière.
Ainsi, jeudi dernier, Nicolas Demorand, le directeur de la publication du quotidien Libération et coprésident du directoire, a démissionné, notamment en raison « d’une divergence stratégique profonde ». Il souhaitait en effet faire prendre à Libération le « virage numérique », alors que le journal reste « une entreprise dominée par le papier ».
Il a notamment déploré que la rédaction papier ne produise en moyenne que 0, 1 article par semaine et par journaliste pour le site. La disparition des quotidiens La Tribune et France Soir a constitué un choc dans le milieu de la presse papier, France Soir, par exemple, ayant longtemps été une référence dans le paysage médiatique français, forte d’une rédaction de plus de 400 personnes au cours de son âge d’or.
Si la presse papier est peu ou prou parvenue à absorber le choc de la concurrence de l’image et de la diffusion de l’information à la télévision, il paraît moins certain qu’elle puisse résister au virage numérique. Elle doit donc l’accompagner.
Outre cet obstacle psychologique, demeure l’obstacle fiscal. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et par la commission de la culture de la Haute Assemblée, sous votre présidenceentend lever cet obstacle. Son adoption est donc nécessaire pour la survie de la diversité de la presse française, même si, bien entendu, elle n’est pas suffisante.
En effet, actuellement, il est difficile de compenser la diminution de la diffusion papier, soumise à un taux de TVA super-réduit de 2, 1 %, par une hausse de la diffusion numérique, soumise à un taux de TVA dix fois supérieur.
Plus généralement, alors que la presse en ligne croît de 45 % par an, elle ne bénéficie que de 20 millions d’euros sur le milliard d’euros d’aides à la presse, comme l’a rappelé M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Robert Hue. L’harmonisation des taux de TVA, avec l’application d’un taux super-réduit à 2, 1 % pour la presse numérique, est donc indispensable pour accompagner cette évolution digitale.
Il convient de souligner, comme vous l’avez déjà fait, madame la ministre, que le coût de cette mesure sera très faible, puisqu’il est évalué au plus à 5 millions d’euros, pour les quelque 650 services de presse en ligne.
Toutefois, si nous soutenons cette harmonisation, nous ne pouvons cautionner les anticipations de l’instruction fiscale décidées et appliquées unilatéralement par certains organes de presse et qui font l’objet de contentieux avec le fisc français.
Ainsi, pour ce qui concerne les sites qui se sont mis en infraction fiscale en s’auto-appliquant le taux de 2, 1 % au lieu de 19, 6 % avant le 1er janvier 2014, il ne convient pas, selon nous, de s’opposer aux redressements fiscaux en cours.
En effet, en cas d’annulation de ces redressements sans fondement juridique solide, nous enverrions un signal désastreux au monde économique, lui donnant à croire qu’il serait fondé à juger lui-même de la légitimité des taux de TVA ! Sur cette question, j’ai noté que les avis de M. Bloche, à l'Assemblée nationale, et de notre rapporteur étaient convergents.
En revanche, nous serions évidemment favorables à tout aménagement ou étalement de cette dette fiscale qui pourrait être décidé par l’administration fiscale et qui permettait ainsi la survie salutaire des titres en cause.
Un vote à l’unanimité de cette proposition de loi par l’ensemble des parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, constituerait un message fort adressé à Bruxelles, pour que les autorités européennes règlent rapidement la question de l’eurocompatibilité de cette mesure. Nous éviterions alors de nouveaux risques juridiques pour ces titres. Madame la ministre, nous vous remercions de votre implication sur cette question.
Rappelons que le Parlement suédois avait déjà adopté en mai 2011 une résolution préconisant l’application des mêmes taux de TVA et que l’Allemagne ne s’oppose désormais plus à cette harmonisation.
D’un point de vue juridique, la fiscalité applicable à la presse ne doit pas s’apprécier en fonction du support de diffusion, qu’il soit numérique ou imprimé.
La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt Rank de novembre 2011, a clairement et solennellement réaffirmé que le principe de la neutralité fiscale était un élément constitutif du principe de libre concurrence.
En conséquence, même si l’harmonisation des taux de TVA contredit temporairement une directive européenne dont la révision est en cours, cette harmonisation met en œuvre ce principe de neutralité et, par conséquent, celui de libre concurrence, qui est le principe fondateur de l’Union européenne. La légitimité juridique de ce principe nous semble donc supérieure et pourrait d’ailleurs servir de support à une contestation des redressements fiscaux en cours en France.
Enfin, au-delà de l’harmonisation des taux de TVA, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion plus approfondie sur notre presse, sur la baisse du lectorat, quel que soit le support, et sur la nature et la pertinence des aides apportées aux différents titres présents sur notre territoire.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP votera cette proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, tout en émettant le regret d’avoir dû l’examiner dans une certaine précipitation et en exprimant l’espoir de voir un débat approfondi prochainement organisé sur cette question. §