Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les écologistes plaident en faveur de l’alignement du taux de TVA de la presse numérique sur celui de la presse imprimée.
C’est donc avec une vive satisfaction que nous accueillons cette mesure et c’est sans surprise que nous voterons cette proposition de loi dans le texte issu de l’Assemblée nationale, comme nous y invite la commission de la culture.
Le pluralisme de l’information est un enjeu démocratique majeur. À cet égard, l’État reste le principal garant d’une presse libre et indépendante, notamment à travers les aides qu’il accorde à ce secteur.
La baisse du taux de TVA inscrit évidemment dans cette logique. Elle constitue une réparation face à une injustice, qui devenait chaque jour plus criante. Elle rétablit deux principes fondamentaux du droit : le principe de neutralité fiscale et celui, défini plus récemment, de neutralité technologique, puisqu’elle va permettre de réunifier, d’un point de vue conceptuel et juridique, la presse imprimée et la presse en ligne, sans discrimination entre ces deux modes de diffusion.
Enfin, elle ouvre la possibilité de raisonner globalement, en termes de marques d’information, sans s’arrêter à d’artificielles barrières technologiques.
En effet, même si elle leur facilitera la vie, cette mesure ne bénéficiera pas uniquement aux seuls médias d’information en ligne : elle concerne l’ensemble des titres de presse d’information qui ont choisi d’engager une mutation en développant diverses formes d’édition électronique, en complément de leur édition papier. Sans cette harmonisation de la TVA, il serait notamment très difficile, pour ces titres de presse, de proposer des offres couplées d’abonnement aux deux supports.
Surtout, cette mesure devrait permettre aux entreprises de presse de retrouver un modèle économique en adéquation avec le caractère exigeant de la production d’une information de qualité, car elle va faciliter le redéploiement du modèle économique de la presse sur internet vers le payant.
En effet, il faut en finir avec l’illusion d’une presse d’information de qualité fondée sur la gratuité et sur son corollaire, le financement exclusif par la publicité.
C’est un fait : les recettes publicitaires n’ont jamais été en mesure, à elles seules, de couvrir les coûts de production des authentiques sites d’information. Pourquoi ? Tout simplement parce que la ressource publicitaire, qui aurait logiquement dû leur échoir, est le plus souvent captée, en amont, par les agrégateurs, les moteurs de recherche, des sociétés comme Google, capables de tracer les usages d’internet par la population, individu par individu, et de commercialiser pour leur compte ces données personnelles qu’elles n’ont pas produites. Ces sociétés ne se contentent pas de récupérer les contenus et de les agréger sous Google News : elles les revendent comme nouveaux vecteurs publicitaires.
Trop tardivement, les entreprises de presse ont fini par prendre conscience de cette nouvelle donne économique. Elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à développer des offres payantes pour leurs contenus sur internet.
Dans ces conditions, l’abaissement du taux de TVA pour ces services est une bouffée d’air dans le monde de plus en plus sinistré de l’information.
Au reste, on peut s’interroger : pourquoi cette mesure, qui semble si évidente à présent, n’a-t-elle pas été prise plus tôt ?
Le principal argument que nous ont opposé, dans cette enceinte, les gouvernements successifs se fondait sur une réglementation européenne hostile. C’était là forcer un peu le trait : en réalité, la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, applicable aux services, généralement invoquée pour juger la presse numérique comme inéligible au taux super-réduit de TVA, fait l’objet d’une interprétation très restrictive. Pourtant, ce que contient son chapitre 3 offre vraiment matière à plaider !
Surtout, nous avons jusqu’à présent trop superbement ignoré d’autres dispositions, tout aussi importantes, concernant le principe de neutralité fiscale dans le droit européen. Ainsi, dans sa jurisprudence, notamment dans l’arrêt The Rank Group, rendu le 10 novembre 2011, que ma collègue Sophie Primas a cité, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler le principe selon lequel deux prestations identiques ne peuvent en aucun cas être traitées différemment du point de vue fiscal.
Bref, le risque de voir la France sanctionnée pour l’application d’une telle mesure est aujourd'hui proche de zéro !
Pour autant, cette proposition de loi, que nous serions fous de ne pas adopter, ne réglera pas tout.
Je pense en particulier à la situation de plusieurs supports numériques payants d’information de qualité qui, parce qu’ils avaient décidé de s’auto-appliquer le taux super-réduit pour survivre financièrement et ouvrir la voie à la loi que nous étudions aujourd’hui, font toujours l’objet de procédures de recouvrements fiscaux, au terme desquelles elles risquent de « mourir guéries ». Ainsi, si la procédure est maintenue, Mediapart pourrait se voir réclamer un recouvrement de 6 millions d’euros ! Quant à Arrêt sur images, ne disposant pas de la trésorerie nécessaire pour faire cesser le recouvrement fiscal dont il était l’objet, il a vu son fonds nanti. La situation est ubuesque : le directeur de l’administration fiscale est quasiment devenu le directeur de publication de fait d’Arrêt sur images !
Certes, en matière de droit, la rétroactivité est toujours une opération dangereuse. Pour autant, nous appelons le Gouvernement à tenir compte de l’esprit de la loi. En l’espèce, un dispositif d’amnistie fiscale circonstancié serait, à notre sens, le bienvenu.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette mesure, si louable et si indispensable soit-elle, ne demeure cependant qu’un des éléments de la nécessaire refonte des aides à la presse dans notre pays.
Un décret actuellement en préparation devrait notamment fusionner les trois sections actuelles du Fonds stratégique pour le développement de la presse et un nouveau « club des innovateurs » devrait être mis en place pour définir la pertinence à moyen terme des mesures à prendre. Avec une telle avancée, le bien-fondé des aides distribuées pourrait être apprécié plus globalement. En effet, trop d’argent a été accordé pour de prétendues innovations technologiques qui, en réalité, ne permettaient pas aux entreprises concernées de drainer de nouvelles ressources ou de nouveaux lecteurs. Nous devons donc être très vigilants quant aux compétences réelles et à l’expertise des membres de ce futur comité, pour éviter les errements du passé.
Si l’innovation ne se décrète pas, elle doit être accompagnée avec intelligence et souplesse. Mes chers collègues, cela fait trop longtemps que le secteur de la presse subit le tournant numérique plus qu’il ne le fait fructifier ! §