Intervention de Didier Marie

Réunion du 17 février 2014 à 16h00
Taxe sur la valeur ajoutée applicable à la presse imprimée et à la presse en ligne — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne. Enfin ! diront certains.

Comme l’a souligné David Assouline dans son excellent rapport, cette mesure est en effet attendue par l’ensemble du secteur de la presse, tant en France que dans le reste de l’Europe, comme en témoigne la « déclaration de Berlin », rendue publique en mars 2011, qui a réuni les signatures de plus de deux cents associations professionnelles et groupe de presse européens autour de l’objectif du taux de TVA réduit pour le numérique au même titre que pour la presse écrite.

Elle est aussi attendue par les usagers, ainsi que l’attestent les 30 000 signatures recueillies par le site Mediapart, à la suite de son « appel pour l’égalité fiscale ».

Elle est en outre souhaitée depuis longtemps par de nombreux parlementaires, qui ont déposé des amendements ayant le même objet lors de l’examen des dernières lois de finances. D'ailleurs, dans ce combat pour obtenir l’alignement des taux de TVA, notre rapporteur avait été en première ligne.

Enfin, rappelons qu’elle fait suite à un engagement du Président de la République, confirmé le 17 janvier aux éditeurs de presse par le Premier ministre.

Chacun ici sait que la presse est confrontée à une grave crise, liée au vieillissement de son lectorat, à la migration de ses lecteurs vers d’autres supports, à la baisse de ses recettes publicitaires – de quelque 8, 2 % en 2012 –, dans un contexte économique atone, à l’affaiblissement du réseau de distribution et à la fermeture de nombreux points de vente. Ces différentes évolutions entraînent un recul du chiffre d’affaires de l’ensemble de la presse – de l’ordre de 8 % en 2013 – et s’accompagnent malheureusement d’un effondrement des marges, malgré une augmentation des prix de vente.

Cette crise se traduit par des destructions d’emplois – 1 500 en deux ans – et par des menaces sur certains titres. Ce qui se passe en ce moment à Libération en est une illustration, sans parler de la disparition de France-Soir et de La Tribune ou des inquiétudes que peut susciter la situation de Nice-Matin et de Var-Matin.

L’écosystème de la presse imprimée est engagé dans une spirale dangereuse.

Cette situation est par ailleurs une source préoccupation majeure quant au fonctionnement même de notre démocratie, dont l’un des piliers est l’accès libre à l’information indépendante et aux outils de communication Nous avons besoin d’une presse libre, indépendante et pluraliste pour garantir les fondements de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». C’est ce principe qui constitue le socle de la politique de soutien public à la presse et qui justifie aujourd’hui cette nouvelle intervention de l’État et l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit de favoriser l’émergence d’un nouveau modèle économique pour la presse.

Certes, la presse imprimée reste un vecteur efficace pour obtenir une information approfondie, mais tout le monde convient que la presse en ligne constitue le prolongement, voire l’avenir du travail d’information et d’investigation du journalisme.

Cette mutation numérique est vitale pour l’ensemble du secteur. Elle offre un relais de croissance, permet de trouver de nouveaux lecteurs et accompagne la révolution des usages qui voit 65 % des ménages – soit 38 millions de personnes – raccordés à internet. Ces mêmes ménages s'équipent massivement en outils numériques, comme en témoignent les acquisitions de tablettes numériques : on devrait en compter près de 20 millions en 2017.

Jusqu’à présent, la presse imprimée et la presse en ligne restent considérées comme deux catégories distinctes au regard du droit fiscal : la première bénéficie du taux super-réduit de 2, 1 % et la seconde du taux normal de 20 %.

Ce différentiel de TVA est un lourd handicap pour la presse et un obstacle à l’émergence d’un modèle économique viable pour la presse payante en ligne qui, à ce jour, présente une rentabilité trop faible au regard d’investissements et de coûts d’hébergement représentant jusqu’à 30 % ou 40 % du coût total.

Il interfère avec la stratégie des titres de presse comme avec l’évolution des modes de consommation et de diffusion de l’information.

Cette différence de traitement constitue une entrave évidente à l’évolution du modèle économique. Elle se trouve aussi en contradiction avec le principe de neutralité technologique de la fiscalité, reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment avec le fameux arrêt Rank du 10 novembre 2011, qui a condamné le Royaume-Uni pour avoir mis en œuvre des TVA différentes pour des produits semblables.

Le niveau actuel de la TVA affaiblit l’attractivité de l’offre en ligne, détourne les lecteurs potentiels – souvent plus jeunes – et diminue la capacité d’investissement des sites de presse. Cette réglementation est incompatible avec le développement du numérique. La complémentarité des supports papier et digital est en effet indispensable et présuppose une stricte égalité de traitement fiscal.

En appliquant le taux de 2, 1 % de TVA à la presse en ligne, l’objectif est de rendre accessible et attractive sur internet l’information politique et générale. Cette disposition permettra de renforcer les sites qui respectent les normes professionnelles. Ces sites sont en effet soumis à la concurrence de sites qui n’ont « d’information » que le nom et produisent des contenus à coût nul, en collectant des informations non vérifiées, souvent fournies par les internautes eux-mêmes, sans respecter les règles de la profession.

Il est important que les usagers aient la possibilité de se référer à des sites dotés d’un label de qualité, encadrés par une responsabilité éditoriale et validés par la commission paritaire des publications et agences de presse.

On pourrait nous objecter deux raisons pour ne pas appliquer le même taux à l’ensemble de la presse.

Tout d’abord, dans une période difficile pour les finances publiques, son coût, qui est estimé par une étude de référence à 5 millions d'euros pour la première année d’application. Ce coût est à comparer aux 270 millions d'euros que représente cette mesure pour la presse imprimée. Il en résulte un manque à gagner relatif qui, selon la même étude, serait compensé en trois ou quatre ans par le développement de la filière et les recettes supplémentaires de TVA ainsi engendrées. Aussi l’argument budgétaire ne tient-il pas.

Deuxième objection : actuellement, la réglementation européenne ne le permet pas. C’est justement la raison pour laquelle les autorités françaises ont entrepris des démarches actives auprès des institutions européennes. Ces démarches produisent leurs effets : le Parlement européen s’est prononcé trois fois en faveur d’un taux réduit de TVA pour les œuvres culturelles numériques et la Commission a annoncé – le rapporteur l’a rappelé – une étude exhaustive sur cette question.

À la suite de l’accord entre le CDU et le SPD, l’Allemagne s'est récemment ralliée à la position française, par ailleurs soutenue par dix pays, en particulier la Suède, qui a déjà transcrit cette mesure dans son droit interne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique ou encore la Pologne. Cette évolution ouvre des perspectives favorables de modification de la directive européenne du 28 novembre 2006 pour permettre l’application du taux de TVA réduit aux biens et services culturels.

Cependant, l’urgence est là. Toutes les études ont conclu que l’adoption du taux super-réduit de 2, 1 % pour la presse en ligne – qui déboucherait sur un soutien global et indifférencié à l’ensemble du secteur de la presse – est d’une importance vitale : aussi bien celle qu’a conduite Pierre Lescure sur l’adaptation des industries culturelles au numérique, remise en mai 2013, que celle de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse.

Rappelons que cette baisse de TVA est un soutien plus intéressant que le versement de subventions directes aux organes de presse, car ces subventions, en éveillant souvent le soupçon de conflits d’intérêts, posent la question de l’indépendance des titres.

Le droit européen est aujourd’hui en contradiction avec l’obligation constitutionnelle des pouvoirs publics de soutenir un secteur qui traverse une crise extrêmement préoccupante et dont l’avenir, voire la survie sont largement conditionnés par sa capacité à réussir sa mutation numérique.

La légitimité doit prendre le pas sur la légalité européenne. Le Gouvernement a lancé ce mouvement en instaurant un taux réduit pour le livre numérique. Nous devons appuyer ses efforts et faire valoir l’exception culturelle.

Agir pour l’existence, la pérennité et le pluralisme d’une presse indépendante – parfois impertinente, mais toujours professionnelle – est une mission d’intérêt général, une responsabilité que nous devons assumer et une garantie pour la vigueur de la démocratie.

En adoptant à l’unanimité cette proposition de loi, nous donnerons un horizon à la presse de notre pays et nous renforcerons, mes chers collègues, la position française dans les négociations en cours avec l’Union européenne.

La France a toujours eu un rôle moteur et pionnier pour défendre et promouvoir le respect de la liberté, l’indépendance des médias et la mise en œuvre de l’exception culturelle.

Ce texte, une nouvelle fois, en fait la démonstration, et les membres du groupe socialiste sont heureux de le voter.

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