Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est le fruit d’un long combat mené par l’ensemble des groupes des deux assemblées, comme cela a été largement rappelé. Elle s’appuie sur de nombreux travaux, les derniers en date ayant été réalisés, à votre demande, madame la ministre, par le groupe de travail sur les aides à la presse, réuni sous la présidence de Roch-Olivier Maistre.
Ainsi, ce texte fait l’objet d’un consensus au sein des deux assemblées : nous partageons tous, et c'est heureux, l’ambition et la volonté de maintenir la pluralité de la presse dans notre pays, qui est un principe à valeur constitutionnelle.
Les pouvoirs publics ont permis ce pluralisme en s'appuyant sur un socle équilibré, comprenant trois dispositifs : la loi Bichet de 1947, qui assure la distribution de tous les titres dans tous les points de vente ; l’application d’un taux préférentiel, dit « super-réduit », de TVA ; les aides à la distribution.
Ce socle est aujourd’hui remis en cause par l’avènement d’internet et les mutations qu’il opère. D'une part, les points de vente de la presse sont de moins en moins nombreux, la loi Bichet perdant ainsi de sa pertinence. D'autre part, la presse connaît des évolutions importantes, notamment avec l’apparition de médias en ligne, qui ne bénéficient que marginalement des aides à la presse tout en étant soumis à un taux de TVA dit « normal », mais prohibitif pour le développement de ce secteur d’activité.
En d’autres termes, le dispositif global de soutien à la presse doit être mis à jour afin que le pluralisme de l’information, vital en démocratie, demeure une réalité. Le débat d’aujourd’hui est ainsi une première étape vers la refondation du socle.
Au nom du principe de l’équité fiscale et de la neutralité des supports, il est injuste et inopérant à court terme, compte tenu de la migration des lecteurs de la presse papier vers la presse numérique, que la presse en ligne soit soumise à une TVA à 20 % et la presse papier à une TVA à 2, 1 %. C’est d’ailleurs dans cet esprit et sur la base de ces mêmes arguments que nous avons voté ensemble, en 2011, l’alignement de la TVA applicable au livre numérique sur la TVA applicable au livre papier, comme tous les intervenants l’ont rappelé.
Ce parallélisme des formes en matière de TVA revêt par ailleurs une signification symbolique forte : il permet de reconnaître enfin que le travail du journaliste professionnel peut se faire sur internet et qu’il a la même légitimité que celui qui est effectué sur le support papier. Il s’agit de donner à un article en ligne la même valeur qu’un article imprimé.
Toutefois, cette mesure fiscale ne peut répondre, à elle seule, aux défis que doit relever la presse d’information. Je souhaiterais donc profiter de ce moment pour que nous puissions nous interroger ensemble sur la meilleure façon de faire vivre le pluralisme de l’information, mais aussi l’information tout court.
Nous vivons en effet dans un monde saturé d’images, d’écrits, de données. Dès lors, la presse quotidienne d’information générale se retrouve dans une situation de plus en plus compliquée : depuis l’émergence des chaînes d’information continue, la presse quotidienne nationale n’a plus le monopole des scoops, de la nouvelle… Quand nous lisons un journal, nous avons déjà en tête les grands faits marquants du jour.
Le lecteur attend de son quotidien un regard, une analyse, une intelligence ajoutée. Rappelons ici que les médias ont un rôle de médiation : n’oublions jamais la parenté étymologique des deux termes. À ce titre, les médias formatent les représentations, exerçant ainsi une éminente responsabilité citoyenne.
Les médias ont donc un rôle d’explication, d’analyse, de formation de l’opinion et d’interpellation du pouvoir. Quand ils tiennent vraiment ce rôle, ils constituent alors ce « quatrième pouvoir » qui est une pierre de touche d’une réelle démocratie et le gage de la crédibilité de la presse comme du développement de son pluralisme.
La masse d'informations à vérifier, à hiérarchiser et à analyser est devenue considérable. Or toutes ces actions doivent être réalisées dans un temps de plus en plus court. Le défi de la presse d’information quotidienne est alors double : apporter une valeur ajoutée importante à la dépêche AFP qui circule sur le web, tout en alimentant, en contenu et en continu, son site d’information.
De plus, cette double mutation de l’accélération du temps social et de l’accroissement des données – tant par l’accès que par le nombre – s’inscrit dans une équation économique intenable : d’un côté, la presse papier se vend moins, impliquant une diminution des recettes liées aux annonceurs ; de l’autre, la presse en ligne est comme soumise à une culture de gratuité. Sur le web, les lecteurs attendent une information immédiate, renouvelée, mais ne consentent pas à payer pour elle.
La presse quotidienne n’a pas encore trouvé le ou les modèles économiques lui permettant de répondre à ces nouvelles attentes et de mener à bien cette mutation.
Certains éditeurs ont fait le choix d’une offre, généralement payante, uniquement présente sur le web : ce sont les pure players, nouveaux entrants du secteur. Ils seront assurément les premiers bénéficiaires de la mesure que nous nous apprêtons à voter, et certains d’entre eux atteindront la viabilité économique, ou en seront proches.
D’autres éditeurs possèdent un support papier et proposent dès lors une offre dite « couplée », comprenant les deux formats. Pour ces derniers, la viabilité à court et long terme, malgré cette mesure, n’est pas certaine. S’il est désormais admis que la gratuité du journal numérique n’est pas tenable, toutes les solutions payantes n’ont pas encore fait leurs preuves.
Les éditeurs tâtonnent entre plusieurs modalités : entre le gratuit et le payant, entre ce qui est papier et ce qui est numérique, entre ce qui est interactif et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est fixe et ce qui est enrichi au fur et à mesure de la construction de l’article…
Quant aux journalistes, l’écriture de blogs en complément des articles devient pour eux une nécessité, tandis que se mettent en place des équipes dédiées au travail en ligne. Dans un tel contexte, ce sont surtout les quotidiens qui sont fragilisés : France-Soir et La Tribune ont cessé de paraître en version papier, et l’on s’inquiète maintenant du sort de Libération.
La mutation numérique affecte bien davantage les quotidiens que les hebdomadaires. Quoique…
Il convient de souligner que, prenant le contre-pied d’un modèle numérique caractérisé par l’immédiateté, la gratuité et la brièveté, plusieurs acteurs ont lancé, avec un réel succès, des publications uniquement sur support papier, payantes et proposant des articles d’information longs. Le lancement réussi de la revue XXI a ouvert la voie à d’autres titres. Le lancement d’un nouveau quotidien d’opinion, l’an passé, dans un climat économique pourtant défavorable, atteste que la presse papier répond encore à une attente.
Le maintien d’une presse quotidienne pluraliste, dans sa version papier, reste une condition de la vie démocratique, notamment parce que tous nos concitoyens ne disposent pas d’un accès à internet et que certains d’entre eux ont un lien affectif avec l’imprimé – ce qui se vérifie aussi pour le livre.
Dans cette perspective, la réorientation des aides à la presse doit permettre à chacune des entreprises de presse de trouver son propre modèle économique. Si je crois fondamentalement que la quête d’un contenu apportant une intelligence ajoutée certaine à l’actualité constitue un objectif majeur pour lutter contre la fragilisation de la presse, je pense que nous avons aussi des choix politiques à opérer. Ces choix, qui excèdent la seule question de la mutation numérique, concernent l’ensemble des aides à la presse.
Le Gouvernement a adopté une politique de mutation progressive des aides à la presse. Il s’agit notamment d’accompagner les mutations en participant à la restructuration du secteur plutôt que de continuer à soutenir un système devenu inadapté.
Cette réorientation passe par le fonds stratégique pour le développement de la presse, qui est un levier d’aide à la transformation du secteur en encourageant l’innovation ainsi que la mutualisation des ressources. Ce ne sont plus des projets isolés que l’on doit privilégier, mais bien les projets globaux assurant une meilleure maîtrise des coûts, particulièrement dans le domaine de l’impression et de la distribution. Seuls ces derniers sont en mesure d’assurer des effets d’échelle et des externalités positives pour l’ensemble de la profession.
Le portage, essentiel pour les titres de presse, a fait l’objet de lourds investissements ces trois dernières années, sans résultats probants.
Quelles peuvent être, madame la ministre, les orientations de la politique gouvernementale en la matière ? Comptez-vous favoriser un portage multi-titres ? Donnerez-vous davantage d’aides au portage en zone peu dense ?
Pour ce qui est de la présente proposition de loi, son adoption sera un bol d’oxygène pour les acteurs de la presse, pure player ou multisupport, et devrait contribuer à dessiner un modèle économique viable à plus long terme. L’exposé de notre rapporteur nous conduira bien évidemment à la voter.
Par ailleurs, l’adoption prochaine d’une ordonnance portant sur le financement participatif, annoncée par François Hollande, pourrait également permettre à de nouveaux modèles économiques d’émerger.
En effet, la TVA super-réduite ne saurait répondre à elle seule à tous les enjeux que pose la question de l’avenir de la presse. Quelles que soient les solutions que doivent imaginer les patrons de presse, les modèles économiques ne peuvent faire l’impasse sur la nécessité, pour la presse quotidienne, de renouer un lien de confiance avec son lectorat. Nous comptons sur eux, car l’affaiblissement de la presse pourrait causer à terme une régression de notre démocratie. Outre l’enjeu économique, il s’agit bien d’une exigence, voire d’un impératif démocratique ! §