Intervention de Michèle-Laure Rassat

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle-Laure Rassat professeur émérite des facultés de droit spécialiste du droit pénal

Michèle-Laure Rassat, professeur émérite des facultés de droit, spécialiste du droit pénal :

Votre invitation m'a surprise, car je n'ai pas souvent l'occasion d'être appelée devant une commission parlementaire. Je m'en tiendrai, pour commencer, à quelques remarques de légistique. On a là une loi d'objectifs, comportant plusieurs volets - législation pénale au sens large, législation sur les étrangers, législation sociale, application de la loi. Or, rien n'est regroupé de façon cohérente, il faut jouer à saute-mouton entre les articles pour s'y retrouver. Quant à la rédaction, qu'il me suffise de mentionner celle qui va résulter de l'article premier, qui modifie l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique afin d'inciter les fournisseurs d'accès à la vigilance dans un certain nombre de domaines nouveaux : « Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale, ainsi que de la pornographie enfantine, de l'incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences faites aux femmes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine, les personnes mentionnées ci-dessus - ce sont les fournisseurs d'accès - doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 224-4-1, 225-5, 225-6 et 227-23 du code pénal. » C'est parfaitement illisible, y compris pour les spécialistes. Il eût été plus clair d'écrire tout simplement que les fournisseurs d'accès sont tenus à une vigilance particulière à l'égard de telle et telle infraction, en précisant à mesure, entre parenthèses, la disposition légale qui la vise.

Cet article 6, dans sa rédaction actuelle, pose déjà deux problèmes de fond. Le neuvième alinéa de l'article 24 de la loi de 1881, qui vise l'incitation à la haine raciale, est oublié... Quant à l'article 227-23 du code pénal, qui vise, à titre principal, à incriminer la fabrication et la diffusion de messages pédopornographiques, on y a ajouté la consultation de sites pédopornographiques, ce qui engage tout autre chose pour les fournisseurs d'accès. Va-t-on leur demander de couper la connexion des contrevenants ? On voit ce que cela a donné avec Hadopi...

Mais j'en reviens au texte qui vous est soumis. Il entend modifier le code pénal, pour ajouter aux incriminations de violences dites ordinaires, de viol et d'agression sexuelle une circonstance aggravante quand ces violences sont commises sur des personnes se livrant à la prostitution, si les faits sont commis dans l'exercice de leur activité. On comprend mal. En quoi serait-ce plus grave d'agresser une prostituée qu'un étudiant, un plombier ou une mère de famille ? Si ce sont les violences des proxénètes que l'on vise, il faut le mettre sous le chapitre relatif au proxénétisme. Pour les violences ordinaires, nous en sommes déjà à quatorze circonstances aggravantes ! Où s'arrêtera-t-on ? Ce n'est pas de bonne méthode.

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