Intervention de Michèle-Laure Rassat

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle-Laure Rassat professeur émérite des facultés de droit spécialiste du droit pénal

Michèle-Laure Rassat, professeur émérite des facultés de droit, spécialiste du droit pénal :

J'en viens à la suppression du délit de racolage public. On argue que la directive européenne du 5 avril 2011 l'impose. Je l'ai consultée. Aux termes de son article 8, « Les Etats membres prennent, dans le respect des principes fondamentaux de leur système juridique, les mesures nécessaires pour veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains et de ne pas leur infliger de sanctions...». Le ministère public ne dispose-t-il pas du pouvoir d'apprécier l'opportunité des poursuites et les juridictions pénales ne peuvent-t-elles pas dispenser de peine ? La directive n'impose rien de plus. Pourquoi s'abriter derrière la réglementation européenne plutôt que de prendre ses responsabilités ?

La suppression de l'incrimination de racolage public est présentée comme le corollaire de la création d'une incrimination à l'encontre du client, dans un chapitre intitulé : « Interdiction d'achat d'acte sexuel ». Je vous mets en garde ! Le droit pénal est d'interprétation restrictive : achat n'est pas échange et tout ce qui sera obtenu en échange d'autre chose que de l'argent ne sera pas couvert. Mieux vaudrait écrire : « Interdiction du recours à la prostitution ».

La rédaction est calibrée sur celle des dispositions punissant le recours à la prostitution d'un mineur ou d'une personne en état de vulnérabilité, introduites, respectivement, en 2003 et 2004. Il s'était élevé à l'époque des voix, dont la mienne, pour dire que le texte était mal rédigé. Il est vrai que la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu'il était tellement clair qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, mais on ne me fera pas changer d'avis. Au reste, ces dispositions n'ont donné lieu qu'à un arrêt de la Cour de cassation en dix ans, preuve qu'elles ne sont guère simples d'application.

De fait, ce qui est puni, c'est le fait de recourir à une personne qui se livre à la prostitution. Ce qui veut dire qu'au moment où le client se présente, il faut que la personne soit déjà prostituée. Comment le démontrer ? Que fait-on si la personne dit que c'est la première fois ?

Autre problème, l'élément matériel. On punit le fait de « solliciter, d'accepter ou d'obtenir ». Cela signifie-t-il que dans les deux premiers cas, c'est la tentative qui est visée, alors que dans le dernier, c'est l'infraction consommée ? Pourquoi alors ne pas le dire clairement ? J'avais, à l'époque, proposé la rédaction suivante : « Le fait de verser ou de promettre une rémunération en échange de relations de nature sexuelle est puni (...) La tentative encourt la même peine que l'infraction principale. » Cela a le mérite de la clarté.

Enfin, l'incrimination peut être assortie de circonstances aggravantes : l'habitude - en droit pénal, deux actes successifs - mais il n'est pas précisé si c'est avec la même personne ou une autre ; et le fait de la commettre sur plusieurs personnes - mais est-ce à dire en même temps ou successivement ?

En dix ans, la Cour de cassation n'a eu à se pencher que sur un cas, en 2006, que tout le monde connaît puisqu'il a eu les honneurs de la presse, le coupable étant un membre d'un cabinet ministériel. Un cas en dix ans ! Je vous inviterais volontiers à revoir cette rédaction, sauf à imaginer que le ministère de l'Intérieur va se lancer dans une chasse aux clients une fois l'incrimination généralisée...

J'en arrive à l'obligation d'accomplir un stage de sensibilisation. Pour le permis de conduire, c'est efficace. Mais pour le reste ! Il m'est arrivé, comme juge de proximité, de condamner la première femme poursuivie pour port de la burqua à suivre un stage. Elle ne l'a pas suivi, et pour cause, il n'a jamais été organisé ! Et c'est le sort de tels stages, car quel peut en être le contenu ?

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