Intervention de Denis Grandjean

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Régimes de protection du patrimoine — Table ronde

Denis Grandjean, maire-adjoint de la ville de Nancy :

En tant qu'élu je suis très familier des diverses formes de protection que vous avez évoquées, puisqu'à Nancy nous avons 260 monuments historiques, un secteur sauvegardé de 150 hectares et une zone de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAUP) d'environ 20 hectares. En outre, nous avons des sites inscrits et classés sur différents espaces verts de la ville. De notre point de vue, la simplification portée par le projet de loi sur les patrimoines culturels n'apparaît pas pertinente car le système actuel ne nous semble pas si compliqué. Nous avons surtout recours aux cinq instruments juridiques définis par les lois de 1913 sur les monuments historiques, de 1930 sur les sites inscrits et classés, de 1943 sur les abords, de 1962 sur les secteurs sauvegardés et enfin de 1983 puis 2010 ayant respectivement créé les ZPPAUP puis les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP).

L'intérêt du système français est de prévoir un service territorial qui fait le lien entre toutes ces législations dont la mise en oeuvre est confiée à différents ministères. En effet, les sites relèvent du ministère de l'écologie tandis que les autres systèmes de protection sont sous la responsabilité du ministère de la culture : c'est l'architecte des bâtiments de France (ABF) qui synthétise tous ces outils au plan local. C'est la raison pour laquelle le système français n'est pas si complexe et je note d'ailleurs qu'aux États-Unis, où prime le pragmatisme, une douzaine de systèmes de protection coexistent : les parcs et sites nationaux, les sites historiques, etc. Le manque de lisibilité est peut-être réel pour les particuliers, mais est-il moindre dans le cadre d'un plan local d'urbanisme (PLU) ? Par conséquent l'objectif de simplification est une idée ministérielle récurrente qui ne nous paraît pas extrêmement appropriée dans le cas de la protection patrimoniale.

En outre, nous sommes toujours suspicieux à l'égard de nouveaux textes qui tendent à affaiblir les précédents. Ce fut le cas de la loi de 2006, relative aux parcs nationaux, qui a fragilisé le système mis en place par la loi initiale de 1960 dont la rédaction, simple, affirmait de façon catégorique un impératif de protection.

La première simplification proposée par le projet de loi concerne l'appellation des zones de protection qui deviendraient des « cités historiques ». Mais cette simplification ne serait qu'apparente puisqu'elle regrouperait en fait des réalités très différentes. On peut se demander si l'hétérogénéité des durées, intensités et périmètres de protection ne constituera pas une tentation pour céder à la facilité. Parfois les élus aimeraient s'affranchir de la protection garantie par l'État et l'ABF, pour des raisons tenant à l'emploi, au développement économique, etc. Il existe d'ailleurs une dialectique puissante entre développeurs et protecteurs. Or, si la visibilité du nouvel outil est confuse et le niveau de protection variable, le risque d'aller vers la facilité est grand.

Parmi les réformes proposées figurent la disparition, à terme, des sites inscrits qui auraient vocation à être transformés, selon leur intérêt, soit en cités historiques soit en sites classés. Cette évolution pourrait être regrettable car les élus locaux sont souvent heureux de pouvoir s'appuyer sur l'expertise de l'ABF, dont l'avis ne les lie pas puisqu'il émet un avis simple en la matière et non un avis conforme. Ce partenariat avec un représentant de l'État peut se révéler être une bonne stratégie dans la gestion des dossiers locaux.

Si l'option du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), qui garantit une protection forte, n'est pas retenue, c'est le PLU patrimonial qui va être privilégié, élaboré selon les règles définies par l'article 123 du code de l'urbanisme. Or ce document d'urbanisme, voté par une majorité, peut être défait par une nouvelle majorité. Il n'existe aucune commune mesure entre la garantie de protection apportée par l'État dans le cadre des outils aujourd'hui en vigueur et celle issue d'un document d'urbanisme. En revanche, il serait important de réfléchir à la façon d'associer davantage les collectivités territoriales dans la gestion pérenne du patrimoine historique, comme c'est d'ailleurs déjà le cas pour le patrimoine naturel, en raison d'une législation plus récente. Je pense notamment aux réserves naturelles régionales, aux parcs naturels régionaux, ou aux espaces naturels sensibles des départements. Ces cadres juridiques favorisent une grande liberté des collectivités tout en préservant un effet cliquet, c'est-à-dire un niveau de protection sur lequel on ne peut revenir. Il aurait été intéressant qu'une nouvelle loi invente de tels outils pour le patrimoine culturel, car la réforme proposée aujourd'hui s'appuie uniquement sur le code de l'urbanisme, offrant ainsi un niveau de protection insuffisant car non pérenne. C'est un élément de réflexion important dans une conjoncture qui n'est pas nécessairement très porteuse pour le patrimoine. En effet, malgré une opinion globalement favorable au patrimoine, on sent une d'érosion permanente dans l'adhésion aux textes en vigueur, comme l'a illustré la position récente de quelques parlementaires sur la loi Littoral.

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