Intervention de Alain de La Bretesche

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Régimes de protection du patrimoine — Table ronde

Alain de La Bretesche, président délégué de Patrimoine-environnement, coordinateur du Groupe national d'information et de concertation sur le patrimoine « G8 Patrimoine » :

Je tiens à remercier, à titre liminaire, votre commission de la culture pour son invitation. J'ai souvenir de son implication en faveur de la protection du patrimoine lors des récents débats, qui ont conduit à la transformation des ZPPAUP en AVAP.

Vous constaterez une large convergence de vues entre les associations présentes ce matin, dont j'espère qu'elle saura convaincre la représentation nationale. Nous nous considérons comme des héritiers : nous devons à la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), doyenne des associations de protection du patrimoine, la protection, avec la loi du 2 mai 1930, des monuments naturels et des sites à caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, tandis que Henri de Ségogne fut à l'origine de la législation de 1962 sur les secteurs sauvegardés. À ce titre, nous sommes les gardiens du dispositif français de protection du patrimoine, qui a fait la preuve de son efficacité et qu'il serait fort dommageable d'affaiblir.

Une telle tentative se heurterait en outre à deux principes juridiques d'importance. D'abord, lorsqu'une législation donne satisfaction, il n'est d'usage de la modifier qu'à la condition de l'améliorer. Un récent colloque universitaire a considéré que ce concept devrait être considéré comme un principe général du droit. À l'appui de cette démonstration, un professeur de l'Université de Lyon a compilé la jurisprudence relative à la loi de 1930 : en près de cent ans d'application, à peine une dizaine de décisions de justice a été défavorable à la protection du patrimoine. Une analyse identique peut être réalisée s'agissant de la loi de 1913, à tout le moins pour ce qui concerne les décisions de classement.

Ensuite, il apparaît que le Conseil constitutionnel veille, depuis trois ans, à la juste application de l'article 7 de la Charte de l'environnement, désormais annexée à la Constitution, qui précise que la population doit être associée à l'élaboration d'un texte dès lors que son environnement pourrait s'en trouver modifié ainsi que le prévoit d'ailleurs la convention d'Aarhus. Ainsi, aux termes de sa décision du 23 novembre 2012, il apparaissait, sans que nul ne s'en soit ému, que la procédure d'inscription d'un site, telle que prévue par la législation française, était anticonstitutionnelle. À ce stade, le projet de loi relatif à la biodiversité ne corrige aucunement cette lacune. De fait, le projet de loi à venir sur les patrimoines s'expose à une censure du Conseil s'il ne se saisit pas de cette question.

Notre groupement d'associations estime en revanche utile de créer un régime juridique pour les sites appartenant au patrimoine mondial tel que votre commission de la culture, sous l'impulsion de Yves Dauge et par le vote de ce qu'il est convenu d'appeler « l'amendement Dupont », l'avait à l'époque imaginé. Il nous apparaît en outre positif qu'un dispositif, qui avait alors fait l'objet d'un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat, soit envisagé pour sauver les près de 600 ZPPAUP qui disparaîtront dans six mois, faute d'avoir été transformées en AVAP dans les délais impartis. Nous sommes enfin favorables à la mise en place d'un régime juridique destiné aux domaines nationaux.

Pour autant, le concept de cité historique défendu par le projet de loi ne nous sied pas, en ce qu'il aurait pour conséquence de fondre des protections de niveaux différents (ZPPAUP, AVAP ou PLU patrimonial) dans un dispositif unique. Dans un discours à la tribune de l'Assemblée nationale à l'occasion des débats sur la loi de 1962, André Malraux avait émis le voeu que soit créés 400 secteurs sauvegardés sur le territoire national. Nous sommes aujourd'hui fort éloignés de ce résultat et craignons, au contraire, que le changement de législation - les AVAP étant fondus dans des PLU patrimoniaux - ne conduise à une régression, même si la ministre semble souhaiter le développement de ce type de protection. L'État, en application de ses missions régaliennes, doit continuer à intervenir dans les procédures de classement, tout en trouvant un équilibre, ce que le projet de loi ne fait guère dans sa version actuelle, avec les règles de décentralisation. Il est enfin dommageable qu'il ne prévoit aucunement, à ce stade, les passerelles indispensables entre les codes de l'urbanisme et de l'environnement.

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