Intervention de Alexandre Gady

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Régimes de protection du patrimoine — Table ronde

Alexandre Gady, président de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) :

« Il faut que tout change pour que rien ne change » [sic]. Cette citation de Lampedusa ne s'applique pas à la protection du patrimoine. Au contraire, lorsque la législation patrimoniale change, tout se détraque. Les lois dont nous disposons aujourd'hui sont satisfaisantes et ont permis à la France, pays pionnier en la matière, d'assurer un niveau de protection à son patrimoine qui soit digne d'un pays civilisé. La SPPEF est une association de combat et de terrain. L'expérience qui est la nôtre est très contrastée. Elle nous permet notamment d'identifier les failles du système existant. Mais ces lacunes ne relèvent pas de la compétence du Parlement.

La première faille est relative au manque de moyens. Si tous les postes d'architecte des bâtiments de France (ABF) ne sont pas pourvus, on ne peut pas s'attendre à ce que cette toute petite administration soit en mesure de réaliser le travail colossal qui entre dans le champ de ses attributions. L'ABF, en effet, assure la police d'un certain nombre de ces lois patrimoniales. Cet exercice est particulièrement difficile et les ABF sont très critiqués ; les élus trouvent parfois qu'ils remplissent leurs missions avec trop de zèle. Les associations, parmi lesquelles la SPPEF, leur reprochent quant à elles de ne pas en faire assez. Quoiqu'il en soit, la question des moyens est un réel problème. Cela revient à demander le rétablissement des frontières, tout en supprimant les douaniers. Il faut avoir les moyens de sa politique.

L'autre défaillance est liée à ce que j'appellerai « le régime permanent de la dérogation ». Nous nous sommes dotés de lois d'une très grande qualité et il y est en permanence dérogé. Ces dérogations ont cours dans des sites très emblématiques. Ici, même à Paris, au bois de Boulogne, on se propose de dénaturer un site protégé à la fois par la loi de 1913 et par celle de 1930, le Jardin des Serres d'Auteuil, pour y construire des équipements sportifs. Au-delà de la complexité du régime de protection - complexité que l'on retrouve en matière fiscale par exemple - ce qui est incompréhensible aux yeux des citoyens, c'est ce régime permanent de la dérogation, qui vient freiner leurs projets, mais ne s'applique plus lorsque des personnalités, ou l'État lui-même, initient des projets. Cette asymétrie dans l'application du régime déchire le contrat social.

Par ailleurs, l'instabilité législative constitue véritablement un frein à notre démarche de défense du patrimoine. De loi en loi, on amoindrit les dispositifs de protection, on modifie les appellations... En tant qu'universitaire, je souhaiterais vous faire remarquer que le changement de mot n'est pas anodin. Lorsque nous travaillions avec le ministère de la culture, le directeur général des patrimoines lui-même disait ne pas se satisfaire du terme de « cité historique ». Ce terme ne nous convient pas non plus. Les mots ne sont jamais anodins. Une partie de la France n'est pas une « cité historique ».

Reste la question des sites inscrits. Alors même qu'était entreprise la réforme du système de protection des monuments historiques, une seconde instabilité législative s'est faite jour au travers d'un projet de loi du ministère de l'écologie. Cette opération a porté sur le dispositif des sites inscrits, qui est un des deux régimes prévus par la loi de 1930, calquée en grande partie sur la loi de 1913.

À partir du 6 août dernier, à la demande du ministère de l'écologie, nous avons diligenté une enquête pour évaluer l'état des sites inscrits. Notre but étant évidemment de faire remonter l'information pour guider la réforme. Or, nous ne sommes pas tout à fait convaincus que la demande d'analyse de l'état des sites ait précédé la décision de les supprimer. Il y a une concomitance de dates, qui laisse penser que la décision de suppression avait été prise avant que toute recommandation puisse être faite. Cela nous semble un élément tout à fait important, quand bien même nous aurions été saisis d'une demande d'avis simple. La procédure de classement nécessite le maintien d'un double niveau de protection : un niveau étatique très fort, mais également un niveau local, constituant un lieu de dialogue et un espace de concertation. Les élus sont souvent très demandeurs de ce dialogue concernant la procédure du site inscrit. Cette procédure s'articule avec d'autres lois, comme celle relative à l'affichage ou la loi Littoral. Supprimer la catégorie des sites inscrits revient donc non seulement à déconstruire le dispositif mis en place par la loi de 1930, mais à affaiblir d'autres systèmes de protection qui s'adossent à cette loi.

L'ABF peut fournir une expertise technique aux collectivités qui manquent de moyens. Aujourd'hui, la commission supérieure des sites a fait connaître au ministre de l'écologie sa position très réservée quant à la suppression des sites inscrits. Le prétexte de la dégradation de ces sites ne nous semble pas justifier à lui seul leur suppression. Nous devrions au contraire chercher des moyens de pallier cette dégradation, pour améliorer l'état de ces sites. Je rappelle également que le régime de protection des monuments historiques a conduit à ce que l'inscription à l'inventaire, qui n'était que l'antichambre du classement, devienne une protection en soi, ce que n'a malheureusement pas pu réaliser la loi de 1930.

Seuls quatre pour cent du territoire sont protégés au titre de la loi de 1930, ce qui recouvre quatre mille huit cents sites inscrits et un million six-cent quatre-vingt mille hectares protégés. On nous propose de supprimer cela, ce qui reviendrait à amoindrir le dispositif. Cela me paraît inconcevable, d'autant que cette suppression s'accompagne d'un examen, qui est proposé à la Commission supérieure des sites, à partir de listes élaborées en « chambre ardente » sur une dizaine d'années. Comme dans le cas des AVAP et des ZPPAUP, ce qui me frappe est un problème de délai et de forces réunies autour de la réforme. Nous ne parviendrons pas à transformer plusieurs centaines de sites inscrits, qui correspondent à des surfaces très importantes, en un laps de temps si court.

Notre inquiétude est assez grande, à la fois au sujet de la loi de 1913 et des insuffisances que nous avons pointées, et au sujet de la réforme de la loi de 1930.

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