Intervention de Roland Courteau

Réunion du 23 juin 2005 à 15h00
Énergie — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour le groupe socialiste, les choix énergétiques constituent un enjeu à la fois technique et politique. Au-delà de la question de notre indépendance énergétique, ces choix jouent en effet un rôle majeur dans l'organisation de notre société ; ils influent non seulement sur les conditions de vie et de travail, mais également sur les risques auxquels sont soumises nos populations, tant sur le plan environnemental - effet de serre, déchets - que sur le plan sanitaire : pollution de l'air, grandes canicules, accidents.

C'est un triple défi majeur pour l'avenir de notre planète et pour les générations futures : défi sociétal, défi technologique et défi industriel.

Les enjeux exigent une prise de conscience et un réel volontarisme politique non seulement en France, mais aussi en Europe, bien évidemment, et surtout, puisque c'est notre planète qui est prise en otage, à l'échelle internationale. Or les Etats-Unis, qui sont à l'origine à eux seuls de 25 % des émissions de gaz à effet de serre, ne veulent toujours pas ratifier le protocole de Kyoto.

Quant à une véritable politique commune européenne de l'énergie, elle reste encore à construire à ce jour. En tout cas, elle ne peut pas se limiter à la réalisation d'un marché intérieur énergétique sans repenser véritablement la place des services publics.

Enfin, force est de constater que les mécanismes de transfert des technologies propres des pays riches, très gros consommateurs d'énergie, vers les pays en voie de développement, sont extrêmement insuffisants.

Mes chers collègues, la preuve est faite aujourd'hui que nos activités humaines sont bien responsables du changement climatique et qu'il y a péril en la demeure. Pourtant, en France, on constate un relâchement des politiques actives, à défaut d'avoir été audacieuses, en matière d'économie d'énergie, alors que les questions géopolitiques et de sécurité d'approvisionnement constituent un problème majeur.

Face à notre dépendance énergétique, notamment en pétrole et en gaz, on mesure aussi l'urgence de mettre en oeuvre une politique énergétique ambitieuse en termes tant de sobriété ou de tempérance énergétique que d'innovations technologiques.

Matrice, pour plusieurs décennies, de programmes et d'action, ce projet de loi d'orientation sur l'énergie, dont le principe avait été arrêté sous le gouvernement Jospin, était donc très attendu.

Très sincèrement, avant que le projet de loi vienne en première lecture devant le Parlement, je pensais que, sur un tel texte, il était tout à fait possible que nous puissions nous retrouver sur bien des priorités, tant les thèmes de la réduction des gaz à effet de serre, de la maîtrise de l'énergie, de la diversification, ou encore de l'indépendance énergétique, de la recherche et du développement pouvaient, très logiquement, faire l'objet d'un consensus.

Or force est de constater que ce projet de loi pèche par son manque de vision structurante à long terme, la feuille de route du Gouvernement étant pour ainsi dire restée floue.

Monsieur le rapporteur, vous avez tenté, de votre côté, de faire la chasse au droit « à l'état gazeux, au droit mou et flou ».

Nous vous rejoignons sur la nécessité de tenir compte de la nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel et de mieux assurer la valeur normative des dispositions législatives. Pour cela, vous avez rectifié certaines dispositions en première et en deuxième lecture, et transformé le texte en projet de loi de programme.

Mais quelle sera finalement la portée d'une loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, sans véritables moyens budgétaires et financiers à la clé ? Et que dire de la réintroduction en commission mixte paritaire, en partie tout au moins, du « droit flou » et du « droit mou » ?

Certes, je me félicite que certains de nos amendements aient été adoptés : plus grande implication des collectivités locales en matière de politique de maîtrise de l'énergie, nécessité d'intégrer, dans le corps du projet de loi, les objectifs tendant à garantir la sécurité d'approvisionnement en pétrole ou à favoriser la diminution des émissions polluantes unitaires des véhicules.

Nous avons par ailleurs, avec mon collègue Thierry Repentin en tête, mené ici une véritable bataille pour préserver l'emploi de nos petites entreprises électro-intensives. Le dispositif proposé par le Sénat de plafonner à 0, 5 % de la valeur ajoutée par site de production la contribution au service public de l'électricité constitue une avancée certaine, même s'il peut encore être amélioré.

Le sort fut plus cruel pour nombre d'autres amendements que nous avions déposés, qu'il s'agisse des mesures à prendre en vue du nécessaire rééquilibrage, en matière de transport, entre le rail et la route, des dispositions relatives à un développement plus important des énergies renouvelables, ou encore des moyens consacrés à la recherche sur les énergies alternatives au pétrole, par exemple l'hydrogène.

De surcroît, a été rejeté notre amendement visant à garantir la permanence de la couverture d'énergie aux personnes en difficulté.

Enfin, pour parvenir à une baisse des prix dans le contexte de hausse du brut que l'on connaît, rétablir la TIPP flottante me paraissait une mesure de bon sens.

Je continue de penser par ailleurs que le fait d'engager la privatisation de Gaz de France, au lieu de créer un pôle public de l'énergie autour d'EDF et de Gaz de France, est une erreur. Les Français en subissent déjà les conséquences en termes de hausse de tarifs. Ainsi, les tarifs du gaz devraient augmenter de 4 % au 1er juillet et de 14, 6 % d'ici au mois d'avril 2006. D'autres sources vont même jusqu'à annoncer une augmentation de 16 % au 1er juillet 2005. Peut-être allez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre !

Il y a là de quoi rassurer les futurs actionnaires de Gaz de France, mais aussi de quoi inquiéter tous les consommateurs, au premier rang desquels figurent les ménages. Cela concerne 10 millions de particuliers, monsieur le ministre !

La maîtrise des tarifs ne relève-t-elle pas en priorité des missions de service public du gaz et de l'électricité ? Que doit-on en déduire ? Je ne peux que m'interroger sur les perspectives à long terme.

S'agissant de l'ouverture du capital de GDF annoncé par le Gouvernement, le groupe socialiste souhaite préciser que toutes les évaluations sérieuses démontrent pourtant que Gaz de France dégage des ressources importantes et suffisantes pour assurer son développement sans avoir à lever des fonds extérieurs. Je note que le cumul de ses capacités d'autofinancement et de ses possibilités d'endettement est en effet supérieur au montant des investissements envisagés par la direction.

Ainsi, cette première étape d'une privatisation rampante de Gaz de France annoncée sans aucune consultation des organisations syndicales n'est dictée que par des choix idéologiques, lesquels masquent mal la nécessité de combler des déficits publics que le Gouvernement a laissé filer durant trois ans.

Monsieur le ministre, faut-il rappeler les aspirations des Français à disposer de services publics de qualité, soumis au seul intérêt général, sans être sous la contrainte d'intérêts privés ?

Nous rappelons que les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité propres aux services publics, conjugués à la spécificité du bien énergétique, nécessitent le maintien d'un capital à 100 % public.

Cela dit, et pour en revenir à ce projet de loi, je me réjouis que nous nous soyons retrouvés, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, en première et en deuxième lecture, pour contrer les fameuses dispositions « éolicides » qui avaient été votées par l'Assemblée nationale.

A deux reprises, et alors que les attaques, tout en étant différentes, poursuivaient à chaque fois le même objectif destructeur, vous avez accepté, monsieur le rapporteur, nos sous-amendements à la disposition que vous-même nous proposiez, et nous vous en remercions.

Ainsi, en deuxième lecture, nous avons donné notre accord unanime pour la création de zones de développement de l'éolien et pour supprimer toute référence à un seuil chiffré de puissance afin que, localement, les différents acteurs puissent décider de ce qui leur convient le mieux.

En clair, nous avons, à l'unanimité, proposé une certaine décentralisation des décisions pour mieux les adapter à la diversité des situations locales.

Comme cela a été justement souligné, « dans la mesure où l'insertion des éoliennes dans les paysages constitue un enjeu local, le renvoi aux pouvoirs locaux de la définition des critères de puissance est plus pertinent que la définition d'un seuil national. » Nous partageons totalement ce point de vue.

Bref, il s'agit bien de ne pas compromettre le développement de l'énergie éolienne, tout en favorisant une implantation des aérogénérateurs qui soit harmonieuse et tienne compte des paysages. On ne peut être plus clair !

Je crois pouvoir dire que, face aux attaques frontales dont l'éolien a été la cible, nous pouvons nous réjouir unanimement au Sénat d'avoir contribué à sauver cette filière.

Le nouveau texte issu de la CMP prévoit, par ailleurs, un plafonnement de la rémunération lié aux tarifs de rachat de l'électricité produite par les installations bénéficiant de l'obligation d'achat. Cette notion de rémunération normale des capitaux est des plus ambiguës. Certains de nos collègues ont d'ailleurs souligné que la portée juridique de cette notion était assez incertaine.

Toujours à propos des nouvelles dispositions élaborées en CMP, je m'interroge sur une autre mesure qui me semble fragiliser le moyen et le petit éolien ; je pense notamment aux agriculteurs et à certains particuliers. Cette nouvelle mesure, introduite en CMP - aussi étrange que cela puisse paraître - soumet à enquête publique et à étude d'impact les installations d'éoliennes dont la hauteur dépasse cinquante mètres.

Cela dit et à ces réserves près, globalement, et grâce au Sénat, nous aurons fait oeuvre utile en faveur de la filière éolienne, et c'est tant mieux.

En effet, mes chers collègues, selon le bilan énergétique 2004 de RTE, Réseau de transport d'électricité, le nucléaire et l'hydraulique assurent ensemble 90 % de la production nationale, la biomasse 1 %, tandis que les 9 % restants, soit 51 térawatts, proviennent des centrales fonctionnant par des moyens fossiles.

Or, dans un contexte de croissance de la demande, pour l'heure mal maîtrisée et dont les conséquences en matière d'émission de gaz à effet de serre sont évidentes, il faut choisir : favoriser soit le développement des énergies renouvelables, soit les sources fossiles.

Et si l'on fait, comme il se doit, le choix des énergies renouvelables, force est de constater que les marges nécessaires de progression de l'hydraulique sont très modestes, que le photovoltaïque est une vraie possibilité, mais pour l'avenir, et qu'aujourd'hui l'éolien est le seul moyen puissant de diversification.

En outre, à l'heure où nos choix doivent aussi concerner une politique active de l'emploi, et non une politique au rabais, visant simplement à s'adapter au chômage massif par la remise en cause de notre droit du travail, on ne peut que souligner la contribution que l'éolien peut apporter au développement économique local.

Dans le cadre d'une politique globale, nous devrions encourager le développement d'industries locales spécialisées dans la fabrication des aérogénérateurs.

A quand l'installation de telles unités de production dans les départements qui, comme celui de l'Aude, ont montré la voie du développement de l'éolien ?

Vous l'aurez compris, pour le groupe socialiste, le nucléaire ne constitue pas la réponse à tout, et la priorité doit être donnée à la diversification de notre bouquet énergétique.

Je rappelle, enfin, que l'option nucléaire ne pourra être véritablement acceptée que si des règles de transparence sont mises en place et si les solutions à retenir concernant la gestion des déchets sont bien tranchées lors du rendez-vous de 2006.

Pour en revenir à l'ensemble du projet de loi, je le redis, malgré quelques améliorations apportées au projet de loi initial, nous ne sommes pas satisfaits, nous attendions mieux. En outre, ce projet de loi est devenu, au fil des amendements, un véritable texte « marché énergétique II », en perdant son sens originel de texte d'orientation énergétique.

Un projet de loi d'orientation ou de programme doit être porteur d'une vision à long terme. Il doit être révélateur de choix politiques engageant l'avenir du champ qu'il balise, surtout s'il porte sur l'énergie, secteur des plus stratégiques, car il conditionne notre indépendance nationale.

Surtout, il doit indiquer comment seront atteints les objectifs sur lesquels nous nous sommes engagés, tout en dégageant une visibilité à long terme en matière d'énergies alternatives.

Or, je le maintiens, même si certaines dispositions vont dans le bon sens, telles les actions de maîtrise de l'énergie, ce projet de loi manque de souffle et d'ambition, et j'ai le sentiment qu'il manque sa cible, passant à côté des grands enjeux.

Voilà quelques-unes des raisons qui conduisent le groupe socialiste à voter contre ce texte.

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