Intervention de Louis Le Pensec

Réunion du 27 janvier 2005 à 15h00
Développement des territoires ruraux — Article 75 sexies

Photo de Louis Le PensecLouis Le Pensec :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, M. Gélard souhaitait, à l'automne dernier, que se présente une fenêtre législative pour donner suite à un certain nombre de propositions contenues dans le rapport du groupe de travail auquel il a participé activement. Or voilà que se présente aujourd'hui une telle fenêtre.

Après avoir entendu M. le secrétaire d'Etat, je souhaite souligner à mon tour l'importance qui s'attache au débat qui nous est proposé en fin de discussion de ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

D'une part, un tel débat est important parce que les discussions au Parlement à propos de la loi Littoral sont finalement très rares. En la matière, les outils à notre disposition ont été rappelés à juste titre. La loi Littoral a été adoptée en 1986. Voilà quatre ans, mes chers collègues, vous avez bien voulu donner corps, à l'unanimité, à un outil supplémentaire de préservation de notre espace littoral, à savoir le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, en reprenant les propositions de réforme que j'avais présentées. L'unanimité avait été également obtenue sur ce sujet à l'Assemblée nationale. Cela montre que, sur les questions relatives au littoral, nous pouvons trouver un consensus, à condition de nous en donner la peine.

D'autre part, un tel débat est important au regard de la sensibilité du sujet. Au cours des années précédentes, la DATAR, la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, a engagé une grande réflexion prospective sur le littoral et n'a pas manqué de nous rappeler un certain nombre de réalités : ainsi, 12 % de la population vivent sur 4 % du territoire national, et chacun est bien conscient de la formidable pression démographique, foncière, fiscale et financière qui s'exerce sur cette portion du territoire. Comme on a coutume de le dire - cela devient même un cliché -, il s'agit d'« espaces fragiles », de lieux de « biodiversité », pour reprendre un terme qui fait l'actualité.

La loi de 1986 a permis d'établir un très fragile équilibre et a permis à la France de mettre une grande part de son littoral à l'abri des pressions urbanistiques. A cet égard, le dossier fourni par la DATAR est riche d'exemples.

Or ce fragile équilibre est menacé.

Il y a d'abord le fait que, actuellement, la loi Littoral est contournée.

En guise d'illustration, je prendrai l'un des nombreux exemples à ma disposition. En l'espèce, personne ne s'est aperçu du problème, ni les élus locaux, ni les services de l'équipement du département, ni la direction départementale de l'équipement, ni le contrôle de légalité. Cela s'est produit il y a huit jours dans le Finistère, dans une commune relevant de la loi Littoral. Un chemin y a été tracé à quarante mètres de la mer, dans une ria. Puisqu'il s'agit d'une commune riveraine de la mer, la loi Littoral s'y applique de plein droit. Or personne n'a mentionné dans les documents d'urbanisme que le chemin se trouve à quarante mètres de la mer. A l'évidence, cette affaire connaîtra des développements juridiques et judiciaires divers et variés.

Ce fragile équilibre est ensuite menacé par les amendements qui nous ont été présentés par M. Gélard ! Pour les qualifier, je dirai simplement qu'ils ont pour finalité de conduire à une banalisation de l'espace littoral et de la loi Littoral. En effet, ils prévoient, dans la majorité des cas, la suppression des contraintes juridiques qui sont spécifiques à cet espace.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ces amendements, mais, pour le moment, je prends acte de la position de rigueur du Gouvernement que j'apprécie très sincèrement, et ce pour une raison toute simple : mes chers collègues, si le Sénat adoptait ces amendements, une telle décision serait perçue comme un signe très fort, comme l'annonce qu'il est de nouveau possible d'ouvrir à l'urbanisation un certain nombre d'espaces sur le littoral.

Pour avoir présidé le Conservatoire, je suis attentivement toutes ces questions. Or, depuis le début de ce débat, depuis ces dernières semaines, les responsables du Conservatoire constatent une évolution dans les négociations qu'ils mènent pour acquérir des terrains. En effet, leurs interlocuteurs, c'est-à-dire les propriétaires de terrain, allèguent un prochain changement de la législation pour souligner l'urgence de ne pas signer ! Il importe donc que nous soyons conscients de cette situation très grave.

Pour autant, faut-il ne pas toucher à la loi Littoral ?

Si j'admets que la loi contient quelques rigidités, elle ne présente pas de trop grands manques. A cet égard, je fais mien le constat de M. Gélard : une loi existe, mais les textes réglementaires n'ont pas suivi, et c'est la jurisprudence qui s'en est donné à coeur joie, parfois même de façon contradictoire. Ainsi y a-t-il encore des cas pendants devant les juridictions administratives qui illustrent une contradiction totale entre deux chambres administratives.

En l'absence de textes réglementaires, une incertitude, qu'il était possible de pallier par la publication de ces mêmes textes, pèse donc sur l'application de la loi Littoral. Il est d'ailleurs symptomatique qu'un certain nombre de préfets s'étonnent de ne pas disposer de directives ou d'orientations sur la loi Littoral. En 1976, alors que la loi Littoral n'existait pas encore, une première directive d'application prise par le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, a été publiée, selon laquelle il ne saurait être question d'ouvrir à l'urbanisation les espaces non urbanisés actuels du littoral.

Il eût été souhaitable, au fil des gouvernements successifs, de remédier à cet état de fait. Certes, il n'y a pas de vide juridique, puisque les principes ont été édictés, mais les textes réglementaires et les décrets auraient pu être publiés.

A mon sens, il va falloir s'y prendre autrement, et j'ai bien noté ce qu'a dit M. le secrétaire d'Etat. Je comptais suggérer une autre voie, mais je prends acte de celle qui est proposée.

Sur cette question, le Gouvernement serait bien inspiré de demander au Conseil d'Etat, qui a tout de même l'expérience d'un quart de siècle de jurisprudence dans ce domaine, de mettre en place un groupe de travail, comme il sait très bien le faire.

Grâce à ce groupe de travail, qui comporterait des parlementaires, nous pourrions avancer sereinement et trouver la voie, fût-elle étroite, à privilégier, laquelle, à mon sens, devrait conduire à l'adaptation des décrets.

Je me suis rendu compte aujourd'hui que cette proposition avait quasiment déjà été faite par l'actuel président de l'Association nationale des élus du littoral, M. Bonnot, dans un rapport qu'il avait publié il y a cinq ans.

Je souhaitais simplement insister sur la gravité du sujet, car, à l'instar de nombreuses personnes en France, je considère que le libre accès de tous les citoyens à un littoral sauvegardé est l'un des éléments de notre pacte républicain. Oui, j'ose situer le problème à ce niveau. J'ai bien pris acte des propos de M. le secrétaire d'Etat. Il va sans dire que nous aurons un débat très précis sur les amendements qui resteront en discussion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion