Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Alain Vidalies :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Mme la garde des sceaux, actuellement retenue à l’Assemblée nationale pour la lecture définitive du texte relatif à la géolocalisation, amis qui nous rejoindra en cours de débat.

Ce projet de loi vise à transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, dite « directive B », et ainsi à renforcer les droits de la défense en matière de procédure pénale.

Notre droit positif est certes déjà largement conforme à la directive. Toutefois, ce projet de loi permet non seulement de consacrer dans la loi la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des pratiques existantes, mais encore il crée, aux différents stades de la procédure pénale, de nouveaux droits pour les personnes suspectées ou poursuivies.

Il s’inscrit dans un plus vaste projet de réforme de la procédure pénale, dicté par le souci d’anticiper la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales, dite « directive C », qui doit intervenir avant décembre 2016. Cette seconde directive est, en effet, intimement liée à celle du 22 mai 2012, participant d’un dispositif commun de mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales en Europe.

Le projet vise ainsi à renforcer les droits des personnes, victimes et mis en cause, à tous les stades de la procédure.

Au stade de l’enquête, le projet de loi crée un véritable statut des personnes suspectées, en encadrant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues librement, sans être placées en garde à vue.

L’audition libre a donné lieu à de nombreux débats, notamment lors de l’adoption de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, mais le gouvernement d’alors n’a pris aucune disposition encadrant les conditions d’une telle audition, si bien qu’aucun texte de loi ne garantit les droits de la défense dans ce cas. Seul le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 2011, avait imposé qu’une personne suspectée soit expressément informée de sa faculté de quitter à tout moment les locaux du service d’enquête, ainsi que de la nature et de la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause.

Le projet tend à inscrire dans la loi ces deux droits et y ajoute, en application de la directive, le droit à l’interprète, le droit au silence et le droit à des conseils juridiques.

En outre, il prévoit que, dans le cas d’un crime ou d’un délit, les personnes suspectées pourront également être assistées par un avocat pendant l’audition libre. Ce droit très important n’est pas exigé par la directive de 2012, mais découle de celle du 22 octobre 2013. Il donne sa cohérence à l’ensemble du dispositif de création d’un statut du suspect libre, imposé par la directive B, et permet d’anticiper toute évolution de la jurisprudence européenne à cet égard.

La préoccupation du Gouvernement est en effet de sécuriser les procédures et de nous permettre d’avancer de façon concertée et réfléchie, sans avoir à réagir en urgence, au prix d’annulation de procédures ou de décisions des cours suprêmes.

L’entrée en vigueur de ce droit à l’avocat est fixée au 1er janvier 2015, de sorte qu’il puisse être budgétisé, étant précisé que, d’ici là, la réforme de l’aide juridictionnelle en cours d’élaboration aura abouti.

La commission des lois du Sénat a adopté un amendement du rapporteur qui vise à préciser, à l’article 63 du code de procédure pénale, le point de départ de la garde à vue décidée à la suite d’une audition libre. En effet, la Cour de cassation considère, selon une jurisprudence bien établie, que la durée d’une telle audition doit être imputée sur celle de la garde à vue. Il convient donc, dès lors, de consacrer cette pratique dans les textes.

En outre, la commission a adopté un amendement qui permet la présence de l’avocat de la victime dans le cas où celle-ci serait confrontée à un suspect libre, comme c’est déjà le cas lorsque la victime est confrontée au gardé à vue. C’est une extension à laquelle le Gouvernement est évidemment favorable. Même si ces situations sont assez rares, il ne serait pas concevable que le suspect ait droit à un avocat et pas la victime à ce stade de l’enquête. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement afin que l’avocat soit rétribué par l’État si la victime remplit les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle.

J’en profite pour remercier M. le rapporteur de la très grande qualité de son travail sur un texte de procédure, par nature technique et complexe, permettant à la commission d’apporter de très utiles précisions et clarifications.

Le projet de loi a également pour objet d’améliorer les droits des personnes gardées à vue. Celles-ci seront plus précisément informées de l’infraction qui leur est reprochée, ainsi que des motifs de la garde à vue, et elles auront directement accès aux mêmes pièces du dossier que l’avocat. Elles recevront, enfin, une déclaration écrite énonçant leurs droits.

La commission a modifié l’alinéa 8 de l’article 3, qui limite, en sa rédaction actuelle, la possibilité, pour le gardé à vue, de demander sa mise en liberté aux seuls cas de présentation au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention. Tenant compte du fait que cette présentation n’est pas systématique, la commission a jugé que la demande de mise en liberté devait pouvoir être introduite même en l’absence de présentation au procureur ou au juge. Parce que la disposition visée serait, en l’état, inégalitaire, le Gouvernement approuve pleinement cet apport.

Au cours de l’instruction, les personnes mises en examen et les témoins assistés se verront désormais expressément notifier, dans les cas où cela n’était pas encore prévu, notamment dans l’hypothèse où la personne comparaît pour la première fois devant le juge d’instruction sur convocation, le droit au silence et le droit à l’interprétariat.

Par ailleurs, le droit d’accès au dossier de l’ensemble des parties est renforcé, le projet de loi introduisant la possibilité, pour les justiciables, d’obtenir directement la copie du dossier, alors que seul leur avocat peut aujourd’hui l’obtenir.

Le projet de loi vise aussi à renforcer les droits des personnes poursuivies. Il tend ainsi à prévoir que les prévenus soient informés, lors de la délivrance de la citation directe ou de la convocation en justice par un officier de police judiciaire, de leur droit de se faire assister d’un avocat et de leur droit à des conseils juridiques.

Par ailleurs, sont clarifiés et encadrés les délais de la mise à disposition du dossier et de délivrance de la copie aux personnes poursuivies devant le tribunal correctionnel. La loi prévoit de façon expresse que les avocats des parties pourront consulter le dossier au greffe du tribunal de grande instance dès la délivrance de la citation et, au plus tard, deux mois après la notification de la convocation en justice. Les parties ou leurs avocats auront droit à ce que leur soient délivrées gratuitement les pièces de la procédure au plus tard dans les deux mois suivant leur demande.

Le projet de loi innove en renforçant la faculté, pour les personnes prévenues devant le tribunal correctionnel, de demander des actes d’investigations supplémentaires. Ainsi, ce droit sera désormais expressément énoncé dans le code de procédure pénale, alors qu’il n’est aujourd’hui qu’implicite, et le tribunal correctionnel devra demain, s’il refuse les demandes, rendre une décision spéciale et motivée.

En outre, si elle y fait droit, la juridiction pourra désormais confier à un juge d’instruction, et non plus seulement à l’un des membres de la formation de jugement, la réalisation du supplément d’information demandé, permettant ainsi de faciliter la possibilité, pour les justiciables, d’obtenir des investigations complémentaires.

En outre, les prévenus et les accusés seront désormais expressément informés, respectivement par le président du tribunal correctionnel et par le président de la cour d’assises, de leurs droits au silence et à l’interprétariat.

Le projet de loi renforce également de manière spécifique les garanties des personnes poursuivies en comparution immédiate ou selon la procédure dite « de comparution sur procès-verbal », à l’issue d’une présentation devant le procureur de la République. Ces personnes seront désormais assistées, lors de l’audition par le procureur, d’un avocat qui pourra présenter toutes observations utiles sur l’issue de la procédure.

En conséquence, le procureur de la République pourra, par exemple, modifier sa décision sur l’action publique initialement envisagée en ouvrant une instruction préparatoire, en prenant une mesure alternative aux poursuites ou même en abandonnant ces dernières. Il s’agit là, pour les droits de la défense, d’une avancée majeure que beaucoup réclamaient depuis longtemps et que certaines juridictions pratiquent d’ailleurs déjà.

Enfin, le tribunal correctionnel pourra désormais, comme en matière de comparution immédiate, décider de renvoyer le dossier à l’instruction s’il estime que des investigations complexes doivent être entreprises.

Votre commission des lois a voté la suppression de l’article 10. Le Gouvernement en prend acte et estime que la réflexion doit se poursuivre sur la procédure la plus adaptée pour la mise en œuvre de dispositions qui relèvent d’un règlement européen, et qui ne font pas débat quant au fond.

En résumé, ce projet de loi renforce, à chaque étape de la procédure, les droits de la défense, mais aussi ceux de la victime, et il met en conformité notre procédure pénale avec les standards du droit de l’Union européenne. Pour ces raisons, le Gouvernement vous invite à le voter. §

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