Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on se souvient que le gouvernement précédent a attendu d’être mis au pied du mur, avec les condamnations de la CEDH, notamment l’arrêt Brusco c. France, du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour se décider à élaborer un projet de loi réformant la procédure pénale qui permettait, a minima, à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue.

La loi adoptée le 14 avril 2011, constitua, certes, un premier pas important, mais l’ensemble de la gauche, de même que les syndicats, avait dénoncé son insuffisance. Nous avions d’ailleurs déposé un certain nombre d’amendements pour pallier ses lacunes. Nos principaux griefs portaient alors sur deux points majeurs.

Le premier était relatif au fait que la personne suspectée, mais entendue sans être placée en garde à vue, c'est-à-dire placée sous le régime de l’audition dite « libre », ne bénéficiait d’aucun droit.

Le second concernait la personne placée en garde à vue, dont l’avocat n’avait toujours pas accès à l’intégralité du dossier et ne pouvait donc l’assister de manière efficace.

Mes chers collègues, les attentes sont donc fortes depuis la réforme inachevée de 2011 et ce texte aurait pu être l’occasion de les voir se réaliser. Mais il a été choisi de procéder par étapes.

Le texte est en effet présenté comme une « première étape dans le renforcement des droits de la défense au cours de la procédure pénale », une amélioration devant intervenir à partir des conclusions d’une mission chargée de mener une réflexion plus ample sur l’enquête pénale.

Comme notre rapporteur, nous regrettons la méthode employée. Nous déplorons que notre code de procédure pénale ne progresse que grâce à la pression des institutions européennes et à la jurisprudence de la CEDH.

La procédure d’urgence et les réformes au coup par coup empêchent toute remise à plat ambitieuse et cohérente de notre procédure pénale. Pourtant, celle-ci, parce qu’elle touche à la liberté des personnes mises en cause, doit être sûre et s’inscrire dans le temps, sous peine d’être sans cesse remise en question et donc de fragiliser les enquêtes en cours.

Ainsi, alors que le présent projet de loi se contente de transposer la directive B, il pouvait être plus ambitieux puisque son champ d’application recouvre celui de la directive C. Il aurait été plus logique, plus efficace et, surtout, plus sûr, de préparer une loi de transposition unique pour ces deux directives.

Ces remarques relatives à la forme étant faites, je dirai que le projet de loi qui nous est présenté contient des avancées, et les dispositions suivantes demandent une attention particulière.

Premièrement, le projet de loi introduit des avancées significatives pour les personnes mises en cause mais non placées en garde à vue. Quel que soit le cadre juridique de l’audition libre – enquête préliminaire ou de flagrance, information judiciaire, retenue douanière –, la personne mise en cause bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits, notamment celui d’être informée de ce qui lui est reproché, de son droit de quitter les lieux à tout moment, de son droit de garder le silence, de son droit de bénéficier de conseils juridiques et, si elle est entendue pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement, de son droit d’être assistée d’un avocat au cours de son audition ou de sa confrontation.

Ces dispositions viennent donc combler une lacune importante de notre droit. Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011, la personne entendue sous ce régime ne bénéficiait d’aucun droit particulier, hormis celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».

Ce type d’audition, au cours de laquelle une personne est amenée à s’exprimer sur des faits pouvant donner lieu à des poursuites – elle est donc susceptible de s’auto-incriminer –, doit être strictement encadré. Tel était d’ailleurs le sens des amendements que nous avions déposés en 2011. C’est pourquoi nous ne pouvons que soutenir les avancées du texte en la matière.

Deuxièmement, le projet de loi marque une avancée significative dans le sens du renforcement du caractère contradictoire de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il s’agit là, en effet, d’une composante essentielle des droits de la défense et du procès équitable. À ce titre, chaque partie devrait avoir accès aux pièces du dossier, en obtenir copie, pouvoir présenter des observations sur chaque pièce et acte réalisé au cours de la procédure, pouvoir solliciter des investigations, avoir connaissance des observations et des demandes des autres parties et être en mesure d’y répondre.

Je ne reviens pas sur les autres avancées de ce projet de loi, notre rapporteur les ayant évoquées ; nous en reparlerons de toute façon dans la discussion des articles. Permettez-moi simplement de dire un mot sur l’impact budgétaire.

Vous le savez, l’actualité nous l’a malheureusement rappelé il y a quelques semaines, les juridictions connaissent d’importantes difficultés budgétaires, ne serait-ce que pour avoir du papier, voire de l’encre pour imprimer les fax !

Le texte dont nous débattons aura des conséquences matérielles et organisationnelles dans les ordres, ainsi que des effets sur le budget de l’aide juridictionnelle. Les syndicats que nous avons consultés attendent d’être rassurés sur ce point. Ils insistent sur les coûts de cette réforme, qu’ils estiment sous-évalués dans l’étude d’impact. Ainsi, n’est pas pris en compte le coût des copies des nouveaux formulaires de notification, qui n’intègre pas la nécessaire adaptation des logiciels de rédaction de procédure pour établir les procès-verbaux de notification, pas plus que ne le sont les frais de traduction dans toutes les langues, qui seront importants la première année. De même, l’impact de ce texte sur l’aide juridictionnelle sera très fort.

Il faut donner à notre justice les moyens de fonctionner, faute de quoi, toute réforme, aussi significative soit-elle, ne pourra être correctement appliquée.

Ces remarques étant faites et l’article 10 ayant été supprimé, nous voterons en faveur de ce projet de loi. §

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