Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Union européenne nous incite à améliorer l’équité de notre procédure pénale, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. La Haute Assemblée, comme le groupe RDSE du reste, est très attachée à la protection des libertés et, plus précisément, à l’exigence d’un procès équitable. Cette exigence est au cœur de la directive que ce projet de loi tend à transposer.

Mes chers collègues, la démarche européenne vise à établir un socle commun de garanties procédurales, afin de permettre la reconnaissance mutuelle des décisions pénales. Elle prévoit également de compléter les obligations découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 30 novembre 2009 une feuille de route comprenant six mesures, mais définie comme un tout.

Ainsi, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté des « règles minimales » tendant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elles ont donné lieu à trois directives ; nous débattons aujourd'hui de la transposition de l’une d’entre elles.

Il s’agit de faire progresser le droit à l’information des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. La question est fondamentale, et force est de constater que notre droit est lacunaire en ce domaine. Toutefois, permettez-moi de douter quelque peu, monsieur le ministre, de la justesse de l’exposé des motifs du projet de loi, qui affirme étrangement le contraire.

Le sujet est essentiel, car l’information délivrée à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou qui est poursuivie à ce titre est indéniablement au cœur du procès équitable. Il n’y a pas de jugement contradictoire, ni d’égalité des armes ni de défense digne de ce nom si le principal intéressé ignore les droits qui lui sont reconnus par la loi, les chefs d’accusation retenus, ainsi que les charges rassemblées contre lui par les autorités.

Bien que la directive ne nous impose que des règles a minima, et alors que l’effacement progressif de l’instruction au profit de l’enquête conduit à une régression du contradictoire dans la mise en état des affaires pénales, notre combat pour une justice équitable doit nous conduire à aller plus loin.

Reconnaissons que notre procédure pénale progresse même si les évolutions – tardives ! – se font sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous devons nous appuyer sur les règles minimales définies par la directive, qui tiennent compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres pour renforcer les droits du justiciable, sans compromettre l’efficacité de la procédure. C’est bien cette démarche pragmatique qui doit nous guider.

Le texte proposé par la commission des lois traduit un progrès nécessaire : il renforce, comme la directive l’exige, les droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. Mais l’approche pragmatique qui consiste à rechercher l’équité, tout en maintenant l’efficacité de la procédure, met en exergue un paradoxe, voire une incohérence. Le projet de loi va parfois au-delà des exigences immédiates de la directive, alors qu’il se limite à une lecture stricte des règles minimales pour ce qui concerne d’autres dispositions.

Il nous semble que deux articles du projet de loi méritent qu’on s’y attarde.

L’article 1er renforce de manière considérable les garanties offertes à la personne entendue dans le cadre de l’audition libre. En effet, si les droits de la personne placée en garde à vue ont été renforcés, en particulier au travers de la réforme du 14 avril 2011, le suspect entendu librement ne bénéficie d’aucune garantie. Le Conseil constitutionnel a exigé que la personne placée en garde à vue soit informée de la nature et de la date de l’infraction dont on la soupçonne et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.

Le choix du Gouvernement a été d’aller bien au-delà de la simple légalisation de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, en prévoyant que seront notifiés au suspect son droit au silence, le droit à un interprète, ainsi que les droits à des conseils juridiques et, surtout, à l’assistance d’un avocat. Le projet de loi anticipe ainsi la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat. Le progrès est important et fait apparaître un contraste avec la limitation de l’accès aux pièces dans le cadre de la garde à vue.

La transposition de la directive du 22 mai 2012 a suscité de nombreux espoirs, notamment en ce qui concerne l’article 7 de celle-ci. Il semblait raisonnable d’attendre une ouverture de la liste des pièces accessibles à l’avocat durant la garde à vue ; il s’agit là d’une demande des avocats. Or les pièces que peut consulter l’avocat dans le cadre de la garde à vue sont limitativement énumérées. Cette limitation entame l’efficacité de la mission de défense, l’avocat n’ayant pas accès, notamment, aux procès-verbaux d’audition des victimes ou de perquisition.

Cependant, si le projet de loi permet aux personnes gardées à vue d’accéder aux mêmes pièces que l’avocat, la liste de ces pièces n’est pas élargie. Il semble que le texte ait omis le deuxième paragraphe de l’article 7, qui exige que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies.

En s’appuyant notamment sur ce texte, le tribunal correctionnel de Paris a annulé une garde à vue au motif qu’un avocat n’avait pas pu consulter le dossier de son client pendant son déroulement.

Rappelons, enfin, que la directive est censée compléter les obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et que la CEDH exige, dans son arrêt Dayanan c. Turquie du 13 octobre 2009, un accès au dossier bien plus large.

De ce point de vue, la transposition de la directive semble limitée aux règles minimales et paraît également incomplète.

Le présent texte, dans son ensemble, améliore indéniablement notre procédure pénale. C’est la raison pour laquelle nous le soutenons. Il s’agit d’une première avancée, avant même de connaître les conclusions de la mission confiée au procureur général Jacques Beaume. Surtout, la réforme attendue de la procédure pénale devra être l’occasion de renforcer solidement l’équité du procès.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enjeu est de taille, nous devons en avoir conscience, et il ne nous faudra pas rater ce rendez-vous. En attendant, posons ensemble la première pierre en adoptant ce projet de loi portant transposition de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

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