Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris totalement aux excellents propos tenus par M. le rapporteur et M. Hyest s’agissant de l’article 10. Vous savez, monsieur le ministre, à quel point nous sommes réticents au recours aux ordonnances. Si le Gouvernement avait présenté les mesures qu’il entend mettre en œuvre sous forme de dispositions législatives, mon groupe aurait pu adopter une attitude favorable à leur égard. En effet, dans ce cas, il aurait ouvert un droit de recours suspensif, qui n’existe pas aujourd'hui.

J’en viens aux dispositions essentielles du présent texte qui visent à renforcer les droits de la défense, ce qui est incontestablement positif. Il s’agit de transposer la directive du 22 mai 2012 et, partiellement, celle du 22 octobre 2013. Trois apports principaux doivent être soulignés. Je ne les rappellerai que brièvement, dans la mesure où tout a déjà été dit par les orateurs précédents.

Tout d’abord, s’agissant de l’audition libre, vous le savez, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue, instaurée par la loi du 14 avril 2011, a laissé en suspens la question de l’audition d’une personne par la police ou la gendarmerie alors qu’elle n’est pas placée en garde à vue.

Il est vrai que, aujourd'hui, aucune disposition du code de procédure pénale ne définit le déroulement d’une audition libre. Or, selon votre rapport, monsieur Michel, environ 780 000 auditions dites « libres » sont réalisées chaque année, ce qui est tout de même considérable.

À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, et pas seulement des directives que je viens d’évoquer, il a été établi qu’une personne dans ce cas ne pourra être entendue par les services de police ou de gendarmerie qu’après avoir été expressément informée de ses droits et, le cas échéant, mise en mesure de les exercer.

Ces droits sont au nombre de cinq.

Premièrement, la personne devra connaître la qualification de l’infraction. Deuxièmement, elle aura le droit de quitter les locaux. Troisièmement, elle aura également droit, le cas échéant, à un interprète. Quatrièmement, elle aura le droit de se taire, droit auquel Mme Lipietz est très attachée. Cinquièmement, elle sera informée de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques.

À cet égard, je note, monsieur le ministre, que le présent projet de loi va plus loin que le Conseil constitutionnel, puisqu’il donne la possibilité à toute personne suspectée d’avoir commis une infraction susceptible de conduire à un an d’emprisonnement ou plus d’être assistée d’un avocat dans le cadre de cette audition et de bénéficier par conséquent de l’aide juridictionnelle.

Ensuite, ces droits seront mieux notifiés. Si le droit français satisfait les directives sur de nombreux points, il ne répond pas à deux exigences européennes. Il s’agit, d’abord, du droit de garder le silence, dont on peut considérer qu’il découle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi de l’arrêt du 8 février 1996 de la Cour européenne des droits de l’homme Affaire John Murray c. Royaume-Uni.

Avec ce projet de loi, vous allez plus loin, monsieur le ministre, puisque vous instaurez la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de ne pas le faire, que ce soit dans le cadre des auditions libres, de l’instruction, devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. C’est un progrès tout à fait net.

De même, pour ce qui concerne le droit à l’interprète, le présent texte parachève la transposition de la directive du 20 octobre 2010, en précisant les modalités du droit à l’interprétariat, dans les quatre cas que je viens de citer.

Enfin, et c’est le troisième apport du texte, l’accès au dossier est étendu. Pendant la garde à vue, l’accès par un avocat à un certain nombre de pièces – procès-verbal notifiant le placement en garde à vue, certificat médical et compte rendu des auditions – est prévu. Même si l’on peut aller au-delà, je note que cet état de droit, comme vous l’écrivez dans votre rapport, monsieur Michel, a été jugé conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Je souligne aussi que le dispositif proposé est cohérent avec les conclusions du rapport que vous aviez cosigné, monsieur le rapporteur, avec notre collègue Jean-René Lecerf, qui préconise de bien distinguer – c’est une proposition d’une grande clarté – ce qui relève de la phase policière de ce qui relève de la phase judiciaire, ce qui explique le renforcement de l’accès au dossier durant les phases de l’instruction et du jugement.

Aujourd'hui, les articles 114 et 197 du code de procédure pénale prévoient cet accès uniquement pour les avocats. Or les dispositions du présent texte visent à renforcer l’information non seulement de l’avocat, mais aussi de la personne mise en cause sur la procédure au cours de la garde à vue et de l’instruction. Elles tendent également à améliorer l’accès au dossier ainsi que le contradictoire dans la phase précédant le jugement et dans la phase de jugement elle-même.

Tels sont donc les apports du projet de loi que nous examinons. Les membres du groupe socialiste souscrivent bien entendu à l’ensemble de ces avancées.

Cela étant, je veux souligner, monsieur Michel, que, dans votre rapport, vous avez fait preuve d’abord d’une grande fidélité aux directives, ensuite d’un souci de pragmatisme absolument nécessaire. Ainsi, vous avez insisté à juste titre sur l’indispensable information, et même formation, des policiers et des gendarmes s’agissant des nouvelles procédures de mise en œuvre des auditions dites « libres ».

Vous avez également déposé en commission des amendements visant à préciser que des auditions libres ne pourraient avoir lieu à la suite de l’arrestation d’une personne.

Vous avez en outre introduit une disposition « simple et pratique », pour reprendre les termes de M. Chevènement, prévoyant la notification des droits par écrit associée à la convocation.

Vous avez par ailleurs prévu l’articulation entre l’audition libre et la garde à vue, étant entendu que la durée de la première sera imputée sur la seconde. Vous avez aussi ajouté de nouvelles dispositions relatives aux droits des victimes, ces dernières pouvant désormais être assistées d’un avocat lors d’une confrontation.

Enfin, vous avez proposé l’élargissement des droits d’une personne gardée à vue, qui pourra demander au magistrat de se prononcer sur le renouvellement d’une telle mesure.

Tout a été dit – je n’y reviendrai pas – sur la procédure accusatoire et la procédure inquisitoire. Les dispositions que nous sommes amenés à transposer sont plutôt en cohérence avec la procédure accusatoire au sein d’une procédure inquisitoire. À cet égard, monsieur le ministre, je me permets, par votre intermédiaire, d’attirer l’attention du Gouvernement sur les décisions qui sont prises dans les instances européennes et d’en appeler à sa grande vigilance.

Il n’est pas nécessaire que les procédures judiciaires ou juridiques anglo-saxonnes l’emportent sur la logique qui caractérise la justice de notre pays. Certes, il est nécessaire de parvenir à des compromis, mais, dans les discussions, il est non moins nécessaire de défendre les principes qui fondent le droit français, de manière que lesdits compromis prennent également en considération nos règles de fonctionnement, protectrices des libertés, garantes de la clarté de la procédure, et auxquelles nous sommes attachés.

En outre, et ce n’est guère original puisque M. Hyest et d’autres collègues m’ont devancé, je voudrais revenir sur les conséquences financières de cette transposition, qu’il est normal d’évoquer.

J’ai été frappé de lire, à la page 34 de l’étude d’impact, que deux chiffrages ont été établis, le second représentant plus du double du premier. Or, quel que soit le montant retenu – 13 161 720 euros ou le double –, il faudra bien trouver l’argent.

Poursuivant la lecture de cette étude d’impact, j’ai aussi trouvé cette phrase sibylline en bas de la même page 34 : « Par ailleurs, le rapport de mission de M. Carre-Pierrat sur l’aide juridictionnelle attendu est susceptible de préconiser des modalités nouvelles de participation de la profession d’avocat aux missions d’aide juridique de nature à modifier la présente étude d’impact établie sur la base d’un paiement à l’acte. » En bon français, cela signifie qu’une manière de trouver ces 13 millions d’euros – voire ces 29 534 900 euros – consisterait peut-être à demander aux avocats de payer à due concurrence selon des « modalités nouvelles de participation », comme il est joliment écrit. Simplement, craignant quelques réactions au sein de la profession, du Conseil national des barreaux et dans les autres instances – nous connaissons parfaitement les oppositions –, je considère qu’il faut rester très prudent et ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, même si l’on peut envisager divers systèmes par lesquels les professions juridiques dans leur ensemble apporteraient leur contribution.

Nous en sommes bien d’accord, monsieur le ministre, il faut faire des efforts budgétaires. À cet égard, le Président de la République a annoncé des objectifs très ambitieux. Pour ce qui est du ministère de la justice, son budget reste bien en deçà de ce qui serait nécessaire, en dépit, je tiens à le souligner, des efforts notables qui ont été engagés depuis deux ans. Il n’en demeure pas moins que le prochain projet de loi de finances devra prévoir des moyens supplémentaires pour financer l’aide juridictionnelle, qui bien évidemment montera en puissance et de manière significative à la suite de l’adoption du présent texte.

En conclusion, je félicite à la fois le Gouvernement d’avoir présenté ce projet de loi nécessaire et M. le rapporteur d’avoir fait preuve d’une vision réaliste et pragmatique et d’avoir pris en compte les logiques à l’œuvre dans notre pays. Le groupe socialiste – au nom duquel je m’exprime exceptionnellement puisque, habituellement, j’interviens en ma qualité de président la commission des lois – votera ce texte et je vous invite à faire de même, mes chers collègues.

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