Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Géolocalisation — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Cela nous renvoie toujours à la même question, que vous connaissez parfaitement, madame la ministre, puisque vous avez déjà consenti des efforts à cet égard, tout comme nous, je veux parler de la nécessaire réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui permettrait de répondre à l’objection récurrente de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle les membres du parquet n’auraient pas l’indépendance des juges.

Je forme le vœu – je sais que c’est aussi votre souhait ; c’est l’intention qui a été manifestée par le Président de la République il y a encore quelques semaines – que nous puissions parvenir à un texte dont la rédaction soit susceptible de recueillir la majorité requise au Congrès afin d’avancer sur ce sujet et que la France cesse d’être condamnée.

Je reviendrai brièvement sur les différents points que nous avons abordés au Sénat et dont il a été question à l’Assemblée nationale, ainsi qu’en commission mixte paritaire.

Premièrement, dans quels cas est-il licite de faire appel à la géolocalisation ?

Notre position, madame la ministre, a été très claire dès la première lecture. Nous avons pris à la lettre la prescription de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que cette technique doit être réservée aux infractions d’une particulière gravité. C’est pourquoi nous avons adopté au Sénat une disposition qui concerne les infractions correspondant à un quantum de cinq années d’emprisonnement, et non pas de trois années, comme le prévoyait le projet de loi initial.

Bien entendu, madame la ministre, nous avons pris en compte les infractions sanctionnées de trois ans d’emprisonnement s’il s’agit des atteintes aux personnes présentant une certaine gravité.

En résumé, après beaucoup de travail, la position de la commission mixte paritaire a finalement été la suivante : la géolocalisation est réservée en règle générale pour des infractions punies de cinq ans d’emprisonnement, ou pour des infractions punies de trois ans d’emprisonnement s’il s’agit d’un délit d’atteinte aux personnes visé par le livre II du code pénal, du recel de criminel prévu par l’article 434–6 du code pénal et de l’évasion prévue par l’article 434–27 du code pénal. Sur ce point, la commission mixte paritaire a totalement suivi la position du Sénat, puisque l’Assemblée nationale était revenue au quantum initial de trois ans.

Deuxièmement, à quel moment le juge des libertés et de la détention doit-il intervenir ?

Le texte initial prévoyait un délai de quinze jours de géolocalisation. Notre collègue Jacques Mézard, par la voie d’un amendement qui fut adopté par le Sénat, a proposé de le porter à huit jours. Les députés sont revenus à une durée de quinze jours. Finalement, après discussion, nous avons donné notre accord, dans le cadre d’un compromis, pour fixer ce délai à quinze jours, car la Cour européenne des droits de l’homme a validé le fait que le juge du siège puisse intervenir au bout d’un mois. Quinze jours, c’est naturellement plus court qu’un mois, délai jugé parfaitement légitime par la Cour européenne des droits de l’homme. Voilà pourquoi nous avons considéré qu’il était possible de maintenir le délai à quinze jours, d’autant que les huit jours prévus par le Sénat entraînaient un droit à prolongation de huit jours, soit un total de seize jours.

Troisièmement, pour ce qui est des dispositions relatives au domicile privé, nous avons maintenu le dispositif prévu par le Sénat, qui a été repris par l’Assemblée nationale, en apportant néanmoins quelques précisions afin que le domicile privé soit parfaitement respecté en cas d’intrusion nocturne pour la mise en place d’une géolocalisation. Le texte présente toutes les garanties puisqu’il prévoit l’accord préalable du juge des libertés et de la détention. Nous avons toutefois ajouté une précision relative aux lieux couverts par le secret de la défense nationale. Il est assez logique que toute géolocalisation y soit en effet interdite.

Pour ce qui est d’une question qui a fait débat, à savoir celle de la pose d’une balise en cas d’urgence par l’officier de police judiciaire, l’OPJ, le Sénat a considéré qu’il était possible de laisser cette initiative à l’OPJ dès lors qu’il en informe immédiatement, par tout moyen, le procureur de la République. Il nous a semblé nécessaire que ce dernier valide la procédure au bout de douze heures. S’il ne le fait pas, nous avions explicitement considéré que le dispositif matériel était nul et non avenu, et que par conséquent il ne pouvait produire aucun effet. On peut, bien entendu, tout à fait désactiver une balise.

L’Assemblée nationale, après discussion avec vous-même, madame la garde des sceaux, a estimé qu’il était préférable de prévoir un délai de vingt-quatre heures : le procureur de la République ne peut pas prendre l’acte depuis son domicile, il est nécessaire que celui-ci soit enregistré au greffe du tribunal. Il peut arriver que des problèmes se posent à cet égard le week-end.

C’est donc pour des raisons pratiques, et seulement pour des raisons pratiques, que nous nous sommes ralliés à ce dispositif. Cependant, je précise que, dans l’esprit de la commission mixte paritaire – que je ne pense pas trahir ici –, il est essentiel, premièrement, que l’OPJ prévienne instantanément le procureur de la République et, deuxièmement, que le procureur valide la procédure dans les vingt-quatre heures au plus tard.

Restait la question du dossier séparé. C’est un sujet que nous avions traité au cours de la première lecture, en prenant en compte ce que nous avaient dit les représentants de la police et de la gendarmerie, lesquels avaient affirmé que certains informateurs pouvaient se trouver menacés et être en danger dès lors qu’apparaîtraient dans le dossier leur nom, la date et le lieu où la géolocalisation a été mise en place, et la balise posée. Je parle toujours de balise ; j’en profite pour préciser que le texte concerne à la fois les géolocalisations par balise, mais également les géolocalisations par téléphone portable.

En ce qui concerne cette question importante, nous avons considéré qu’il était possible de s’inspirer de l’article du code de procédure pénale relatif aux témoins anonymes pour exclure du dossier certaines pièces, lesquelles seraient versées dans un dossier séparé. Toutefois, nous avons défini des conditions très précises.

Tout d’abord, cette exclusion ne pourra se faire que sur décision du juge : l’autorité judiciaire, à cet égard, est pleine et entière. De manière à bien préciser les choses, puisque, je le sais, à l’Assemblée nationale un débat s’est fait jour sur la constitutionnalité du dispositif, la commission mixte paritaire a inscrit noir sur blanc dans le texte que le juge ne peut prendre cette décision que si l’information n’est « ni utile à la manifestation de la vérité ni indispensable à l’exercice des droits de la défense ».

Nous avons veillé à trouver une formulation nouvelle, ne maintenant pas en l’état le 3° du texte proposé par l’Assemblée nationale pour l’article 230–41 du code de procédure pénal : il est donc possible d’enregistrer dans un autre dossier ou d’exclure du dossier principal les données de localisation, « la date, l’heure et le lieu » et « les éléments permettant d’identifier une personne ayant concouru à l’installation ou au retrait du moyen technique ». Cette procédure est extrêmement claire, précise, cadrée, restrictive et, à notre sens, parfaitement constitutionnelle.

Voilà, mes chers collègues, quel a été le travail de la commission mixte paritaire. Il s’est déroulé dans un excellent climat. Je dois vous dire que nous avons été guidés par la recherche d’un nécessaire équilibre.

Il est essentiel, nous le savons tous, de disposer des moyens pour lutter contre le terrorisme, la violence et les menaces intolérables portant sur l’intégrité de nos concitoyens. Dans le même temps, nous savons bien qu’il y a là un problème, car ces moyens peuvent porter atteinte à la vie privée, aux données personnelles, aux libertés individuelles, que nous nous attachons tous à défendre. Par conséquent, il ne faut y toucher qu’avec grande prudence, dans le cadre de la loi, et uniquement lorsque c’est nécessaire pour lutter contre le terrorisme, la violence ou les menaces à l’égard de nos concitoyens et des autres personnes vivant en France.

Plus qu’une position de compromis, nous avons atteint un point d’équilibre en commission mixte paritaire en retenant le meilleur du travail des deux assemblées. Nous avons abouti à un texte qui n’est peut-être pas le meilleur possible, mais qui constitue un bon travail parlementaire.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite, au nom de la commission mixte paritaire, ainsi qu’au nom de la commission des lois qui en a débattu cet après-midi, à adopter ce texte.

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