Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Géolocalisation — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Il y a donc bien cette part d’appréciation pour laquelle nous plaidons à longueur de temps en disant qu’il faut faire confiance à la justice et permettre au magistrat de librement apprécier les situations qui lui sont soumises. Il n’en demeure pas moins que, dans ces procédures pénales, non seulement le magistrat appréciera les pièces qui sont à sa disposition mais il le fera unilatéralement, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de contradictoire, la défense n’ayant pas son mot à dire. Par ailleurs, son appréciation sera peut-être différente selon les territoires et les enquêtes concernées.

Nous estimons donc qu’il y a là un petit espace d’incertitude en matière de sécurité juridique. Le magistrat peut estimer que la divulgation de ces pièces – ces pièges – peut menacer la sécurité des personnes qui ont contribué à éclairer la justice. La pièce de procédure qui a permis de déterminer l’heure et la date de pose d’une balise peut en effet permettre d’identifier la personne qui a informé la justice. Mais la date et l’heure de pose de la balise peuvent être aussi des éléments de la procédure, en tout cas de régularité de la procédure.

Nous pensons donc que subsiste tout même encore un risque que soit contestée la régularité d’une procédure dans la mesure où la défense n’aura pas accès à toutes les pièces qui lui permettent d’apprécier sa régularité.

Vous avez toutefois pris la précaution d’écrire que ces pièces ne doivent pas être essentielles à la manifestation de la vérité ni de nature à mettre en cause la procédure. Il n’empêche que, au nom du principe du procès équitable et du respect des droits de la défense, un risque demeure. C'est la raison pour laquelle je réitère la suggestion, que j’ai faite tout à l’heure devant l’Assemblée nationale, que, par anticipation avant la promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel soit saisi par le président de l'Assemblée nationale ou par celui du Sénat, ou par les deux.

Deux hypothèses sont envisageables : ou bien le Conseil constitutionnel considère que la manière dont est conçu ce dispositif totalement inédit est satisfaisante, qu’il n’y a pas de risques, et, dès lors, le texte est conforté, consolidé, la sécurité est totale sur les procédures pénales ; ou alors le Conseil exprime une réserve d’interprétation ou suggère une réécriture. Dans ce cas-là, nous aurons évité, avant la promulgation de la loi, une censure a posteriori d’une disposition pouvant éventuellement mettre en cause des enquêtes pénales.

Évidemment, les enquêtes seraient conduites conformément à la loi mais nous savons parfaitement que, aujourd’hui, il ne suffit pas que les actes soient conformes à la loi : avec la question prioritaire de constitutionnalité, la loi elle-même, après bien sûr l’étape de la recevabilité par le Conseil d’État et la Cour de cassation, est passée au crible du Conseil constitutionnel, qui s’assure de sa conformité vis-à-vis de la Constitution, mais sa conventionalité, c’est-à-dire sa conformité vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme, est également contrôlée.

Telles sont les raisons pour lesquelles cette précaution, qui vous semble peut-être superfétatoire, me paraît utile avant la promulgation du texte. Cela nous prendrait huit jours de plus puisque, conformément à l’article 61 de la Constitution, en cas d’urgence, le Conseil constitutionnel peut statuer en huit jours et non en un mois. Ce délai supplémentaire permettrait d’obtenir une sécurité totale sur le texte et éviterait toute censure a posteriori.

À une assemblée aussi sensible aux questions de droit que la vôtre, je rappellerai ce qu’écrivait John Locke : « Là où il n’y a de droit, il n’y a pas de liberté ».

Notre volonté est donc de consolider le droit, c’est-à-dire de créer un cadre juridique qui définisse les conditions et les limites dans lesquelles la géolocalisation peut se pratiquer. Nous voulons surtout a posteriori sécuriser les procédures et éviter qu’une enquête bien conduite, conforme à la loi, ne soit censurée parce que la loi elle-même aura été considérée comme n’étant pas conforme à la Constitution.

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