Le débat sur la participation des sénateurs aux travaux de la Haute assemblée remonte au moins à la discussion constitutionnelle de 1958. Une loi organique pose en effet alors le principe d'une retenue pécuniaire en cas d'absence des parlementaires et renvoie aux règlements des assemblées le soin de déterminer les conditions de sa mise en oeuvre. Ce texte n'envisage de retenue que sur l'indemnité de fonction, qui constitue une partie de l'indemnité parlementaire. En raison de ce cadre constitutionnel, la sanction maximale s'élève à 1 420 euros par mois.
Le sujet suscite deux types de réactions : aux défenseurs du statu quo -« surtout ne changez rien, n'en parlons pas »- s'opposent les partisans d'une révolution -« il faut tout changer, vous n'allez pas assez loin ». En tout état de cause, les dispositions organiques s'imposent, ce dont le règlement du Sénat prend acte. Dans sa rédaction actuelle, l'article 15 de notre règlement prévoit un mécanisme brutal avec une double sanction, pécuniaire et politique : trois absences successives à une réunion de commission permanente entraînent une retenue de 50 % de l'indemnité de fonction jusqu'à la nouvelle session ordinaire, ainsi que la démission d'office du sénateur de la commission dont il est membre. Le sénateur démissionné ne peut être remplacé par un membre de son groupe jusqu'à la prochaine session ordinaire. C'est l'arme atomique ! Dans sa grande sagesse, le Sénat s'abstient de l'utiliser. La sanction n'a été prononcée qu'une fois à ma connaissance, en 1959, envers un sénateur élu en Algérie.
Le Bureau du Sénat a mis en place un groupe de travail sur les conditions matérielles d'exercice du mandat. Présidé par MM. Todeschini et Foucaud, il a mis en évidence l'absence chronique de certains sénateurs aux réunions de commission du mercredi matin. Le Bureau a ensuite adopté à l'unanimité une proposition de résolution destinée à mettre en place un dispositif pragmatique et applicable.
Seraient décomptées uniquement les absences aux commissions permanentes du mercredi matin pendant les semaines de séance de la session ordinaire. Les premiers cas de dispense s'imposent à nous, puisqu'ils sont visés par l'article 1er de l'ordonnance de 1958 qui autorise les délégations de vote : maladie, événement familial grave, mission temporaire, participation à une assemblée internationale, force majeure appréciée par le Bureau. Bénéficieraient également d'une dispense les sénateurs participant aux travaux d'une autre commission, les membres du Bureau et les présidents de groupe dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que les sénateurs ultramarins et ceux qui représentent les Français établis hors de France. Enfin, la résolution modifierait les sanctions en passant de la retenue forfaitaire de 50 % à des retenues mensuelles graduées de 50 % pour trois absences mensuelles, 75 % pour quatre absences et 100 % pour cinq absences par mois.
Après l'audition des présidents de commission, des présidents de groupe, de sénateurs d'outre-mer et de sénateurs élus par les Français de l'étranger, je propose quelques amendements. De forme, le premier améliore la lisibilité de l'article 15 du règlement en présentant successivement le principe de la présence, les sanctions, les exceptions, les modalités pratiques de mise en oeuvre. Il s'agit ensuite de prévoir le cas de la présence à une autre commission permanente, à une commission spéciale, à une commission mixte paritaire ou à une commission d'enquête.
Le système de sanction envisagé avec ses trois niveaux de retenue paraît peu efficace : comme le remarquerait un lecteur malicieux, il y a peu de mois comptant cinq semaines avec cinq réunions de commission, de sorte que la retenue de 100 % ne s'appliquerait jamais. Il serait plus efficace et plus lisible de prévoir 50 % de retenue à partir de trois absences par mois et 100 % au-delà. Compte tenu des exceptions, seront ainsi sanctionnés ceux qui feront vraiment preuve de mauvaise volonté.
Nous reprenons les cas de l'ordonnance de 1958. Je propose de dissocier la question des délégations de vote de celle des retenues. Les premières, qui font l'objet d'un consensus, ne peuvent en pratique donner lieu à une appréciation du Bureau, qui ne peut se réunir pour constater qu'un avion n'a pas décollé. On ne changerait rien au fonctionnement des délégations de vote. L'absence, même si elle a donné lieu à délégation de vote, pourra en revanche déterminer une retenue : si vous êtes malade, il faudra apporter un justificatif. Deuxième exception, il est plus simple de dire que les membres du Bureau et les présidents de groupe sont exonérés à raison de l'exercice de leurs fonctions et pas de droit.
Lors de nos auditions, certains se sont interrogés sur l'exemption consentie aux sénateurs ultra marins et aux sénateurs des Français de l'étranger. Je maintiens cependant le texte du Bureau. Les contraintes des élus d'outre-mer sont réelles : il est malaisé de venir de certains territoires et le Sénat ne rembourse qu'un aller-retour par mois. La solution d'un décompte des absences sur le trimestre n'en est pas une, tant que les sénateurs exercent des fonctions exécutives locales qui les empêchent de quitter leur territoire pour une longue période. Même si les élus des Français de l'étranger avaient accepté à l'unanimité un décompte par trimestre, il est difficile d'un point de vue juridique de différencier leur situation de celle des élus ultramarins. Au demeurant il est toujours possible de demander un congé.