Je veux d'abord, monsieur le Président, vous remercier de nous avoir confié ce travail, qui s'inscrit, comme le rapport d'Yves Détraigne et de Virginie Klès sur la justice de première instance, dans la réflexion engagée par notre commission sur notre organisation judiciaire. Nous avons procédé à quarante auditions. Catherine Tasca s'est rendue au tribunal de grande instance d'Arras. Nous avons voulu étudier le fonctionnement de la justice à partir du point de vue du justiciable, en nous attachant aux moyens de la rendre plus accessible et plus efficace.
Le contentieux des affaires familiales, vitrine du contentieux civil, est celui qui touche le plus grand nombre de nos concitoyens. Paradoxalement, alors que cette justice semble fonctionner correctement, elle ne donne entière satisfaction ni à ceux qui la pratiquent ni à ceux qui font appel à elle.
Depuis sa création, sous la forme du juge aux affaires matrimoniales en 1975, celui qui est devenu le juge aux affaires familiales (JAF) en 1993 n'a cessé de voir son champ de compétence élargi : d'abord le contentieux du divorce et de l'après-divorce, puis celui de l'autorité parentale et des obligations alimentaires en 1993, celui de la liquidation du régime matrimonial en 2004, celui des tutelles mineurs en 2009, celui de la séparation conflictuelle des couples non mariés la même année et, enfin, celui des violences conjugales, avec la loi du 9 juillet 2010. Ces évolutions successives dessinent un périmètre cohérent, grâce auquel un même juge est apte, en principe, à connaître de la plupart des problématiques familiales.
Le JAF est confronté à un contentieux de masse, qui représente à lui seul presque la moitié de tout le contentieux civil porté devant les tribunaux de grande instance (TGI). Ces affaires se divisent, à parts égales, en procédures de divorce et en procédures hors divorce (autorité parentale, séparation conflictuelle des couples non mariés).
La moitié des divorces est traitée en moins de 5 mois, et le délai moyen pour toutes les procédures de divorce est passé de 13,3 mois en 2004 à 11,6 mois en 2010, pour un délai moyen en matière civile de 9,3 mois. La prise en charge de ce contentieux important est, de plus, efficace, puisqu'elle ne mobilise que 420 postes équivalents temps plein sur 8 000 magistrats de l'ordre judiciaire. Enfin, le juge aux affaires familiales est bien identifié, et son champ de compétence correspond, aux yeux des justiciables, à ce qu'ils en attendent. En outre, si le ministère d'avocat est obligatoire en matière de divorce, il ne l'est pas pour l'autorité parentale, ce qui facilite l'accès au juge.
Au vu de ces succès, il est paradoxal de constater que le jugement porté sur la justice aux affaires familiales est souvent sévère. Sans doute cette sévérité est-elle liée à la matière elle-même, qui concerne l'intimité des justiciables, dans des litiges douloureux à forte dimension passionnelle. On attend de la justice qu'elle trouve infailliblement la solution à laquelle les époux ou les parents ne sont pourtant pas parvenus. La déception, toutefois, est à la hauteur des attentes immenses placées en elle. Ainsi, les justiciables la dénoncent comme à la fois trop lente, car les délais de convocation sont élevés, et trop expéditive, avec 11 minutes pour une audience de divorce, certains évoquant une justice d'abattage. Lire la statistique ou la vivre est bien différent.
Les magistrats, quant à eux, se plaignent du manque de temps et de moyens. L'impératif du traitement quantitatif des flux contentieux l'emporte sur celui du traitement qualitatif des situations humaines qui leur sont soumises et le nombre important des saisines successives de la juridiction ou des instances modificatives est un signe d'échec. La fonction de JAF semble dévalorisée. La spécialisation familiale qu'elle devait établir ne se vérifie pas toujours, les JAF se concentrant sur un aspect du contentieux (juge du divorce, juge de la liquidation des régimes matrimoniaux, juge de l'autorité parentale) et les emplois étant morcelés entre plusieurs magistrats pour un quart ou un cinquième de leur temps. En outre, la fonction de JAF est peu prisée, souvent choisie par défaut ou confiée aux derniers magistrats arrivés, même si des vocations existent. Elle se caractérise par une très forte mobilité.
Tel est le paradoxe de cette justice, plutôt efficace, mais mal aimée, qui explique qu'elle ne parvienne pas toujours à être à la hauteur de son exigeante mission, en particulier lorsqu'il lui revient de faire prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant sur le choix de ses parents. Nous appelons de nos voeux un changement culturel.