J'ai eu plaisir à travailler avec Michel Mercier. Les missions confiées à un tandem de sénateurs, de la majorité et de l'opposition, constituent une bonne pratique.
La recherche de l'intérêt supérieur de l'enfant a guidé nos réflexions. En cas de séparation, il est fondamental que celle-ci s'opère de manière apaisée. Il importe de combler l'écart entre la réalité quotidienne de la pratique judiciaire en matière familiale et les attentes des justiciables. Plutôt qu'une réforme de structure, nous privilégions un changement de culture, qui favorise l'émergence de nouvelles pratiques.
Nos premières propositions tendent à conforter le juge aux affaires familiales dans son office. En effet, les justiciables attendent beaucoup du JAF : de l'écoute, une justesse d'appréciation, une décision rapide et parfois une protection. Cela exige du magistrat du temps, que le nombre d'affaires à traiter épuise rapidement, et des moyens d'agir, dont il est parfois privé.
Nous proposons, en premier lieu, de conserver le périmètre actuel de compétence du JAF et de rejeter toute fusion avec le juge des enfants. Celui-ci, en effet, est un juge spécifique, à la fois civil et pénal, qui connaît d'une situation dans sa durée, tandis que le JAF est exclusivement un juge civil qui intervient pour un litige limité à un moment donné. En revanche, l'office du juge aux affaires familiales doit évoluer pour mieux adapter les mesures qu'il prend à la situation des parties et pour mieux accompagner leur application. Il s'agit d'un changement de culture, puisque le JAF assumerait un rôle plus actif, par exemple en prenant des mesures à titre provisoire pour tester leur succès auprès des parties ou en accompagnant la mise en oeuvre d'un droit de visite par la désignation d'un travailleur social. Cette recherche d'une solution adaptée est conforme à sa mission de conciliation, trop souvent négligée faute de temps ou de moyens. Un tel accompagnement devrait toutefois être réservé aux litiges qui le nécessiteraient plus particulièrement. De plus il faut garantir le financement des enquêtes sociales et des espaces familiaux.
Redonner du temps au juge aux affaires familiales suppose aussi de le décharger des tâches pour lesquelles son intervention n'amène aucune plus-value. Sur la question de la déjudiciarisation, nous sommes prudents : l'intervention judiciaire est une garantie de protection et il convient de la conserver chaque fois qu'un droit pourrait être menacé.
Toutefois, le contrôle du juge en matière de divorce par consentement mutuel est très formel. Certes, l'éventualité d'un refus d'homologation de la convention proposée par les époux peut avoir un rôle dissuasif, mais le même effet peut être obtenu par une autre voie. La proposition formulée par le groupe de travail présidé par M. Pierre Delmas-Goyon, de confier cette tâche à un greffier juridictionnel, doté d'un statut particulier, nous a semblé intéressante : en cas de doute, le greffier refuserait d'homologuer la convention, et les parties pourraient saisir le juge. En revanche, compte tenu de la nouveauté d'une telle procédure, nous proposons d'en limiter l'application aux divorces par consentement mutuel sans enfant et sans patrimoine commun.
D'autres simplifications peuvent être envisagées, à condition d'en prévoir les moyens, comme de confier aux officiers d'état civil l'enregistrement des pactes civils de solidarité (Pacs) et de leur dissolution, ainsi que les demandes de changement de prénom. En outre, il convient d'éteindre le contentieux très abondant suscité par les caisses d'allocations familiales (CAF) qui exigent du parent allocataire de l'allocation de soutien familial une décision du JAF sur l'impécuniosité de l'autre parent : le décret du 7 décembre 2011 autorise les CAF à procéder elles-mêmes à cette vérification, il faut les y inciter.
Nos propositions relatives à l'organisation et au fonctionnement de la juridiction aux affaires familiales favorisent l'émergence d'une culture commune. Il en va ainsi de la diffusion de barèmes indicatifs de prestation compensatoire, sur le modèle des barèmes indicatifs de pensions alimentaires, qui ont rencontré un vif succès. En revanche, une spécialisation JAF sur le modèle du juge d'instruction ou du juge des enfants serait source de rigidité car, en principe, un magistrat spécialisé ne peut que marginalement traiter d'autres contentieux. Or, le poids des affaires familiales au sein du TGI impose qu'il puisse être traité par des magistrats généralistes, susceptibles d'y être affectés par simple ordonnance du président du TGI. Il conviendrait toutefois de conforter l'enseignement dédié à ces fonctions dans la formation initiale et continue des magistrats.
Pour réduire la mobilité excessive dans ces fonctions, nous proposons d'inciter les présidents de TGI à prévoir des affectations d'au moins deux ans pour tout magistrat désigné JAF, ou à réduire, dans la mesure du possible, le morcellement des emplois de JAF entre trop de magistrats - cinq magistrats pour un seul poste de JAF dans certains tribunaux, c'est trop.
Enfin, il faut renforcer la coordination au sein de la « jaferie », ainsi qu'avec les autres juridictions familiales. La systématisation de la participation de JAF aux audiences collégiales du TGI statuant en matière familiale est une piste intéressante. De même, il serait bon, comme l'a recommandé le groupe de travail présidé par M. Didier Marshall, que le magistrat coordonnateur suive plus particulièrement les affaires familiales complexes, où interviennent successivement le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, car un conflit familial trop important entraîne une mise en danger de l'enfant, et peut même conduire, dans les cas les plus graves, à son entrée en délinquance.
Enfin, autre changement culturel, nous souhaitons développer le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, comme la médiation et la conciliation. La médiation ne concerne que 0,8 % des affaires. Pourtant, lorsque les parties acceptent de la tenter, elle réussit dans un peu plus de la moitié des cas. Si les marges de progrès sont importantes, les obstacles sur le chemin de la médiation sont nombreux, à commencer par la résistance culturelle, les justiciables attendant du juge une décision qui s'imposera à l'autre partie, et les magistrats s'en tenant à une conception traditionnelle de leur rôle. La culture des avocats est, quant à elle, encore trop souvent celle du combat judiciaire, même si elle évolue également, notamment chez les avocats spécialisés en droit de la famille. L'essor de la médiation se heurte aussi à la dynamique de performance imposée aux juridictions : contraints de gérer un flux contentieux très important, les magistrats ne peuvent dégager le temps nécessaire à la mise en oeuvre d'une solution négociée.
Enfin, la médiation, principalement financée par la caisse d'allocations familiales (61 %), et, secondairement, par les collectivités territoriales (13 %) et le ministère de la justice (5 %), a un coût pour les justiciables, qui varie de 2 à 131 euros par séance, selon un barème dégressif en fonction de leur revenu.
Nous nous sommes rendus au TGI d'Arras afin de dresser un premier bilan des médiations en cours. En premier lieu, il apparaît que le succès dépend de la mobilisation de tous les acteurs judiciaires, en particulier des avocats : systématisons la conclusion de protocoles d'organisation de la médiation. Il faut aussi adapter l'offre de médiation à la demande des parties. Un délai trop long entre la première information et la réunion de médiation conduit certains à abandonner la procédure. Enfin, pour promouvoir la culture de la médiation judiciaire, il importe de renforcer la formation juridique des médiateurs et de mettre en place, dès la formation initiale des magistrats et des avocats, des enseignements dédiés aux modes alternatifs de règlement des conflits. Enfin, le développement de la médiation demande des moyens et du temps. Comme l'avait démontré notre collègue Yves Détraigne dans son rapport sur la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, il faudrait multiplier par cinq l'effectif des médiateurs pour généraliser la médiation préalable en matière de décision modificative d'autorité parentale. C'est pourquoi nous recommandons d'étendre progressivement le champ de l'expérimentation.
Dernier changement de culture : confortons le rôle des avocats dans les procédures alternatives de règlement des conflits. Pourquoi ne pas revaloriser les unités de valeur qu'ils perçoivent lorsqu'ils sont associés à une médiation familiale judiciaire ? La procédure participative, qu'ils peuvent mettre en oeuvre, reste encore très marginale.
Nous recommandons aussi que les juridictions s'appuient davantage sur les compétences des notaires pour les aider à procéder au partage des intérêts patrimoniaux des époux. D'une manière générale, il faut que les juges s'attachent plus à donner toutes ses chances au partage amiable entre les époux.
Enfin, il pourrait être pertinent d'autoriser les JAF, en dehors des cas de divorce ou d'autorité parentale, à déléguer leur mission de conciliation aux conciliateurs de justice, lorsque le litige porte exclusivement sur de menues questions patrimoniales.
Ainsi, sans remettre en cause les fondements de notre justice aux affaires familiales, nous espérons un changement de culture, pour que chacun prenne toute sa place dans la résolution des litiges familiaux. Le juge doit travailler à susciter l'accord ou la conciliation des parties et chercher la solution la plus pérenne, s'il doit trancher malgré tout. De son côté, le justiciable et son conseil doivent aussi, dans la mesure du possible, donner sa chance à la médiation, pour peu qu'on leur en donne les moyens.
N'oublions pas que, dans le succès de la réforme de la justice aux affaires familiales, celle qui touche le plus largement nos concitoyens, se joue à leurs yeux celui de l'institution judiciaire toute entière.