Monsieur le ministre, composante majeure du pacte républicain, la laïcité exige de la rigueur intellectuelle à l’heure où elle est largement dévoyée, notamment par l’extrême droite, qui a fait de sa conception de cette notion un outil pour stigmatiser et alimenter les communautarismes.
Si le législateur se doit de participer à ce travail intellectuel rigoureux, doit-il pour autant encore légiférer ?
La question est cruciale, car, dans ce domaine, le recours à la loi peut conduire à réglementer sans fin, ou encore à déplacer le problème. Aussi, pour ne pas risquer de toucher à l’équilibre d’un corpus législatif déjà important, il faut distinguer, me semble-t-il, ce qui doit relever de la loi de ce qui doit relever du débat politique, voire du débat philosophique.
C’est à la suite de la publication, au mois de mars 2013, de deux arrêts de la Cour de cassation que des voix se sont élevées pour demander au législateur de légiférer, au nombre desquelles celle du Défenseur des droits, qui a réclamé une clarification de la loi sur la laïcité, estimant que le parcours judiciaire de l’affaire dite « Baby Loup » illustrait les difficultés d’interprétation des textes.
À l’inverse, dans son avis sur la laïcité publié au Journal officiel le 9 octobre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a invité à ne pas renforcer un arsenal législatif déjà riche et à lutter avant tout contre toute ignorance de la laïcité. Rien ne s’oppose à ce que l’on clarifie la loi par le débat, mais, je le répète, doit-on légiférer ?
Le droit est clair : l’obligation de neutralité ne peut s’imposer que si l’activité prise en charge par la personne privée est une activité de service public. Elle ne doit donc s’imposer qu’aux personnes publiques ou privées exerçant une mission de service public. Si des difficultés apparaissent aujourd'hui dans certaines entreprises de droit privé, c’est parce que les frontières entre services public et privé deviennent floues.
En effet, d’une part, la puissance publique délègue de plus en plus la gestion et l’exploitation des activités relevant du service public à des personnes privées et, d’autre part, on constate une défaillance de l’État en matière de développement et de modernisation du service public.
Doit-on clarifier ou redéfinir les critères permettant de déterminer ce qui relève du service public et de l’intérêt général ? Cette question soulève de nombreuses interrogations, mais celles-ci ne trouveront pas de réponses au détour d’une séance de questions cribles. Nous avons besoin, me semble-t-il, d’un débat approfondi et rigoureux, dont je souhaite qu’il soit bien éloigné des stéréotypes et des raccourcis qui conduisent à stigmatiser certaines personnes.