Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens devant vous avec plaisir au terme d’un examen parlementaire à la fois rapide – c’est évident – et approfondi – ce qui prouve que cela est possible – pour le vote – je l’espère positif – d’un texte qui permettra de donner corps à la réforme de la formation professionnelle et de la démocratie sociale.
Je voudrais, avant toute chose, vous remercier sincèrement les uns et les autres, parce que dans la richesse de nos échanges, au-delà de positions et de convictions souvent exprimées avec force, j’ai ressenti une forme d’appréciation positive de ce texte, non seulement à l’égard de nombre de ses dispositions, mais aussi dans sa globalité.
Au moment d’aboutir, je voudrais mesurer avec vous le chemin parcouru. L’été dernier, lorsque nous avons lancé cet exercice lors de la deuxième grande conférence sociale, nous avions une idée claire, les uns et les autres, des objectifs, de l’image, mais tout restait à dessiner, qu’il s’agisse de la formation professionnelle, de l’apprentissage, de la représentativité patronale, ou encore du financement des organisations patronales et syndicales. Les pièces du puzzle ont pris place progressivement, jusqu’à l’accord national interprofessionnel du 14 décembre et ce projet de loi adopté en conseil des ministres le 22 janvier dernier, voilà à peine plus d’un mois.
Je souhaite d’abord saluer le travail des partenaires sociaux, ainsi que leur capacité à parvenir à un accord difficile et ambitieux sur un sujet aussi important que la formation professionnelle et à contribuer à des réformes aussi structurantes que celles de l’apprentissage ou de la démocratie sociale. Le dialogue social, méthode que je pratique et soutiens avec conviction, a une nouvelle fois produit d’importants résultats.
Le constat, nous l’avons tous fait : aujourd’hui, notre système de formation professionnelle n’est plus adapté aux grands enjeux du monde actuel, de l’économie française, des entreprises et des personnes. La présente réforme change donc radicalement la donne.
Cette réforme est aussi une réponse au formidable défi de la promotion individuelle et personnelle, à ce fameux ascenseur social dont tout le monde constate qu’il a été stoppé et parfois même qu’il fonctionne à l’envers. Pendant des années – après 1971 et la grande loi Delors –, l’appareil de formation professionnelle a permis des promotions individuelles remarquables et une montée collective en compétences absolument considérable. Mais, depuis de trop nombreuses années, vous l’avez dit les uns et les autres, alors que le contexte avait changé, les résultats n’étaient plus au rendez-vous.
La réforme qui vous est soumise est décisive et porte de grands changements.
Elle institue tout d’abord un compte personnel de formation, attaché à chaque individu tout au long de sa vie professionnelle, qui bouleverse le schéma classique d’une formation professionnelle destinée aux salariés, sur l’initiative de leur employeur et financé majoritairement dans le cadre du plan de formation des entreprises. Qui peut dire que ce n’est pas une avancée ? Ni ceux qui ont mis en place le droit individuel à la formation, ni ceux qui croient à la sécurité sociale professionnelle.
La réforme instaure ensuite une « obligation de former », plutôt qu’une « obligation de financer », notamment par le biais de la suppression de la dépense obligatoire de 0, 9 % de la masse salariale au titre du financement du plan de formation. Qui peut dire que ce n’est pas pertinent ? Ni ceux qui croient à la formation comme facteur de compétitivité de l’entreprise, ni ceux qui font le pari des connaissances.
La réforme prévoit également une réorientation des fonds de la formation vers la qualification et vers ceux qui en ont le plus besoin, grâce à l’augmentation des financements pour la formation des jeunes en alternance, des salariés à bas niveau de qualification, des salariés des petites entreprises et des demandeurs d’emploi. Là encore, qui peut dire que ce n’est pas juste ? Ni ceux qui croient au mérite, ni ceux qui croient à la solidarité, encore moins ceux qui, comme nous, pensent à la fois au mérite et à la solidarité.
La réforme ouvre par ailleurs un nouvel espace de dialogue social sur la formation professionnelle et les compétences, dans les branches comme dans les entreprises, rendant chaque acteur responsable de son parcours. Qui peut dire que ce n’est pas utile à l’heure où le dialogue social s’impose comme une condition de la performance de l’économie française ?
J’ajouterai encore une simplification radicale du système de collecte, d’affectation et de mobilisation des fonds afin de le rendre plus transparent, plus lisible, plus simple d’accès pour les entreprises comme pour les personnes, notamment grâce à la réforme des contributions obligatoires et à la rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage. Là aussi, qui peut dire que ce n’est pas nécessaire ? Ni ceux qui croient à la simplification, ni ceux qui recherchent l’efficacité de l’affectation des fonds de la formation professionnelle.
Mais cette réforme est surtout une réforme globale, qui prend en charge tous les champs de la formation : des savoirs de base aux savoirs de pointe ; de la sécurisation des parcours à la simplification des démarches ; de l’envie de se former au contrôle de la formation ; de la formation des plus fragiles à la montée générale du niveau de compétences.
Si cette refondation remet les individus au centre de la formation et fait le pari de la responsabilité de l’entreprise, elle ne sera fructueuse que dans un cadre de garanties collectives, de solidarités, de régulations, qui doivent s’exprimer à trois échelons : territorial, professionnel et national.
Ancrage territorial tout d’abord, avec l’achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes privées d’emploi, mais aussi du pilotage de l’apprentissage et du service public de l’orientation.
Au-delà du territoire, la réforme de la formation professionnelle repose également sur des solidarités et des garanties collectives au niveau professionnel, dans la branche ou au niveau interprofessionnel. Il ne s’agit pas de laisser l’individu seul avec ses doutes et ses projets. Le compte personnel de formation n’est pas un « chèque formation » que le salarié ou le demandeur d’emploi devrait mobiliser seul face à lui-même.
C’est pourquoi la réforme donne corps au conseil en évolution professionnelle et élargit l’accès à la validation des acquis de l’expérience. En effet, l’enjeu de l’époque actuelle – je crois que chacun en sera bien conscient dans cette enceinte – est bien la possibilité de se former tout au long de sa vie et non plus seulement le diplôme.
De la même façon, les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, ne seront pas abandonnées dans cette réforme. La mutualisation vers les très petites entreprises est renforcée de manière inédite. Le débat parlementaire a également permis de renforcer les outils de mutualisation au profit des PME. Ces fonds mutualisés seront affectés plus puissamment à des enjeux relevant de l’intérêt général et pour lesquels une régulation publique est légitime : l’accès à un premier niveau de qualification, la progression et la promotion professionnelles, le retour à l’emploi durable.
Comme si cette réforme d’ampleur de la formation professionnelle ne suffisait pas, le projet de loi en porte une autre, fondamentalement liée, puisque le paritarisme est consubstantiel à la formation professionnelle.
En effet, dans la mesure où nous reconstruisons un système fondé sur la maturité des acteurs, il fallait que ces derniers aient la capacité de dialoguer, c’est-à-dire qu’ils soient reconnus, légitimes et forts. Là est la mécanique vertueuse du dialogue social à la française.
Nous rendrons service aux acteurs de la démocratie sociale, souvent trop peu considérés, non seulement en fondant leur représentativité sur des bases désormais bien définies, y compris côté patronal – c’était une lacune de notre système –, mais aussi en rendant le financement de leurs actions plus transparent, en particulier en reconnaissant que, au-delà du socle essentiel que constituent l’adhésion et la cotisation, les missions d’intérêt général qu’exercent les syndicats et le patronat doivent être financées dans un cadre clair. Il en va de même pour les comités d’entreprise.
Toutes ces avancées figurent dans ce texte qui clôt un cycle, celui d’une démocratie sociale parvenue à maturité.
Eu égard au débat parlementaire et, surtout, aux délais qui s’imposaient à nous – je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir su en tenir compte avec bonne humeur §pour permettre la meilleure mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle, l’article 20 relatif à l’inspection du travail n’a pas pu être conservé dans ce texte – monsieur le rapporteur, vous y avez évidemment fait allusion.
Cet article avait été adopté par l’Assemblée nationale à l’issue de débats intéressants et de l’adoption d’amendements apportant des clarifications utiles, voire nécessaires, notamment pour confirmer évidemment la pleine indépendance des agents de contrôle, laquelle n’a jamais été menacée par la réforme.
Il avait été repoussé dans cet hémicycle même, du fait de la rencontre de préoccupations diamétralement opposées : certains pensaient, de mon point de vue à tort, que le texte remettait en cause l’indépendance d’une inspection du travail ainsi dépourvue de tout pouvoir ; d’autres considéraient, là encore à tort selon moi, qu’il créait une forme d’arbitraire, les inspecteurs du travail devenant, estimaient-ils, surpuissants.
Si je ne peux que regretter la non-adoption de cet article au sein de ce projet de loi, je note que le débat – tout particulièrement au Sénat – a déjà porté ses fruits : nombre des parlementaires ayant exprimé initialement leurs réticences sur cet article 20 en ont perçu progressivement l’intérêt et les potentialités et ont exprimé – parfois très clairement – la volonté de revenir sur les dispositions qu’il comporte dans un autre cadre et suivant un autre calendrier.
Je vous indique donc ma détermination à conduire cette réforme de l’inspection du travail, parce que je crois que l’inspection du travail le mérite, en raison de ses valeurs, de son histoire, parce que je crois que l’inspection du travail en a besoin, pour répondre au mieux aux enjeux actuels, parce que je crois que les salariés et les entreprises ont besoin d’une inspection du travail efficace, protectrice des droits des individus et des entreprises qui respectent ces droits et n’ont pas à subir la concurrence déloyale de celles qui ne les respecteraient pas.
Je ferai dans les prochains jours des propositions précises de méthode et de calendrier sur la suite de cette réforme, laquelle se fera évidemment à l’image de notre action depuis dix-huit mois, c’est-à-dire dans le dialogue et la concertation. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler.
Je voudrais conclure en vous remerciant collectivement, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre contribution à ce débat qui aura été pour moi un vrai plaisir : plaisir d’échanger, plaisir de faire avancer une belle réforme avec des travaux parlementaires qui, même dans des délais courts, ont permis de bonifier le texte sur de nombreux sujets, qu’il s’agisse du champ de la formation professionnelle ou de celui de la démocratie sociale, en particulier quant au traitement des organisations patronales dites « multi-professionnelles ».
Des amendements déposés par les différents groupes ont été adoptés, tout particulièrement à la Haute Assemblée. Les deux rapporteurs de la commission mixte paritaire, Claude Jeannerot pour le Sénat et Jean-Patrick Gille pour l’Assemblée nationale, ont été d’une efficacité et d’une pédagogie remarquables ; je tiens à les en remercier chaleureusement, ainsi que les équipes qui les entourent.
Les deux présidentes de commission, Annie David et Catherine Lemorton, ont parfaitement su mener les débats de leur commission respective – comme d’habitude – et sont pour beaucoup dans le succès de ces travaux. Qu’elles en soient remerciées, tout comme les présidents et rapporteurs des saisies pour avis, en particulier la commission des finances et son rapporteur pour avis, François Patriat.
Je vous invite donc à mon tour, mesdames, messieurs les sénateurs, après M. le rapporteur, à voter le plus largement possible les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, lequel, je le dis sans emphase, restera l’un des textes les plus importants adoptés durant ce quinquennat dans ce champ-là et imprimera une marque profonde et bénéfique pour notre démocratie sociale et notre système de formation professionnelle. §