Intervention de Pierre Frogier

Réunion du 26 février 2014 à 14h30
Débat sur la situation des outre-mer

Photo de Pierre FrogierPierre Frogier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais pu évoquer, cet après-midi, ce qui va bien en Nouvelle-Calédonie. C’est pourtant de la radicalisation de la vie politique qui nous menace à quelques semaines des élections municipales et provinciales que je vais vous parler. C’est cette inquiétude que je veux exprimer devant vous, à l’occasion de ce débat sur la situation des outre-mer, et alors que nous abordons des échéances électorales déterminantes pour notre avenir.

Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est engagée, depuis vingt-cinq ans, dans un délicat processus de paix et de réconciliation. Elle devra, dans quelques années, décider de son destin et de ses liens avec la France.

À ce titre, l’année 2014 est particulièrement importante et symbolique : elle marque le début de la dernière mandature de l’accord de Nouméa, celle au cours de laquelle nos compatriotes devront choisir leur avenir.

C’est dans le respect, la responsabilité et la sérénité que ce choix doit être fait. Rien ne doit venir interrompre le cheminement exemplaire que nous avons emprunté ; rien ne doit troubler la difficile construction du destin commun auquel nous appelle l’accord de Nouméa.

Et pourtant, à l’heure où je vous parle, nous sommes très loin du compte !

Nous sommes entrés dans une surenchère des positionnements et des attitudes, laquelle, au mieux, risque d’escamoter le débat démocratique, au pire, de nous faire perdre les acquis de ces dernières années.

Malheureusement, monsieur le ministre, ce durcissement ne me surprend pas ! Vous le savez, cela fait un petit moment que je tire la sonnette d’alarme. J’ai toujours eu conscience que ces échéances électorales de 2014 seraient particulièrement sensibles. J’ai toujours su qu’elles risquaient d’être prises en otage et instrumentalisées par les uns et par les autres.

C’est la raison pour laquelle j’ai dit clairement, et à plusieurs reprises, qu’il fallait non pas attendre passivement 2014, mais prendre toutes les initiatives pour instaurer un climat de paix, de confiance, de reconnaissance et de dialogue, de manière à préparer sereinement cette dernière étape de l’accord de Nouméa.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai proposé, dès février 2010, la levée des deux drapeaux. Il s’agissait d’un symbole fort, d’un geste de sincérité qui a été validé par le comité des signataires et approuvé par une large majorité du Congrès.

C’est aussi dans cet état d’esprit que j’ai souhaité la mise en place de trois comités de pilotage pour nous permettre de préparer, en confiance et dans un dialogue apaisé, cette prochaine échéance électorale.

J’ai pris tous les risques, au mépris des conséquences électorales ! J’ai pris toutes mes responsabilités, comme signataire de l’accord de Matignon et de celui de Nouméa !

Aujourd’hui, c’est la composition du corps électoral spécial, appelé à participer aux élections provinciales, qui provoque de nouveau la crispation.

À deux mois du scrutin, les indépendantistes brandissent la menace de faire radier 6 720 électeurs de la liste provinciale.

C’est une revendication irresponsable, provocatrice, qui scandalise à juste titre celles et ceux qui sont attachés à la Nouvelle-Calédonie dans la France et, au-delà, qui inquiète aussi le plus grand nombre.

C’est une revendication basée sur une logique d’exclusion qui ne correspond en rien à l’esprit de l’accord de Nouméa.

C’est une revendication exorbitante, à laquelle aucune réponse claire n’a, jusqu’à présent, été apportée par l’État.

Comment en est-on arrivé là ?

En février 2007, une révision constitutionnelle visait à priver du droit de vote aux élections provinciales toutes les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie après novembre 1998, c’est-à-dire après le référendum d’approbation de l’accord de Nouméa. C’est ce que l’on a appelé « le gel » du corps électoral.

Cette révision exigée, je le rappelle, par les indépendantistes, a été très majoritairement votée par le Parlement, contre la volonté unanime des parlementaires calédoniens. Cette réforme était pourtant contraire à l’esprit de l’accord de Nouméa, comme l’avait indiqué le Conseil Constitutionnel lui-même dans sa décision relative à la loi organique de 1999.

Mais telle était la volonté des indépendantistes, fortement soutenus par l’État. Nous sommes ainsi passés d’un corps électoral glissant, qui subordonnait le droit de votre à une durée de résidence de dix ans à la date de chaque élection, à un corps électoral gelé.

Cette réforme, monsieur le ministre, dont vous ne portez pas la responsabilité directe, a été bâclée et son texte mal écrit. La loi étant imprécise, il est revenu à la Cour de cassation de l’interpréter ; et c’est sur la base d’un arrêt de 2011 que les indépendantistes réclament la radiation de plus de 6 000 électeurs.

La Cour de cassation indique, dans cet arrêt, que pour participer à l’élection des assemblées de province et du Congrès, il faut impérativement avoir été inscrit sur les listes électorales avant le référendum de 1998.

Il ne suffit donc pas d’avoir été présent, encore faut-il avoir été inscrit ! Cela veut dire que le droit de voter repose, en Nouvelle-Calédonie, sur l’accomplissement d’une formalité purement administrative qui aurait dû être accomplie avant 1998, mais qui n’a été connue qu’après la révision constitutionnelle de 2007 ! Et le comble, dans cette interprétation, c’est qu’elle revient à déchoir de leur droit de vote des électeurs qui ont pu l’exercer en 2004 et en 2009 !

Aujourd’hui, ce sont plusieurs milliers de personnes, inscrites sur les listes électorales avant la révision constitutionnelle de 2007 qui sont susceptibles de faire l’objet de demandes de radiation pour les élections provinciales.

Si je vous dis, monsieur le ministre, que nous avons nous-mêmes recensé près de 6 000 électeurs d’origine mélanésienne également susceptibles d’être radiés de la liste électorale provinciale parce qu’ils ne justifient pas des conditions requises dans l’état actuel du droit, vous conviendrez que la situation devient ubuesque. Et nous touchons aux frontières de l’absurde quand on voit que le corps électoral du scrutin de sortie de l’accord de Nouméa – car c’est un autre corps électoral - est moins fermé que le corps électoral provincial !

Vingt-cinq ans après la signature des accords de Nouméa, nous nous retrouvons à subir des décisions qui sont à l’opposé de la volonté de vivre ensemble et de construire une communauté de destin avec la totalité des composantes de la population calédonienne.

Monsieur le ministre, face à cette véritable provocation des indépendantistes, la réponse du Gouvernement, que vous représentez à ce banc, est loin d’être satisfaisante.

Alors que le FLNKS agite depuis des mois ses menaces de radiation, alors que les commissions administratives chargées de réviser les listes électorales se réunissent dans quelques jours en Nouvelle-Calédonie, votre seule réponse – encore donnée hier par le Premier ministre à l’Assemblée nationale – consiste à exhumer un arrêt de la Cour de cassation contredisant celui sur lequel s’appuie le FLNKS.

Bref, vous faites la démonstration qu’il n’y a pas d’issue à rechercher sur le plan du droit. À une question de principe, vous essayez, en vain, de trouver une issue juridique, alors que la solution – comme toujours en Nouvelle-Calédonie – est politique.

Il nous faut maintenant, rapidement, trouver une issue à cette situation inextricable qui pourrait aboutir à la radiation de milliers d’électeurs de la liste électorale spéciale. C’est dans ce but que j’ai formulé plusieurs propositions à l’occasion de deux courriers adressés respectivement au Président de la République et au Premier ministre.

Tout d’abord, j’y indiquais que nos représentants au sein des commissions de révision s’opposeraient vigoureusement à la radiation de ces milliers d’électeurs lorsque nous estimerions que celle-ci se fait en contradiction avec les principes fixés par l’accord de Nouméa. Dans cette éventualité, il y aura donc partage de voix au sein des commissions et il reviendra à l’État de faire valoir, par le biais de ses représentants, la voix prépondérante qui lui est reconnue par les textes.

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